de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 35 Point d’ironie pour Abraham

N° 35 Point d’ironie pour Abraham

Par Jacques Drillon

Personne ne sait
Si c’est Dieu ou le Diable qui gît dans les détails.

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Le suppositoire, qu’il faut introduire par le côté plat, non par le côté pointu. Seule manière de lui faire entendre raison.

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La police de caractères employée sur l’affiche de l’exposition Huysmans : du Rosarivo italique.

On appréciera son empattement quelque peu effronté, et son y en chute de reins.

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Le « sur-dieu » (Horowitz pour Gulda).

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Tout ce qui met Proust et Céline face à face, ou dos à dos : la gigantesque autobiographie de l’un et de l’autre, le quasi livre unique explosé en une demi-douzaine de volumes, l’explosion de la phrase (par dilatation chez l’un, dislocation chez l’autre), le psychologisme du premier et l’anti-psychologisme du second, la manière pour l’un de mettre un point final au roman traditionnel, et pour l’autre de créer le roman moderne, le décrochage brutal dans la diachronie (l’immense saut dans le passé que constitue Un amour de Swann, et le début de Mort à crédit, qui semble concerner l’exercice de la médecine en banlieue, et passe en quelques lignes aux années d’enfance, qui finalement feront tout le roman – quant à D’un château l’autre, son action se déroule au milieu de celle de Rigodon), l’incapacité dans laquelle on est de donner un âge exact aux deux narrateurs, par bouleversement constant de la chronologie, la conscience claire qu’ont les deux auteurs d’écrire le plus grand livre du monde… Sans parler des scènes parallèles, comme la mort de la grand-mère de chacun des deux, les descriptions interminables d’odeurs, qui deviennent abstraites chez l’un et chez l’autre… Et, au bout du compte, deux œuvres, deux visions globales du monde, aussi noires l’une que l’autre, laissées pareillement inachevées – posthume pour une partie du livre de Proust, lacunaire pour Céline (manque l’épisode danois, et Rigodon est posthume)…

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Le sambenito, sorte de chasuble que l’Inquisition ordonnait au condamné de porter quelques mois, quelques années, ou toute sa vie. Y figuraient inscrits, selon les cas, sa faute, son nom, et quelques symboles. Lorsque le coupable était condamné au bûcher, il y montait vêtu du sambenito, qui brûlait aussi – quel gâchis.

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Irmgard Seefried, qui raconte dans ses Mémoires avoir chanté à Vienne sous l’occupation soviétique, après la guerre. Quand elle apportait sa tasse de café à la comtesse, dans les Noces de Figaro, des officiers russes, dans la salle, faisaient un carton sur la tasse.

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(Suite)
Seefried, la voix d’une mère – si les mères avaient une voix.

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Résolution du 1er janvier : ne jamais écrire plus long ni moins long qu’il ne faut.

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Le Talmud, qui prétend qu’avant Abraham, les signes de vieillesse n’existaient pas. En sorte que, Abraham ressemblant à son fils Isaac, on ne savait pas auquel des deux on s’adressait. Abraham a prié, et la vieillesse lui fut accordée.

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(Suite, les marchands du temple)
 

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Les obsolètes : les tasses à café de bistrot vert sombre, basses, avec l’intérieur blanc. Un filet doré quelque part ?

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La filiation directe Céline (le « bla-bla ») –> Debord (la « société du spectacle ») –> Muray (« homo festivus »). Et ça s’arrête là. Fin de l’histoire.

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Le « point d’ironie » d’Alcanter de Brahm, censé révéler l’ironie d’une phrase :


Complètement inutile, ou pis encore, idiot. En revanche, le « point d’interfini » (interfinity mark), inventé par Radim Pesko et Zak Kyes, s’il n’est pas plus utile, est au moins amusant et intelligent. « Une question interfinie, disent les auteurs, est une question à laquelle on peut apporter une infinité de réponses et pas de réponse du tout. L’interfini permet aux opposés de coexister. On peut affirmer : Une question interfinie est toujours plus intéressante que sa réponse ; la réponse à une question interfinie est toujours plus intéressante que la question elle-même. »
Voici ce point d’interfini :


Comme on le voit, c’est une superposition d’interrogation et d’infini.
« Quelques questions interfinies :
Dieu existe-t-il ?
Suis-je éveillé ou endormi ?
Cet article vous a-t-il aidé ?
Comment vous est venue cette idée ? »
On constate en effet que le point d’interrogation est dépassé par ces questions vertigineuses, auxquelles mille réponses peuvent être apportées – et aucune.

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Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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