Regagner l’univers de l’enfance
Rien n’est plus difficile que de regagner l’univers de l’enfance, voir, écouter le monde, l’apprécier ou le juger à travers la personnalité d’un garçonnet de 9 ans. Adopter une vue trop puérile ou au contraire trop grave est l’écueil majeur et omniprésent sur lequel sont venus s’échouer de nombreux romanciers. Avec L’Été des Lucioles, Gilles Paris signe une parfaite réussite. Aucun faux pas ni fausse note tout au long de ce joli roman qui relate l’histoire de Victor et de sa famille durant des vacances d’été passées au Cap Martin dans la prestigieuse résidence Napoléon III dominant la mer. Un été pas comme les autres qui changera pour toujours l’enfant et sa famille.
Délicat, poétique, fort, le récit émeut par sa sobriété, des analyses extrêmement justes non seulement sur l’enfance mais aussi l’adolescence, les remous qui secouent les adultes face a des situations inattendues, la révélation de secrets lourds de conséquences pour l’un d’entre eux. Le thème est simple : des amitiés, des amours enfantines, des illusions se faisant réalité et des réalités illusions, des liens qui se nouent, d’autres qui se brisent.
Je parierais que l’auteur, Gilles Paris, qui a déjà publié deux livres sur le monde de l’enfance (Les mémoires d’une Courgette et Le pays des Kangourous) n’a jamais quitté ce monde réaliste et fantastique, fragile et rebelle. La famille de Victor est composée d’un papa toujours absent qui semble fuir la résidence du Cap Martin pour une raison que l’on devine dramatique, de deux mamans, la biologique et sa compagne, une femme peintre très secrète originaire d’Argentine, d’une sœur de 14 ans prête a toutes les folies de l’adolescence, d’une vieille aristocrate qui a compris bien des choses et qui, au terme de sa vie, choisit de regagner l’univers de l’enfance comme une porte ouverte sur une nouvelle naissance. « Les secrets, Victor, sont comme ces coquillages qui refusent de s’ouvrir. On ne saura jamais ce qu’il y a à l’intérieur. »
Et les lucioles, omniprésentes durant ce long été, jettent leur lumière poétique et fugace sur le monde de Victor. Elles éclairent ce qu’il veut voir mais aussi ce qu’il veut comprendre. Elles jalonnent son chemin vers la porte close des secrets.
Gilles a le talent de rendre parfaitement intelligible ce monde clos de l’enfance. Le lecteur suit Victor, Justine, la fillette dont il est un peu amoureux, sa maman, Pilar sa compagne, Gaspard, son meilleur ami, Nathan et Tom de mystérieux jumeaux hors du temps (ils ne connaissent ni les téléphones portables ni les ordinateurs), Rosita la gardienne au courant de tout ce qui se passe à la Résidence, François, le père terrifié par le Cap Martin. Cette grande famille devient la nôtre au fil des pages. Leurs amours, leurs rancoeurs, leurs craintes, leurs rancunes, leur tendresse, leur naïveté aussi nous sont familiers mais, et c’est ce qui fait l’originalité de ce roman, nous les percevons à travers le regard d’un enfant.
Les membres du clan de Victor sont tous pittoresques et souvent poétiques. Ce sont eux les véritables lucioles du livre tout en lumière, en charme, en précarité, libres d’aller et venir, de faire souffrir ou d’offrir de la joie. Victor est touchant, réaliste, courageux, ouvert aussi a des mystères qui ne l’effrayent nullement. Ce n’est pas par hasard que Gilles Paris choisit de penser en enfant. Les enfants sont des enchanteurs qui l’ont touché de leur baguette. Mais a-t-il jamais quitté lui-même ce monde-là ?
CATHERINE HERMARY VIEILLE
(« Catherine Hermary Vieille », photo Gallardin ; « Gilles Paris » photo D.R.)
Gilles Paris
L’été des lucioles
17 euros, 221 pages
Editions Héloïse d’Ormesson