de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 70 L’encre des miroirs

N° 70 L’encre des miroirs

Par Jacques Drillon

 

Celui qui fait le premier pas, presque toujours identifiable. Celui qui fait le dernier, presque toujours incertain.

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Michaux refusant de se laisser photographier. Et puis photographié tout de même. « Cinquante procès ne me rendraient pas un visage d’inconnu. » Il se laisse donc approcher par Brassaï, Gisèle Freund, Paul Fachetti…

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Les obsolètes : l’encre en bouteille. Catalogue des encres Antoine :
« L’encre Violette Noire Communicative, de violette qu’elle est, au moment où on la trace, l’écriture passe, peu après, au noir parfait.
L’encre Moderne pour les écritures de bureau et de comptabilité.
L’encre Bleue Noire [sic] est, de toutes, la plus limpide ; cette fluidité lui valu d’être considérée comme l’encre indispensable des pays tropicaux.
L’encre de l’État-Civil pour répondre au desiderata [sic] de la circulaire ministérielle du 1er février 1888.
L’encre Écarlate d’un rouge écarlate superbe qui concurrence l’ancien carmin de cochenille.
L’encre Mauve est adoptée par le monde élégant pour la correspondance.
L’encre de la Marquise est l’encre par excellence des Dames.
Les encres à tampon pour des empreintes d’une netteté incomparable.
L’encre de Chine pour le dessin, le lavis, etc.
Les encres à marquer le linge sont adoptées par les Administrations civiles et militaires. »

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(Suite)
L’encre de l’État civil, elle aussi, est violette avant de devenir d’un noir indélébile. C’est une encre de noix de galle ou ferro-gallique, qu’on employait déjà dans l’Égypte ancienne, et qui a servi couramment pendant huit cents ans. En 1974, en Allemagne, on rédigeait encore les actes administratifs avec cette encre.

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L’Hôtel du Grand miroir, à Bruxelles, où logea Baudelaire.

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(Suite)
Les 17 occurrences du mot « miroir » dans les Fleurs du mal (8 au pluriel, 9 au singulier) :
 
« Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs ! »

« Léonard de Vinci, miroir profond et sombre…
[…]
Goya, cauchemar plein […]
De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues… »

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »

« Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! »

« Comment n’as-tu pas honte et comment n’as-tu pas
Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas ? »

« Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale. »

« Le bon vent, la tempête et ses convulsions
Sur l’immense gouffre
Me bercent. – D’autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir ! »

« Lune, eau sonore, nuit bénie,
Arbres qui frissonnez autour,
Votre pure mélancolie
Est le miroir de mon amour. »

« Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde. »

« Tête-à-tête sombre et limpide
Qu’un cœur devenu son miroir ! »

«  Je vois ta mère, enfant de ce siècle appauvri,
Qui vers son miroir penche un lourd amas d’années
Et plâtre artistement le sein qui t’a nourri ! »

« Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L’immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,
A fécondé soudain ma mémoire fertile… »

« Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Qui font qu’à leurs miroirs, stérile volupté !
Les filles aux yeux creux, de leurs corps amoureuses,
Caressent les fruits mûrs de leur nubilité ; »

« Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
[…]
Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes. »

« Car il [le beau diadème] ne sera fait que de pure lumière,
Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs ! »

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Le type qui répond « Oui, oui, j’arrive tout de suite » quand on l’appelle, c’est qu’il ne va pas venir de sitôt.

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Un titre écarté, pour Salammbô : « Salammbô : 241-240 avant Jésus-Christ. » « C’était, écrit Flaubert, par complaisance pour le bourgeois, et pour lui dire l’époque précise où l’histoire se passait. »

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(Suite)
Zola. Avant le choix du titre définitif, 23 projets  pour Germinal, 54 pour L’œuvre, 133 pour La bête humaine.

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« Madeleine de Combray », désormais marque déposée.

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 L’ordre donné, parfois moins impérieux, moins contraignant, qu’une invitation.

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Philippe Roth décidant d’arrêter d’écrire, et collant un post-it sur son écran d’ordinateur : « La bataille est terminée. »

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Moïse, qui était bègue.

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Les quatre positions pour dormir : sur le dos, sur le ventre, sur le côté gauche, sur le côté droit. Une fois qu’on les a toutes essayées, il faut recommencer.

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Ces repas entre amis où l’on attend que ça commence : pour patienter agréablement, on bavarde en agitant les glaçons de son whisky, on déjeune, on continue à causer dehors en prenant le café, et ça ne commence toujours pas. Puis il est quatre heures, et chacun s’en retourne.

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

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Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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