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La République des livres
N°25 Badura-Skoda fait des tas

N°25 Badura-Skoda fait des tas

Par Jacques Drillon

Le « champ lexical », les « adversaires » du héros et ses « adjuvants » (!), le « destinateur » et le « destinataire », le « schéma actanciel »… La haine de la littérature.

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Les enfants, qui s’étouffent avec du fromage fondu, du jambon cru. Et avec la viande trop dure, trop longtemps mâchée : la « boule », qu’il faut aller recracher, sous peine de désespoir absolu.

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La « Tribune des critiques de disques », sur France Musique. Depuis des années, les invités commentent des interprétations anonymes, « à l’aveugle ». Comme si l’on pouvait être musicien sans avoir de nom, comme si la musique n’avait pas d’odeur, comme si elle tombait du ciel. Comme si l’on pouvait juger un do-ré-mi-fa-sol sans savoir que c’est Horowitz, ou Lang Lang, qui le joue. Comme si « La femme veut être foutue » avait le même sens dans Baudelaire et dans San-Antonio. La chose en soi, la beauté en soi : la bêtise en soi.

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 Freud, qui voulait qu’on ferme les portes de l’université à tous les croyants. La chose ne manquait pas de logique ; d’autant qu’il ajoutait : « Sauf aux étudiants en théologie, cela va de soi. »

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Le prodigieux nombrilisme des entrepreneurs d’art contemporain : 

 Les tas, c’est moi

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Les dix frères et sœurs de Lewis Carroll, tous gauchers, comme lui, et presque tous bègues, comme lui.

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Catherine Millet en train d’écrire La vie sexuelle de Catherine M ; elle interroge les anciens participants aux partouzes, dont elle veut faire une relation aussi exacte que possible.

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 L’insincérité du silence.

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Hypallages
Philippe Muray parle de « loisirs hagards ». Distractions blêmes, jeux verdâtres, vacances ahuries, amusements hébétés, récréations abruties… (À suivre, l’été prochain.)

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(Muray, suite)
Il note entre guillemets ces « bêtises qu’on fait avant sa naissance ».
Et se demande de qui est la formule. À cette question anthume faisons une réponse posthume : elle est de Hugo (dans les années 1860, à Guernesey).
Il faudra faire quelque chose sur les bêtises qu’on fait après sa mort.

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Les fautes d’orthographe dans les menus de restaurant.

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Tenter, comme cela, par jeu, de renverser des notions communément admises, et dire :
– Donald Trump ne se relèvera pas d’un taux de croissance exorbitant
– Voter est un acte antidémocratique
– Depuis des siècles de domination féminine…
– Les plus gros salaires aux soutiers, le smic au commandant
– Fumer fait vivre
– Jules Ferry a rendu l’instruction interdite
Etc.

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Les obsolètes : Le papier toilette en feuilles beiges, et lisses.

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L’enfant de sept ans qui a tué sa petite sœur à coups de couteau, et qui a expliqué : « C’est pour que Maman souffre toute sa vie. »

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Au restaurant.
Pendant : « Tout se passe bien ? »
Après : « Tout s’est bien passé ? »
Comme si déjeuner était une épreuve (entretien d’embauche, séance de radiothérapie, dépucelage).

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(Dernière minute)
Paul Badura-Skoda, le plus urbain des pianistes, est mort. Les musiciens qui ont la musique viennoise dans le sang, notamment Mozart, au point de passer toute une vie sans faire une faute de goût, ne sont pas si nombreux. En voilà un de moins. Il était un peu brouillon, mais avait le plus beau trille de l’histoire du piano, celui d’Arrau mis à part, et prétendait n’avoir travaillé que cela pendant six mois. Il ne manquait pas de technique, puisque ses Études de Chopin sont parmi les plus réussies, seulement il faisait vraiment beaucoup de fausses notes. Il ne manquait pas d’admiratrices non plus. C’est plutôt d’argent qu’il manquait (cela explique ceci, peut-être). Souvenir personnel :
– Gèr Chacques, ze suis un peu chêné en ce moment…
– Ah.
– Foudriez-fous… Bourriez-fous…
– Oui ?
– Bourriez-fous me brêter deux mille vrancs ?
– Mais oui, cher Paul, volontiers…
– Euh… Trois mille ?

j.drillon@orange.fr

(Tous les vendredis à 7h 30)

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Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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