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La République des livres
N° 46 La machine à écrire de Roger Caillois

N° 46 La machine à écrire de Roger Caillois

Par Jacques Drillon

L’histoire de Ruskin, effrayé par les poils pubiens de sa femme, le soir de leurs noces, parce qu’il n’avait étudié que des statues qui n’en avaient pas. C’est une légende, paraît-il. Dommage.

*

(Suite)
Difficile de faire la différence entre noce et noces. Au pluriel, plutôt la célébration, les réjouissances, dans toute leur longueur, et plutôt dans un emploi ancien. Au singulier, plutôt l’assemblée, la compagnie, et dans un emploi moderne.

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Jean Daniel, qui n’aura pas eu les 100 ans dont il était déjà si fier, à 99. Il avait la fierté absolument facile. À sa décharge, il était le premier à se moquer de sa vanité, ce qui, interprété par un esprit fin, était une autre manière d’en tirer orgueil : il tirait vanité de tout, même de sa honte.
Il savait aussi donner de la fierté, car ses louanges étaient exquises autant que cruelles ses avanies. Ceux qui ont reçu les unes ou les autres les conservent comme des gemmes, rutilantes dans les deux cas. 
Homme d’une intelligence supérieure, d’une mémoire indécente, d’une rapidité incomparable (il était arrivé quand les autres n’étaient pas encore partis), il avait une vision quasi gaullienne du métier de journaliste, de sa noblesse. Il était un des rares directeurs de journaux à se demander non si tel article était « vendeur » ou pas, mais s’il était bon ou médiocre, excellent ou exécrable. De là sans doute l’ascendant naturel qu’il exerçait sur tout le monde, non sans satisfaction (voir supra). Obtenir un sourire de lui vous faisait la journée. S’il avait mis une nuance de tendresse dans son sourire, c’était pour vous, comme disait Daniel Emilfork, du « pur rahat loukoum ».

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Les obsolètes : le bruit arythmique de la machine à écrire, clac, claclac, claclaclac, claclac, clac, claclaclaclac, claclaclac, ding, brrrr bzzzzzzzzz toc, claclaclac, claclac, bzzzzzzzzz toc…
Dans une génération, personne ne comprendra plus le concerto pour machine à écrire de Leroy Anderson :

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Personne ne sait
Par où passa Hannibal pour franchir les Alpes. Mille livres consacrés à cette question.

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Signer un miroir dans lequel on se regarde : autoportrait. Quelqu’un d’autre s’y regarde ensuite ? En prison ! C’est un faussaire ! Très habile, peut-être, mais cela n’excuse rien.

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Aucune édition intégrale de Pauvre Belgique de Baudelaire, à cause des redites fréquentes, qui heurtent l’esprit rigoureux des éditeurs. Ils les coupent. Comme ils doivent souffrir, à chaque fois qu’il leur faut publier du Péguy !

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« Il est mort d’un anévrisme. » On n’en meurt pas. C’est la rupture de cet anévrisme qui peut faire mourir. Ma mère disait de la même manière : « Il a la prostate. »

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Ceux qui détestent ce que vous écrivez mais vous lisent sans manquer une ligne.

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L’Opéra de Vienne, la plus mauvaise acoustique d’Europe. Bombardé pendant la guerre, il a été reconstruit, excepté la décoration, à l’identique.

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(Suite)
La soirée de réouverture (Fidelio, dirigé par Böhm), retransmise à la télévision : il y avait 800 récepteurs dans tout le pays.

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Roger Caillois, qui, dans son Ponce Pilate, imagine que Jésus est innocenté. Il ne décrit aucune conséquence de cet acte fondateur, se bornant à écrire que Jésus « mourut à un âge avancé », et que : « À cause d’un homme qui réussit contre toute attente à être courageux, il n’y eut pas de christianisme. »

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Les quatre mots du petit Robert « élus » par les internautes ces dernières années : « vivre-ensemble » (2016), « perlimpinpin » (2017), « bienveillance » (2018), « féminicide » (2019).

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Geluck, qui prétend que la cédille a été inventée par un type nommé Groçon.

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La maladie qui fait rétrécir la peau. Tendue comme sur un tambour, elle craque à toutes les pliures.

j.drillon@orange.fr

(Tous les vendredis à 7h 30)

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Les deuxième et troisième séries (Papiers recollésPapiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

7

commentaires

7 Réponses pour N° 46 La machine à écrire de Roger Caillois

Alain gillis dit: à

Le mieux c’est quand même Caillois. Mais que l’histoire soit pure invention il ne faudrait pas l’ébruiter. Par association jai pensé a l’histoire de la Putain R… J’espère que celle là, au moins, est rigoureusement vraie. Sinon je préfère ne pas savoir.

Janssen J-J dit: à

Ma mère disait de la même manière : « Il a la prostate. »
Et la mienne : « il a attrapé un oedipe à la prostate »

Jacques Drillon dit: à

La « machine » a encore rouvert les commentaires, pourtant dûment fermés par mes soins, et vérifiés tels… Tant pis, passons pour une fois, puisque cela te permet de me remémorer cette histoire de Putain R., très amusante!
Mais l' »association » entre Caillois et celle-là m’est opaque… Les voies du Seigneur sont impénétrables… Seulement « se non è vero, è ben trovato »?
J.

rose dit: à

Personne ne sait
Par où passa Hannibal pour franchir les Alpes. Mille livres consacrés à cette question.

Moi je le sais.

(Je vais épater Drillon.)
(Mes vieux, noces d’astrakan, puis mites dans les poils)

Deux indices sur le passage.
1/ La pierre écrite au dessus de Sisteron : traverser à La Baume.
2/ De Barcelonnette, prendre la route du col de la Cayolle en longeant le vallon de Fours. De Bayasse, prendre la route du col de Restefond en tournant à gauche. Monter assez haut. Laisser le torrent à gauche. Au-dessus de la cascade, le campement en pierres d’Hannibal avec ses éléphants.
Les ronds de pierre en cercle pour les toiles de tente des romains.
Superbe emplacement.

Hannibal a franchi les Alpes par le Mercantour.

>Jacques Drillon 😉

rose dit: à

La photo du campement est à la gauche de ce texte

« En contre bas du col de la Moutière se trouve la « pierre d’Annibal » dont le nom est peut-être associé à un Comte de Beuil, et tout autour on peut observer des traces rondes correspondant aux alignements de pierre en pied des marabouts servant de cantonnement provisoire aux troupes en manœuvre, avec des restes d’allées empierrées pour la circulation.  Cet ensemble autour de la pierre d’Annibal n’avait qu’un caractère utilitaire. »

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