Le Chili au coeur
Comme tout cela parait loin, surtout pour qui a été contemporain des événements. Olivier Duhamel et Delphine Grouès réussissent à rendre vivants, pour ne pas dire récents, cette mise à mort d’un régime et d’une idée. Le Chili, ou plutôt les Chilis de l’époque : celui de Valparaiso, patrie de Salvador Allende ; celui des Indiens Mapuches au courage légendaire, derniers du continent à se soumettre aux Espagnols, dans le sud, du côté de Temuco et Concepción ; et bien sûr celui de Santiago sans parler des autres. Ils se retrouvent tous dans Carmen et Teo (Stock, 265 pages pages, 19 euros, ici un extrait), un roman qui tente le grand écart entre Histoire et littérature, dans lequel la plupart des personnages, des dialogues, et des situations sont vrais au sein de faits historiques rapportés « aussi exactement que possible ». Air connu mais les auteurs exécutent cette partition avec un brio que seule une intime connaissance de cette musique-là autorisait.
Deux personnages portent l’histoire écrite d’une plume passionnée, vive et précise (passons sur le regrettable « militance » à plusieurs reprises). Teo, à jamais nostalgique du désert et de la nature de son Nord natal, était d’origine grecque et aymara et venait d’un milieu modeste. Sa vision de la politique avait été façonnée par l’intense souvenir de l’assassinat du président Kennedy, nouvelle qu’il apprit à 11 ans à la radio dans un bus et qu’il découvrit le soir à la télévision dans un bar -qui ne se rappelle le lieu et les conditions dans lesquelles un évènement mondial l’a atteint jusqu’à ne faire qu’un dans notre mémoire ?
Carmen, elle, issue de la bourgeoisie de la capitale, c’est la grande tournée latino-américaine du général de Gaulle qui s’est incrustée dans ses jeunes années, surtout l’étape chilienne et l’étape dans l’étape à Rancagua ; elle avait entendu à la radio le fameux discours dans lequel le résistant numero uno louait la fierté, la valeur et le courage du grand peuple chilien, en espagnol s’il vous plait, cela laisse des traces, assurément ! Même si à 20 ans, elle était déjà formée idéologiquement par Beatriz Allende, la fille ainée du leader socialiste, et rendait des services dans la clandestinité comme agent de liaison pour des guérillas censées servir d’arrière-garde au grand frère castriste. Au vrai, en ce tout début des années 70, elle est surtout subjuguée par Miguel Enríquez le charismatique leader du Mir.
Teo et Carmen sont miristes. A travers leur histoire, et c’est tout l’intérêt d’un roman historique à son meilleur lorsqu’il se donne une dimension nettement politique, on voit bien comment le MIR (Movimiento de Izquierda Revolucionaria- la gauche révolutionnaire) s’est d’abord constitué comme un réseau d’amitiés, partisans de dépasser la social-démocratie trop peu radicale pour construire un Etat marxiste-léniniste en prélude à une société communiste.
« Il savait combien la clandestinité rend paranoïaque, mais mieux vaut être parano que naïf »
Bien sûr, les personnages cèdent à un certain romantisme révolutionnaire et à une certaine mystique de la lutte armée, mais sans jamais verser dans le folklore. C’est peu dire qu’ils sont engagés : ils ne vivent que pour ça. On entend en sous-texte les chansons de Violeta Parra et d’Atahualpa Yupanqui :
« …¡Basta ya! ¡Basta Ya!
¡Basta ya que el yanqui mande!El yanqui vive en palacio
Yo vivo en uno ¡barracón!
¿Como es posible que viva
El yanqui mejor que yo?… »
1971, quelle année !… les événements s’étaient bousculés : outre les élections municipales qui avaient donné la moitié des suffrages à l’Unité populaire, ce qui était même un sacré progrès sept mois à peine après les élections présidentielles, le poète Pablo Neruda avait été consacré par le prix Nobel de littérature et Fidel Castro entamait une visite triomphale au Chili… On découvre un Salvador Allende demeurant sur le parvis d’une église pendant un mariage car « ses convictions franc-maçonnes » lui interdisaient d’y entrer.
On trinquait au pisco… On fait connaissance de dirigeants révolutionnaires pls fidèles à leurs idéaux qu’à leurs compagnes… On crée le néologisme tancazo à partir de « tank » pour évoquer le spectre des coups d’Etat militaires jusqu’alors déjoués… On ressuscite des décrets bien opportuns de Marmaduke Grove, lequel dirigea l’éphémère république socialiste du Chili en 1932, afin de permettre au gouvernement de prendre le contrôle de plusieurs banques qui avaient refusé de vendre leurs actions à l’Etat… On découvrait un exemplaire de La Guerre de guérilla dédicacé en ces termes : « A Salvador Allende, que por otros medios trata de obtener lo mismo. Afectuosamente. Che »… Tant de choses vues, lues, entendues qui ne pouvaient rejaillir que sous la plume de bons connaisseurs du Chili, lui politologue et auteur en 1974 déjà du Chili ou la tentative (Gallimard) et elle auteure d’une thèse sur la protestation populaire chilienne.
Le 11 septembre 1973, l’armée dirigée par le général Pinochet en remplacement du général Prats, lance l’assaut sur la Moneda où sont pris au piège le président et les siens. Le premier mort a choisi de se donner la mort, c’est El Perro Olivares, l’un des amis. Allende sera le dernier, en se tirant un coup de fusil dans le palais déserté et pilonné par l’aviation. Douze jours après, Neruda meurt d’un cancer du pancréas à moins qu’il n’ait été empoisonné afin de l’empêcher de se réfugier au Mexique pour y dénoncer les crimes du nouveau pouvoir avec l’écho international dont peut disposer un tout récent nobélisé (plus de cinquante ans ont passé et on spécule encore régulièrement sur les vraies raisons de sa mort). Ceux qui se rendirent dans sa maison pour lui rendre un dernier hommage purent constater qu’elle avait été saccagée par les nervis du régime. Dans les décombres, on distinguait des morceaux de numéros des Lettres Françaises, l’hebdomadaire culturel du Parti, dirigé par Aragon et Pierre Daix. Toute une collection de vieux numéros car la revue ne paraissait plus depuis un an, les Soviétiques ayant annulé leurs milliers d’abonnements à la suite de sa condamnation de l’invasion de la Tchécoslovaquie. « Ironie de l’histoire » relèvent justement les auteurs : après les communistes, les fascistes.
Nombre de silhouettes françaises acquises à l’expérience tentée par Allende parcourent le récit : Régis Debray, bien sûr, mais aussi le poète Michel Deguy, la future productrice Fabienne Servan-Schreiber, l’un des dirigeants de la Ligue communiste le philosophe Henri Weber, la photographe Marie-Laure de Decker, l’ambassadeur de France Pierre de Menthon, le correspondant du Monde à Santiago Pierre Kalfon… Le temps passa. La plupart des exilés auxquels la France accorda l’asile politique décidèrent d’y rester. Ils obtinrent la naturalisation. Carmen et Teo s’y retrouvèrent chacun n’ayant renoncé à rien de ce qui les fondait. Beaucoup étaient des rescapés de la prison et de la torture – et les accents de Mercedes Sosa leur venaient aux lèvres :
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Me dio dos luceros, que cuando los abro,
Perfecto distingo lo negro del blanco
Y en el alto cielo su fondo estrellado
Y en las multitudes el hombre que yo amo…
Sous son nom de Carmen Castillo elle publia Un jour d’Octobre à Santiago (Stock), Ligne de fuite (Barrault), Santiago-Paris, le vol de la mémoire co-écrit avec sa mère Monica Echevarria (Plon) et réalisa nombre de films de fiction et de documentaires sur le Chili ou sur les luttes révolutionnaires notamment pour Arte ainsi que deux films pour le cinéma, maintes fois récompensés dans des festivals. Téo Saavedra, devenu directeur artistique du festival de musiques du monde « Les nuits du sud », publia avec Anne Proenza Les évadés de Santiago (Seuil). Des œuvres dont on ne doute pas qu’elles ont irriguées ce roman qui a le grand mérite de faire revivre non sans émotion un temps dont les enjeux doivent paraitre aujourd’hui archaïques mais pas les principes, les idéaux ni les valeurs.
(« Palais de la Moneda, le 11 septembre 1973, Salvador Allende pendant l’attaque, photo Leopoldo Vargas ou Luis Orlando Lagos ; « Augusto Pinochet, photo Chas Gerretsen, 1973, Chili »)
1 414 Réponses pour Le Chili au coeur
Je pensais plutôt à un appuyé à un zinc racontant une histoire à ses enfants, pas l’acteur.
.apprende une langue pour moi srait la lune..le boug
et apprendre à la fermer?
Jazzi dit: à
Et je me suis laissé dire que tu aurais été journaliste le boug !!!
bouguereau dit: à
mais tu sais bien que jlaisse dire et que j’ai la meilleure part baroz..
La bousemolle qui fait sa coquette. Devinez, devinez, qui je suis… On aura tout vu.
Disons que j’ai appris l’identité de cet imbécile dans des circonstances déjà évoquées. Mais franchement, qui pourrait s’intéresser à ce petit lance-pus ignare, qui noie sa méconnaissance absolue de la langue française dans un galimatias qu’il croit célinien? Le pauvre gars.
Bref, l’identité de bousemolle? Tout le monde s’en fout…
Mais pas de quoi faire le malin. Cependant.
Hurkhurkhurk!
les 2 corniauds sans plumes dans l’cul
« C d’une élégance stupéfiante. D’une douceur extrême. Révèle une confiance en soi éblouissante. »
De ma part à moi, zéro jouissance et lourde ironie.
Moquerie si on préfère.
Et nulle satisfaction à lire ce qui précède.
Gageons que le prochain ouvrage de Gisèle Sapiro, ‘Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?’ (Seuil) sera aussi brillant que ses précédents ouvrages, ‘La guerre des écrivains’ & ‘La responsabilité de l’écrivain’.
Sapiro, signifie originaire de la ville allemande de Spire (Speyer). L’hypothèse Sapir & Whorf 3xJ, ça doit vous dire quelque chose, non? Notre vision du monde déterminée par la façon dont notre langue découpe le réel…
Chez Volonté il y avait une bonne louche de culpabilité et un brin de honte
..bien sûr on peut déterminer rénateau..je l’ai déjà dit mais ça mérite d’être bissé..jusqu’a la révolution française on inscrivait le nom des parents sur la tombe dun assassin
There’s more to the Boug than meets the eye….
‘Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?’
le temps le fait tôt ou tard kabloom..
rose dit: « C d’une élégance stupéfiante. D’une douceur extrême. Révèle une confiance en soi éblouissante. »
De ma part à moi, zéro jouissance et lourde ironie. Moquerie si on préfère. Et nulle satisfaction à lire ce qui précède. »
Mais rose, je l’avais compris ainsi ! c’est bien pour cela que je citais votre commentaire sous celui d’lmd. (Toutefois, encadrez vos citations de guillemets pour ceux qui n’auraient pas lu le commentaire que vous dupliquez, cela évite de vous l’attribuer) Vous deux, dites la même chose, la même colère, la même exaspération comme mon commentaire.
@ L’hypothèse Sapir & Whorf 3xJ, ça doit vous dire quelque chose, non? Notre vision du monde déterminée par la façon dont notre langue découpe le réel…
Désolé, Bloom, cela ne me disait rien. Je suis allé voir… et ça m’a l’air bien intéressant? Je ne l’avais pas intégré dans ma socio. t suis ignorant de pas mal de chose. Merci de me crédit… Je ne crois pas que Bourdieu ait fait trop de cas de cette controverse dans « ce que parler veut dire », mais c’est vieux et je suis peut-étre passé à côté…
Je vous avoue ne pas comprendre non plus le lien avec le futur bouquin de Sapiro Gisèle… Un lien de parenté avec Edward ?…
J’ai eu une journée difficile et suis un brin accablé par la lecture du commentarium ce soir…, mais heureusement réjoui par les observations de quelques vaillantes courageuses.
Bàv
Encore aujourd’hui, bouguereau, je ne comprends pas la culpabilité et la honte pour des faits commis par un ascendet ou pour la sutuation socio-économique d’où on viens : c’est comme la forme du nez, on est nés avec ; mais probablement quelque chose m’échappe.
3xJ, Sapiro Gisèle & Sapir Edward ont des ancêtres à Spire. William Shake aussi…
pour des faits commis par un ascendet ou pour la situation socio-économique d’où on vient
Annie Ernaux et Édouard Louis en ce qui concerne la situation socio-économique.
Renato
Pour les faits, la psycho-généalogie pour saisir les valises de nos ancêtres et les balancer par la fenêtre.
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