de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 34 Le sourire mystérieux de Stravinsky

N° 34 Le sourire mystérieux de Stravinsky

Par Jacques Drillon

Joyce à la censure anglaise : « Écrasez-nous, nous sommes des olives. »

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Dans les séries américaines où il est question d’une famille, présence obligatoire d’au moins un adolescent en crise, odieux, à gifler.

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Dans l’imprimerie ancienne, le premier mot d’une page, annoncé en bas de la page précédente – pour garantir le bon ordre des feuillets. C’était la réclame.

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Quoi de plus beau, de plus rond, de plus sain, de plus fort, que les fesses d’un compositeur russe ?
 

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(Russie, suite)
Bakhtine employant les feuilles d’un de ses manuscrits pour se rouler des cigarettes. On avait encore du tabac en Russie, après l’invasion allemande, mais plus de papier. C’est ainsi que de son essai sur le roman d’apprentissage il ne reste que quelques pages.

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(Suite)
Galina Ponomareva raconte que la première question posée par Bakhtine avait été : « Fumez-vous ? » Et comme elle avait répondu par la négative : « J’ai compris alors à quel point était important pour lui – je n’irais pas jusqu’à dire que c’était un rite sacré, mais presque – de communier en fumant, même si c’était une communion muette. » Pour trouver leur chemin vers son appartement enfumé, à Saransk et Moscou, les visiteurs se repéraient à l’odeur (« snif their way », dit la traduction anglaise de G. B. Ponomareva, Vyskazannoe i nevyskazannoe, in DKKKh n°3 (95) : 59-77). Maint témoin rapporte que Bakhtine allumait une cigarette à la précédente, et disait souvent : « Pour certains fumer est nocif, pour d’autres nécessaire. »

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Malraux prêtant la Joconde aux États-Unis en remerciement pour le débarquement.

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Claudio Arrau traversant le hall d’un grand hôtel de Dresde, en 1985 ou 1986, vêtu d’un très long manteau de vison, la bouche légèrement soulignée d’une touche de rouge à lèvres. Il avance à petits pas presque invisibles. Monté sur roulettes ?
Le soir, en costume trois pièces sur mesure, comme un député de droite. Il regarde la pochette d’un CD de Cyril Huvé : « Mon meilleur continuateur », dit-il. Être digne d’avoir un continuateur, ou être le continuateur du plus grand pianiste du monde : laquelle de ces deux sources de fierté est la plus légitime ?
Puis il rejoint les huiles de Philips et les journalistes à la grande table du banquet organisé en son honneur, et pendant le dîner fait poliment la cour à la critique du « Monde ».

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Le garagiste, après la révision : « Encore un peu de patience… Votre voiture est prête dans dix minutes. Elle est en mode aspiration. » Ce qui signifie en français classique : « On fait le ménage dans votre tas de tôle. »

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La musique originale du film de Barbet Schroeder sur Idi Amin Dada, signée Idi Amin Dada.

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Les pianos doubles de Pleyel, autrement nommés « vis-à-vis » :

(Voyant cet instrument, où les deux claviers se font face, une petite fille s’est étonnée : il faut avoir des bras drôlement longs pour jouer des deux côtés à la fois !)
Les deux pianistes jouent sur un instrument unique (deux jeux de cordes, mais une seule table d’harmonie) : les deux parties sont confondues dans une sonorité commune.
Curieusement, le résultat est moins cohérent que lorsqu’ils jouent sur des pianos séparés et différents. Comme si le chemin sonore que chacun doit faire vers l’autre était plus intéressant qu’une union obligatoire. On peut y voir une parabole instructive.

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Les bègues rééduqués, qui se reconnaissent entre eux.

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Le blanc, qui qualifie mille choses qui ne sont pas blanches, mais seulement opposées au noir : le pain, le boudin, le beurre, le chocolat, l’homme… Ou au rouge : le vin, le raisin, la viande.

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Les obsolètes : les motos de petites frappes, minuscules, qui faisaient un bruit d’enfer et n’avançaient pas, les Malaguti.

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Léo Ferré dirigeant l’orchestre face au public.

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Dernière minute.
Pivot quitte l’Académie Goncourt. Le baron Pivot d’Apostrophe. Dont Philippe Muray disait : « Si les éditeurs aiment tant Pivot, me fait remarquer Chantal, c’est justement à cause de la base sacrificielle de son émission. Le fond « sadique » sur lequel elle repose. Ils veulent, bien sûr, les éditeurs, qu’on vende les livres de leurs auteurs. Mais plus encore, irrésistiblement, ce qu’ils désirent c’est qu’on les ravale, ces auteurs, à leur rang d’ilotes, trous du cul de cirque, gladiateurs de merde, serfs fouettés, nègres « marrons » des plantations punis après une tentative d’évasion. »

j.drillon@orange.fr

(Tous les vendredis à 7h 30)

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Les deuxième et troisième séries (Papiers recollésPapiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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