de Pierre Assouline

en savoir plus

La République des livres

Rimbaud, poète impressionniste

Par Roméo Fratti

Arthur Rimbaud doit beaucoup au romantisme, n’en déplaise au « Voleur de feu » qui se faisait volontiers pourfendeur des mièvreries florales. Diffusé en France après la chute de Napoléon Ier, le romantisme pictural – picturesqueà l’anglaise prépare le terrain à l’impressionnisme, par l’importance accordée à une peinture de paysage qui reflète l’infiniment petit de l’intime.

Marcheur infatigable, Arthur Rimbaud s’ouvre au jeu de couleurs du monde, infléchies par les lumières mouvantes de la nature au gré des saisons ; alors même que les peintres ont déjà découvert le bonheur de peindre en plein air, grâce notamment à l’invention du tube de peinture en métal souple en 1841, ainsi que du chevalet portatif en 1857.

Sans doute influencé par Morisot, Pissarro, Renoir, le jeune Rimbaud donne tout son sens à l’ut pictura poesis des Anciens : les Cahiers de Douai de 1870 constituent avant tout une palette de touches d’impressions. Que l’on songe aux « soirs bleus d’été » de Sensation, aux « tilleuls verts », au « tout petit chiffon / D’azur sombre » et à la « clarté d’un pâle réverbère » de Roman, au « petit wagon rose / Avec des coussins bleus » de Rêvé pour l’hiver, ou encore à la table « Verte », au « plat colorié », au « jambon rose et blanc » et à la « mousse » dorée par un « rayon de soleil arriéré » déployés par le Cabaret-Vert : les couleurs primaires et binaires, disposées dans une atmosphère plus ou moins lumineuse, ne sont que les signes sensoriels les plus immédiats d’une écriture épurée et instinctive.

L’écriture sensualiste d’Arthur Rimbaud observe les couleurs sur le vif, en même temps qu’elle suit de très près les mouvements de la nature : l’intensité de l’expérience vécue devient presque palpable avec des vers tels que « Je laisserai le vent baigner ma tête nue. » (Sensation), ou « L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière », « Le vent chargé de bruits (…) / A des parfums de vigne et des parfums de bière… » (Roman). Le vent et l’air ambiant sont chers aux impressionnistes, puisqu’ils constituent les équivalents fluides – avec l’eau – de la fugacité, déjà suggérée par les variations de lumière. Si les peintres déploient des nuances de couleurs pour révéler des matières incolores, Rimbaud réussit, quant à lui, ce paradoxe en recourant à des synesthésies de sens : c’est ainsi que le poète impressionniste donne une consistance à l’invisible.

Il est frappant de constater que les sensations rimbaldiennes, celles visuelles surtout, tendent indéniablement vers l’agréable. À l’éphémère d’une impression colorée correspond la fugacité d’un plaisir ; euphorie de la liberté au cœur de la campagne dans Sensation et Roman, sensualité amoureuse à bord du « petit wagon » de Rêvé pour l’hiver, plaisir de manger installé à la table « Verte » du Cabaret-Vert. L’impressionnisme d’Arthur Rimbaud est un hédonisme qui cultive le bonheur païen : la poésie a accéléré sa prise de distance avec les sujets graves et sublimes, poursuivant une tendance déjà amorcée au XVIème siècle.

ROMÉO FRATTI

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF, Poésie.

6

commentaires

6 Réponses pour Rimbaud, poète impressionniste

Jazzi dit: à

Rimbaud l’impressionniste, pour qui seules les voyelles donnaient leur couleur aux mots, n’était-il pas aussi hyperréaliste, voire surréaliste, ainsi que le revendiquera Breton ?
Dans Le Dormeur du val, « trou de verdure », un soldat jeune dors la tête posée dans « le frais cresson bleu », tandis que l’on voit sur sa poitrine « deux trous rouges » au côté droit…

Jazzi dit: à

dorT

xlew dit: à

C’est ainsi que le poète impressionniste donne une consistance à l’invisible.
Sans aucun doute, Jacques Barzun, grand américain originaire de France, disait que la forme de ses pièces en prose était une invitation à laisser derrière l’esprit rationnel, « le poème reflète l’irréalité de ce qui est ».
Un peu à contre-courant du caillassage de Claudel par René Etiemble, en quelque sorte.
Moins de lacérations psychiques, des bulles d’eau plus petites dans les gaz du sang, la rencontre de Germain Nouveau l’aura réorienté dans son renouvellement du dérèglement des sens, une grande amitié naquit, peut-être autant amoureuse que celle qu’il conçut avec Verlaine, qui sommes-nous pour le savoir ?
Le détour vers la peinture est prenant, il s’en inspire de la même façon que Franz Marc se souvient de ses lectures lorsqu’il peint ses chevaux noirs et rouges, comment s’empêcher de ne pas les distinguer des grandes juments blanches et bleues d’Ornières ?
Lui, Rimbaud, à la différence du Monet londonien, n’ira pas jusqu’à tenter d’embrouiller la critique en prétendant qu’il ne connaissait rien de Turner, il savait se retourner sur tout ce qui consonnait chez lui par l’entremise des peintres, sans peur.
Un Rimbaud attiré par l’agréable, l’hédonisme, pourquoi pas, là aussi y aurait-il quelque chose de vrai, comme sa soif de conquête, de pouvoir, d’or liquide, absolument pas déchirables du carnet des passions qui l’aimantaient à travailler la langue, le vers, toujours porté sur lui.
Quelqu’un capable de planter un couteau entre les doigts d’un convive au restaurant, quelquefois à peine armé du talent que l’on prête au droïde Bishop d’Alien II dans le même exercice, ce qui pourrait amortir la représentation du poète en homme doux, acquis à la recherche du
bonheur comme volonté, sa résolution.
Peut-être peut-on quitter un peu le chemin tracé en disant que Rimbaud n’est ni vraiment dans l’impressionnisme ni dans l’expressionnisme, il transgresse tout, si l’on tombe sur quelque chose qu’il n’a pas transformé, c’est qu’il l’aura créé, Mallarmé l’avait vu.
« Assez vu », écrit-il dans Départ, il est autant dans le son, que dans l’image ou la couleur, ce qui est est fou, c’est que toute la poésie allemande, italienne, américaine – qui pouvait déjà s’appuyer sur Whitman, bien sûr -, polonaise, s’imprègnent de Rimbaud, tout en fondant le coeur de leur caractère national, si l’on ose la formule, la forge Rimbaud soufflant à plein dans leurs veines, auflauscht die Stirne, droit vers la tête, le cerveau.
Heym, Trakl – dans son Verwandlung des Bösen où les images, semble-t-il, doivent beaucoup au poème Antique -, il poeta pazzo, Campana, et son Giardino Autunnale qui fit splendidement écho aux couleurs qu’on trouve dans Barbare,
Come nell’ali rosse dei fanali
bianca e rossa nell’ombra del fanale
che bianca e lieve e tremula salì.

Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques, est-il si loin ?
Un poète plus dans la science que dans l’impression, sans s’applaudir, sans triompher.

Marc Court dit: à

Merci Xlew de citer Germain Nouveau, trop peu lu aujourd’hui.Nous sommes encore quelques uns à penser que c’est un grand poète, et il fut un temps ou la Pléiade le pensait aussi.
A Vous.
MC

Marc Court dit: à

« Diffusé en France après la chute de Napoléon Ier »
Oui, dans la mesure ou l’école de David tenait tous les postes.
Pourtant, qu’on me pardonne, il y a comme un frémissement déjà dans certaines toiles d’Hubert Robert. Et la peinture historique troubadour nait quelque part dans les dernières commandes de Louis XVI. Elle échappe au « picturesque », nous sommes d’accord!
Voir aussi dans l’Encyclopédie l’article poésie de Diderot,esprit sec et froid sauf Dans Jacques et Le Neveu, mais qui prévoit quelque cinquante ans à l’avance le mouvement romantique.
Bien à vous.
MC

Ruben Kali dit: à

le soleil ruisselait, enveloppait la nue;
sous le mistral du sud que le vent met à nu.
sous la fraicheur du vent, un feuillage doré
Colorait dans les champs un refuge sacré

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*