de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 86 Du baiser (de paix)

N° 86 Du baiser (de paix)

Par Jacques Drillon

Les mauvaises herbes dans les allées. L’eau bouillante, l’eau salée, le vinaigre, le bicarbonate de soude, la cendre, le désherbeur à gaz, à air chaud, à vapeur…

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Beckett, qui allait voir des pièces de théâtre jusqu’à ce qu’il en écrive lui-même.

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Un écrivain inattaquable : J. L. Borges.

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Les couples d’homosexuels qui ne veulent pas savoir lequel des deux sera le père dans une GPA, et qui donnent non pas leur sperme, mais leurs spermes, mélangés.

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Depuis qu’il faut sortir masqué, on ne me demande plus d’autographes dans la rue. C’est bien agréable.

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L’envahissement par les pigeons. Des nuages de pigeons. Dans le ciel, au moins ne roucoulent-ils pas stupidement. Il faudrait leur interdire de se poser. Voir ça avec Castex.

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Le « baiser de paix » (kiss of peace) des offices catholiques, complètement évolutif. De mariage en mariage, d’enterrement en enterrement, on mesure l’amplitude de sa plasticité. Autrefois, on ne faisait rien, chacun chez soi ; puis, pour renouer avec les premiers chrétiens, on s’est mis à étreindre (non sans quelque répugnance) ses voisins de gauche et de droite ; puis on leur a serré la main (chacun y trouvait son compte) ; maintenant on peut se faire un elbow bump (on se touche les coudes), de préférence au footshake (bonjour du pied), que les personnes âgées ont du mal à effectuer sans trébucher et se casser le col du fémur. Sachant qu’on tousse dans son coude, l’elbow bump n’est pas recommandé par la cellule « Take care & Pray » de l’évêché. Il faut trouver un nouveau baiser de paix, qui respecterait les gestes barrière. Passage de l’index sur le bout du nez masqué ? Main au panier ? Nous tenons pour le clin d’œil, discret, de bon goût, et joyeusement coquin.

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(Il existait autrefois un objet nommé osculatoire, une sorte de plaque sculptée munie d’un manche, que le prêtre embrassait, avant de le passer au diacre, qui en faisait autant et le passait au sous-diacre, qui le transmettait aux fidèles. À la fin, il était couvert de rouge à lèvres, de poils du nez, de pommade Rosat, c’était franchement dégoûtant. Néanmoins, cette idée d’objet transitionnel n’est pas à rejeter : on pourrait embrasser son attestation dérogatoire, et la montrer à ses voisins ?)

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(Suite)
Le substantif « osculatoire » est inconnu de Littré, de Robert, de Pierre Larousse, tous lexicographes mécréants. Dans Pierre Larousse, « osculatoire » figure pourtant comme adjectif : « S’est dit d’un muscle des lèvres.» Il a été remplacé par « osculaire », « qui concerne le baiser ». Le Grand Robert, qui donne cette définition,  cite le très barthésien  Roland Barthes : « Car l’appareil phonatoire est aussi l’appareil osculaire. Passant à la station debout, l’homme s’est trouvé libre d’inventer le langage et l’amour : c’est peut-être la naissance anthropologique d’une double perversion concomitante : la parole et le baiser. » Double perversion concomitante ! C’est admirablement admirable.

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(Suite)
Les mots « fellation » et « cunnilingus », termes qui furent longtemps l’apanage de la police, comme « individu », « véhicule » et « titre de transport », et qui sont malencontreusement passés dans le langage courant (ce qui en dit long sur notre servitude), n’ont pas trouvé d’équivalents satisfaisants – c’est-à-dire qui n’appartiennent pas à l’argot (« pipe »/« minette »), dont des personnes bien élevées ne sauraient faire usage. (Pour autant qu’en plus de pratiquer la chose, elles aient besoin de dire le mot.) Nous proposons à l’Académie de nous placer sous l’autorité autorisée de Roland Barthes, et d’adopter le terme « osculaire » substantivé. Et genré : « faire un osculaire » pour les messieurs, « faire une osculaire » pour les dames.

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(Fin)
(Et ses dérivés : « osculateur », « osculatrice » – termes de géométrie qu’il serait logique de rapatrier dans le vocabulaire commun.)

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Sarkozy, qui rentre le ventre pendant les bains de foule.

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Personne ne sait
Pourquoi nous abandonnons l’élection présidentielle américaine aux seuls Américains, alors que presque toutes les décisions d’un président des États-Unis, des plus tartes aux plus dangereuses, des plus ignobles aux plus stupides, affectent la terre tout entière.

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D’après le site de rencontres OkCupid, il existe 13 orientations sexuelles et 22 identités de genre.

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La nostalgie du journalisme d’« avant », des articles longuement pensés, écrits, lus.

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(Dernière minute)
Les caméras de surveillance, qui ne peuvent pas nous filmer sans filmer aussi les flics. Hé hé…

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(Dernière minute)
La sotte qui s’est élevée contre l’emploi du mot « lynchage » pour désigner autre chose que des pendaisons de Noirs américains. Elle a touitté cette merveille : « La banalisation du terme “lynchage” et son usage par les personnes blanches pour décrire du harcèlement en ligne ou des agressions IRL [sigle pour «in real life»] conduit non seulement à effacer l’expérience et les souffrances des personnes noires, mais aussi à inverser la réalité. »
Nous pouvons  rappeler que la loi de Lynch, et son application par le lynch, établissait seulement une justice expéditive, et ne concernait pas les Noirs, mais les « loyalistes », les Républicains, et tous ceux qu’on avait pris en flagrant délit, dont les Noirs. Le député pris à partie par cette dinde, qui l’accuse de «participer à un système de déshumanisation des Noir.e.s», a bien entendu fait machine arrière, et s’est excusé d’avoir employé le mot lynchage, qui ne lui appartenait pas. Il a expliqué courageusement : « Mon rôle de responsable politique est de faire attention à ce qu’on dit. Les associations de malentendants nous ont déjà interpellés lorsqu’on disait que “le gouvernement était sourd”. »

Si l’on réfléchit une seconde, on comprend que la bécasse qui confisque le mot lynchage est du côté des bourreaux. C’est elle qui tient la corde à noeud coulant. Le pauvre député, terrorisé, avoue tout ce qu’on voudra. Muray s’étonnait de ce qu’on n’avait pas encore remplacé les rires enregistrés des feuilletons de la télé par des cris de haine, des sifflets, des huées. Ce serait plus réaliste.
Le chancre gagne du terrain tous les jours et dévore ce qui l’entoure. Bientôt, quand ils auront gagné, où il y avait quelque chose, où il y avait une real life, il n’y aura plus qu’un trou.

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(Pro domo)
À paraître le 7 décembre :

 
Ce volume reprend les Papiers recollés, deuxième série de Papiers, parus sur le site Bibliobs.com en 2017. Un volume de 168 pages, cahier couleur, 20 €. Disponible sur commande en librairie ou chez l’éditeur : par lettre (Du Lérot, 23 Grande Rue 16140 Tusson), par mel (du.lerot@wanadoo.fr), en ligne (http://www.dulerot.fr), ou par téléphone (05 45 31 71 56 – 05 45 31 63 25).
Tirage limité. Achetez cet ouvrage absolument déconfiné, offrez-le ! Vous ne pourrez pas le voler…

 

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

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La troisième série (Papiers découpés) fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).

 

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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