Solitaire, le traducteur ?
Il y a trois ans s’est déroulée la Fabrique franco-italienne des traducteurs, au Collège International des Traducteurs Littéraires, dans la ville d’Arles. Ce programme novateur venait d’être lancé, permettant à six jeunes professionnels de travailler ensemble pendant plusieurs mois, sous la houlette bienveillante de traducteurs chevronnés dans les mêmes combinaisons de langues. Dans l’espace Van Gogh, cet ancien hôtel-Dieu que le peintre hollandais a représenté en palpitantes couleurs, nous avons expérimenté le dialogue permanent et la critique fructueuse pendant dix semaines.
En effet, les six traductrices que nous sommes, une Belge, trois Italiennes et deux Françaises, portions chacune un projet individuel ; des séances communes nous permettaient de nous pencher tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre, pour passer au crible difficultés, hics et ambiguïtés. Ces discussions mettaient au jour trouvailles, subtiles références culturelles cachées au détour de phrases apparemment anodines, nuances discrètes passées inaperçues… Soudain, nous n’avions plus une sensibilité, un bagage culturel, mais bel et bien six, avec le privilège immense de pouvoir faire appel à une professionnelle de langue source au moindre doute.
Au terme de la Fabrique, aucune d’entre nous ne doutait sur la question : nous venions d’expérimenter ce qui nous apparaissait comme la configuration idéale du travail du traducteur. Nous avons décidé de formaliser ce fonctionnement choral, et meridiem est né quelques mois plus tard.
La traduction littéraire est au cœur de meridiem. Chaque traduction confiée à notre collectif reste le fruit du travail d’une seule traductrice, mais bénéficie, une fois achevée, de regards croisés. Le premier est celui d’une traductrice de langue source, laquelle veille au juste écho du texte original dans le texte traduit. C’est elle qui décèlera un vers d’Ungaretti dissimulé dans une réplique de théâtre ; elle qui confirmera la drôlerie de telle expression typiquement romaine ; elle qui pourra affirmer avec certitude que « troupilounette » n’est pas exactement le diminutif le plus courant qu’une mère donne à son bébé en français, et qu’il faudra donc le traduire en italien tout en respectant l’écart dû à la créativité linguistique de l’auteur. Le second regard, quant à lui, est celui d’une traductrice en langue cible, qui signale une ambiguïté involontaire, suggère un autre adjectif, achève de ciseler le texte.
En fondant meridiem, nous avons conjugué nos sensibilités et nos compétences pour remettre aux éditeurs des travaux qui sont déjà passés au crible de trois regards professionnels – voire plus, pour les passages particulièrement épineux. De façon plus égoïste, nous y avons aussi gagné l’assurance de ne pas perdre, après y avoir goûté, le plaisir du collectif mis au service de la traduction.
Être un collectif, c’est aussi s’informer mutuellement sur les titres dont nous avons entendu parler, évoquer ce que nous avons lu et aimé, et que nous imaginons voir passer les Alpes, dans un sens ou dans l’autre. Nous avons ainsi réuni nos « cartons » personnels pour constituer un fonds de projets de traduction inédits, allant des classiques à la littérature contemporaine, et les mettons à disposition des maisons d’édition.
Où en est meridiem aujourd’hui, un an après sa création ? Nous avons initié plusieurs collaborations avec des éditeurs de littérature générale, de théâtre, d’art, ainsi que des universités. Tandis que chacune d’entre nous poursuit ses propres travaux en Italie et en France, avec Donzelli, Albin Michel, Marsilio, Gallimard ou encore Arléa, meridiem ne cesse de prendre de l’envergure.
À l’heure où l’on publie toujours plus, et toujours plus vite, notre credo reste la défense des textes de qualité et des auteurs, et le maintien d’un haut niveau d’exigence dans notre métier. Tout en nous inscrivant dans une tradition incontestable, nous sommes convaincues que la mise en œuvre de nouvelles méthodes collaboratives est une voie riche en perspectives dans un monde en pleine mutation.
MERIDIEM
collectif de traduction franco-italien (Laura Brignon, Serena Cacchioli, Françoise Antoine, Camilla Diez, Ornella Tajani, Sophie Royère)
(« Une nuit d’hiver à Venise », photo Passou)