de Pierre Assouline

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La République des livres
La Grande Terreur nous regarde

La Grande Terreur nous regarde

On dira que c’est une étrange idée que d’en parler au cœur de l’été, mais il n’y a pas de saison pour cela. Ces photos, ces visages, ces regards, attrapent le lecteur et ne le lâchent pas. Autant dire que ce livre nous regarde. Enfin, un livre… : un album très grand format qui doit bien peser deux kgs mais qui n’a rien du beau-livre. Il ne viendrait d’ailleurs à personne l’envie d’en faire un coffee table book. Vu le contenu, ce serait obscène.

La Grande Terreur en URSS 1937-1938 (traduit du polonais et du russe par Véronique Patte et Agnès Wisniewski, 412 pages, 40 euros, Editions Noir sur Blanc) a bénéficié du concours d’un certain nombre de soutiens et d’auteurs, mais il a un maître d’œuvre, ou plutôt deux : le photographe polonais Tomasz Kizny, à qui l’on doit déjà le projet photographique Goulag (2003), et la journaliste et directrice artistique Dominique Roynette. Ils en ont eu l’idée fixe et en ont été hanté jusqu’à l’achèvement du projet.

La terreur stalinienne ? Il ne s’agit pas là de la traiter dans son ensemble, en y incluant les purges, déportations massives, dékoulakisations, mais uniquement ce que les Russes appelaient la « iejovchtchina » et que les historiens ont baptisé « la Grande Terreur » avec force majuscules, à savoir les purges politiques opérées par le NKVD en 1937-1938. 1,7 million de personnes arrêtées sur l’ensemble du territoire de l’Union soviétique pour « crimes contre l’Etat » dont 750 000 exécutées clandestinement, soit un millier par jour pendant deux ans, enterrées en secret dans des fosses communes. Cela a suscité toute une bibliothèque. On se souvient surtout des livres d’Arthur Koestler et de Robert Conquest, mais peu se sont donnés comme but de la restituer par le regard et le visage.

Au premier abord, c’est un recueil de photos de l’identité judiciaire prises par les fonctionnaires de la police politique (NKVD) quelques jours avant l’exécution. A l’examen, c’est bien plus que cela car Tomasz Kizny a enquêté avec l’association moscovite Memorial ; il a réalisé une véritable topographie de la barbarie moderne en photographiant les lieux d’exécution et d’enterrement, les objets des condamnés, les familles des proches … Ils sont l’autre face indispensable de cette histoire ; car pour eux, ce fut l’attente et le doute des années durant puisque leur parent, interné « sans droit de correspondance », était officiellement membre de l’innombrable tribu des disparus.

Ce massacre systématique à l’échelle d’un pays-continent se voulait entreprise de nettoyage, d’épuration, de prophylaxie sociale. Les coupables sont connus : Staline, Iagoda, Iejov, Beria, Vychinski, Khroutchev, car une postérité de réformateur n’exonère personne d’un passé de bourreau. Sans oublier les complicités internationales, des apparatchiks purs et durs aux idiots utiles en passant par les militants et les compagnons de route. Ceux qui ont couvert, excusé, justifié. Ils ne savaient pas ? Mais au même moment d’autres savaient et le faisaient savoir.

Le parti pris du recueil saute aux yeux dès la couverture. Ni titre, ni auteur, ni éditeur. Juste un portrait, un regard qui nous hante dès lors qu’on le croise et le fixe et cette mention : « Alekseï Grigorievitch Jeltikov. Exécuté à Moscou en 1937 ». Un coup de poing, un choc, une réflexion. Il faut aller voir la tranche du livre pour savoir. Aucun souci d’esthétisation, rien de morbide. Les images sont souvent de qualité (piqué, contraste) car ce sont des clichés 6x9cm tirés d’après des négatifs 13×18 ou 18x24cm. Tout est très précis : nom, origine, fonction, adresse, dates, études… Certains n’ont pas vingt ans, d’autres sont à la fin de leur vie, ils n’ont tous que quelques jours, parfois quelques heures à vivre. Ce J’accuse est d’autant plus terrible que le texte s’y fait modeste par rapport à l’image. Même s’il y en aura toujours, on les entend déjà, pour soupirer d’un « A quoi bon encore ? » face à toute tentative de documenter le crime de masse. Les artisans de la Terreur ont réalisé ces portraits pour identification, tout en activant l’entreprise d’oubli des condamnés. Raté. Avis aux fonctionnaires du massacre : n’archivez jamais !

Dans sa critique du livre, le grand slavisant Georges Nivat a comparé ces portraits soit à des gisants étrusques soit à « des masques d’outre-tombe, sculptés dans une éternité de douleur et d’étonnement », semblables aux milliers de masques tous blancs mais tous différents que l’on peut découvrir à Tokyo en visitant le musée des masques Nô. On ne saurait mieux dire à quel point la terreur stalinienne ne regarde pas que les Russes mais l’humanité.

Ces photos sont à ranger dans une anthologie de la terreur entre les gravures de Goya et les dessins de Music. J’ignore si cela aide à concevoir l’inconcevable. Des documents d’archives sont reproduits, notamment l’administration de l’assassinat et les procédures d’exécution : fusillade dans une « cellule de la mort ». Comprend-on mieux désormais cette volonté d’anéantissement des « ennemis du peuple » dont la logique, une fois mise à nu, fait froid dans le dos si l’on songe qu’elle a fait école, au Kampuchéa notamment ? Dans sa contribution sur « le silence assourdissant des images », Christian Caujolle n’hésite d’ailleurs pas à mettre cet inventaire visuel en parallèle avec celui réalisé par un seul auteur à S-21, le centre de détention et de torture des Khmers rouges. Les clés d’explication sont là, et les historiens (Nicolas Werth notamment invite à « repenser » la Grande Terreur), convoqués à donner des textes autour de ces images, sont souvent convaincants, notamment lorsqu’ils disent l’impuissance des Russes aujourd’hui à circonscrire le Mal dans leur mémoire de la Terreur, comme l’explique l’historien Arseni Roguinski :

« A la différence des nazis qui tuaient essentiellement les « étrangers »- les Juifs, les Polonais, les Russes-, en Russie on tuait essentiellement les Russes, ce que la conscience refuse d’accepter. Dans notre mémoire de la Terreur, nous sommes incapables de répartir les rôles principaux, nous sommes incapables de mettre à leur place les pronoms « nous » et « eux ». »

Mais encore ? Peut-être que la phrase du philosophe Georges Didi-Huberman, spécialiste de l’image, placée en épigraphe de l’album, qui me parut si déroutante de prime abord est, à la réflexion, éclairante :

« Pour savoir, il faut s’imaginer »

 

Cette entrée a été publiée dans Histoire.

630

commentaires

630 Réponses pour La Grande Terreur nous regarde

tentative qu'on évitera de dire scrupuleusement votre dit: à

je lis sur la toile un PDF de S J Gould

Montaigne dit: à

ou dogmatiquement?Qu’est ce mot?dame anna,je ne le cognois point pour autre sens que théologique,et ne saisis point votre pensement.

tentative qu'on évitera de dire scrupuleusement votre dit: à

arriver à dissuader

anna dit: à

mettez donc un pansement sur votre manque à savoir du mot ‘dogmatiquement’ en ancienne philosophie, messire montaigne

Bloom/Piscine Blomet dit: à

Regardons la Grande Terreur en face !

Si t’as l’occasion, Baroz, va voir les collègues du Bureau du livre de nos services culturels à Moscou; ils te rencarderont sur les ‘guidelines’ qui camisolent le Pap en Russie (t’excite pas, camisoler ,c’est une métaphore et le Pap, c’est le Programme d’aide à la publication, pas l’habemus). La moindre trace d’homossessualité et c’est un Niet de l’éditeur…Hervé Guibert en russe? Pourqwa pâs Michel Tremblay…?

bouguereau dit: à

pas l’habemus

..mais c’est l’tien aussi kabloom, plusse on sle partage plus qu’il fait des petits pains..c’est magique épicétou

bouguereau dit: à

– je suis impo.. je suis impo… je suis imposé à l’isf

tes sources, raclure de keupu

bouguereau dit: à

La moindre trace d’homossessualité et c’est un Niet de l’éditeur

pourtant vladimair torse nu tuant les ours a main nu est dans tous les backroom de l.a… et toi baroz? tu l’as dans ta chambre ?

hamlet dit: à

« bouguereau dit: 22 août 2013 à 19 h 31 min
pas l’habemus
..mais c’est l’tien aussi kabloom, plusse on sle partage plus qu’il fait des petits pains..c’est magique épicétou »

hein qu’il est fort mon boubou?
faut faire gaffe à mon boubou, faut pas l’chercher sinon y vous refait à neuf.
je suis fier de toi mon boubou.

hamlet dit: à

« bouguereau dit: 22 août 2013 à 19 h 35 min
La moindre trace d’homossessualité et c’est un Niet de l’éditeur
pourtant vladimair torse nu tuant les ours a main nu est dans tous les backroom de l.a… et toi baroz? tu l’as dans ta chambre ? »

mon boubou faut être gentil avec Jacky.
j’te rappelle que c’est mon témoin à notre mariage.

bouguereau dit: à

..alors tes sources..niet?..da skórava

hamlet dit: à

bouguereau dit: 22 août 2013 à 19 h 32 min
– je suis impo.. je suis impo… je suis imposé à l’isf
tes sources, raclure de keupu

quand mon bouboub est bouguon c’est qu’il a faim ou qu’il veut un petit calinou.
je t’ai déjà dit boubou : pas de calinou avant le mariage!

hamlet dit: à

bouguereau dit: 22 août 2013 à 19 h 40 min
..alors tes sources..niet?..da skórava

mon boubou choubidou énerves toi pas tu vas encore nous péter une durite.

Giovanni Sant'Angelo dit: à


…un détail,…pour rire,…

…Introduction Après ?
…Alain Minc,  » L’après crise est commencé « , 1982 .

… » La crise est devant nous mais la crise est sans doute passée. »
… »…l’informatique, porte en elle les germes de gains de productivité tels qu’ils doivent gager la croissance et le plein emploi.  »
… » …jeux de la société,…suffisamment plastique pour se mouler sur les impératifs du progrès technologique;…elles traduisent son expulsion du champ d’une économie politique devenue prisonnière de sa fascination pour les chiffres et de sa confusion avec la politique économique.  »

…dès la première, t’a tout compris,…
…c’est pas de la  » belle  » objectivité,…ces extraits éparts,…

…en vous lisant sur le blog, autant ne pas se perdre en broderie et couture de fils en aiguilles,…
…relire déjà du  » vieux « ,…que çà fait jeune,…frais et dispo,…etc,…

keupu dit: à

bon grobou m’indispose cesoir jicé..bonne journée

Virginia L dit: à

A ce niveau-là, il est vrai qu’ils ne manquaient d’imagination.

bérénice dit: à

hamlet, le bougue selon vous prêterait ses durites à des taux d’usurier? Autant fumer la cigarette électronique pour la fumée blanche en regardant un portrait de notre bon François l’argentin, c’est inspirant au moins s’il n’est pas facile de rester chaste aucun problème pour la pauvreté en vœu chez Fauchon.

bérénice dit: à

ancienne philosophie…il me semblait que cet adjectif ne s’appliquait pas à la philo j’aurais plutôt écrit classique comme pour la musique qui se joue intemporelle et vraisemblablement atteint aux mêmes endroits de notre sensibilité.

bérénice dit: à

Venons en aux faits, Bloom par exemple bloom et piscine blomet quand vous vous exprimez en français c’est une pure perte, on a cette impression que d’une langue étrangère vous usez pour n’être compris que du plus petit nombre. De quel nombre s’agirait-il? Là nous tombons dans le délit d’initiés. Cela dit j’écris n’importe quoi.

renato dit: à

bérénice,

on dit aussi « musica colta », « musique savante », « art musique », « Kunstmusik ».

renato dit: à

Oups ! « art musique » > « art music »… pardon…

bérénice dit: à

Et en allemand c’est exclu? Kunstmusik?

Giovanni Sant'Angelo dit: à


…Alain Minc,…génial écrivain,…
…à suggestions pour  » Picsou’s « , toujours en manque,…de complots bien ficelés,…

…aussi, la terreur du capitalisme,…

…la crise du pétrole,…
…l’avènement  » préparé « ,de  » Mme Thatcher « ,une main de fer dans un gant de velours,…

…et les 2 tours de New-York,…style  » Dallas lobbying « ,…pour récupérer les sources du pétrole,…en fin de compte,…

…un vaste  » complot planétaire du capitalisme pur et dur,…en douceurs du marquis de Sade,…
…Bienvenu(e)s Ô club,…

…un bon livre  » ancien « ,…pour en être préparer aux blogs,…

…Robert Pinget, L’inquisitoire, 1962,…
…etc,…

cool dit: à

@Bérénice ‘Cela dit j’écris n’importe quoi.’

comme tout le monde

JC..... dit: à

L’énorme différence, c’est que Bérénice – dans un acte d’autoflagellation sublime d’érotisme contenu – le reconnaît, elle !

bérénice dit: à

cool, cependant certains certaines en font profession or quand on sait l’immense fatigue occasionnée par le n’importe quoi qu’on se situe du coté de l’émetteur ou du récepteur le dilettantisme quoiqu’on en pense est préférable à cette volonté louche qui envahit tous les secteurs d’activité de n’attendre que bénéfices d’une activité de fond qui renie les principes élémentaires de la loyauté, de l’honnêteté, de l’équité, de la santé mentale; personne n’a pardonné à DSK de nous priver d’une belle compétence pourquoi devrait-on subir l’insoutenable légèreté des êtres qui ont profité de son crépuscule ridicule? Vous voyez-vous privé de votre liberté pour une passe dans un hôtel de luxe, menace-t-on votre avenir pour des raisons inavouables? Votre réputation souffre-t-elle d’un jupon d’un collier de perles qui se déshabille chaque jour exonéré d’impôt? Vos enfants ont-ils été conduits à l’abattoir?

bérénice dit: à

Alors loisible est de supposer les blocs de pression, le chantage, la menace qui plane sur toutes nos industries, la psychologie des marchés faisant loi autorisant dans une marge s’élargissant toutes sortes d’opérations de diversions d’occupation, les guerriers du pouvoir ponctuellement récompensés ou desservis par le sondage d’une société qui ne trouve plus utile de décloisonner au delà de la conservation d’un ordre établi en faveur du désordre contenu, qui n’a plus non plus le gout pour la couleur qui l’a portée à sa fonction, utilisation récupération et vaste désillusion.

Giovanni Sant'Angelo dit: à


…@,..bérénice, j’apprécie vos observations,…

tentative qu'on évitera de dire scrupuleusement votre dit: à

après un espace de temps, je me premets de signaler le travail de Pascal Convert publié par
Didi Huberman dans « Sur le fil »
« le temp scellé Joseph Epstein bon pour la légende », avec la fiche signalétique de Joseph Epstein 1943

Eric Symak dit: à

Badiou.
encore que maintenant qu’il travaille à Hollywood

Oui et puis l’adaptation des ‘mémoires d’Hadrien’ avec James Blonde c’est surtout les mémoires d’on n’a rien eu parce qu’on qu’on les attend toujours. Classique.

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