de Pierre Assouline

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La République des livres
Murat, prousterie familiale

Murat, prousterie familiale

Un livre peut changer une vie. A ceux qui en doutent encore, on ne saurait trop conseiller la lecture de Proust, roman familial (256 pages, 20 euros, Robert Laffont), l’un des plus beaux et des plus puissants livres de la rentrée. Quoi Proust, encore lui ? Parfaitement. Mais cette autobiographie n’est en rien un essai de plus sur le sujet. Laure Murat (Neuilly sur seine, 1967), lui doit d’avoir été par lui constituée comme sujet ; en lui fournissant le mode d’emploi de son milieu, il l’a faite lectrice active de sa propre vie ; en la dessillant sur la vanité sinon le néant de son petit monde, il l’a sauvée.

Protocole, étiquette, art de vivre, apparence… Tout pour la forme à l’exclusion du fond. Les héritiers de tant de noms illustres de l’Histoire de France en ont fait et en font encore un argument pour voiler une insondable vacuité intellectuelle. Ils font penser à ces personnalités du grand monde parisien qui s’étaient reconnues dans des personnages du premier volume d’A la Recherche du temps perdu dès sa parution en 1919 et se plaignaient de leur portrait ; alors que sans le romancier, elle seraient demeurées à jamais dans les oubliettes de l’Histoire dont nul n’aurait songé à les sortir.

Historienne de la littérature, des questions de genre et de la psychiatrie, professeur à UCLA, Auteure d’une thèse sur le troisième sexe, elle s’est pourtant tenue à une démarche a-historique en se fiant, outre sa mémoire, aux effets que les évènements avaient produits sur elle davantage qu’aux événements eux-mêmes. Par sa naissance, elle est du bâtiment entre noblesse d’Empire et aristocratie d’Ancien régime. Elle parle de l’intérieur quand bien même a-t-elle fui ce « monde d’avant » en quittant les siens à l’âge de 19 ans socialement par la revendication homosexuelle puis géographiquement en s’installant en Californie pour y enseigner à UCLA ; là-bas, elle n’est pas « une Murat » mais Murat.

Du côté paternel, elle est issue de la Maison Murat titrée en 1805 par Napoléon 1er en la personne de Joachim Murat, maréchal de France, prince français et roi de Naples ; du côté maternel, elle est issue de la Maison D’Albert de Luynes élevée au rang ducal en 1619 ; et l’on notera l’ironie avec laquelle elle intitula son essai politique sur la folie L’homme qui se prenait pour Napoléon.

« Avant de savoir lire, je savais que je descendais de Charles VII, de Colbert et de Napoléon, que mes ancêtres s’étaient distingués dans toute l’Europe, à la cour et sur le champ de bataille ».

 La découverte à 20 ans d’A la recherche du temps perdu a agi comme une révélation en lui permettant de décoder les mœurs, us et coutumes de la tribu des siens entre le faubourg Saint-Germain et les châteaux. Elle tresse admirablement son enquête sur son roman familial et son exploration du massif proustien. Marcel Proust avait connu ses arrières-grands-parents des deux côtés. A force de relire la Recherche, de consacrer des articles à son univers (dont un scoop remarqué sur la fréquentation Proust du bordel tenu par Albert Le Cuziat alias Jupien), de recouper les noms réels de sa famille qui s’y trouvent avec ceux des personnages sortis de l’imagination de l’auteur, elle finit par se découvrir que les Guermantes sont… son oncle et sa tante ! Elle nage alors en plein « roman familial » d’où le titre du livre, concept freudien désignant la recomposition imaginaire des liens familiaux

 L’écriture en est étincelante, l’intelligence vive dans le décryptage des mensonges. Savoureux, d’une réjouissante cruauté, son récit est dédramatisé par un humour et un comique enracinés dans l’autodérision. Le snobisme de ce qui reste de ce petit monde ne devrait pas s’en remettre, à supposer qu’on y lit des livres ce qui serait une nouvelle sensationnelle. Fâchée avec sa famille depuis des années, on doute fort que ce livre puisse jamais les rapprocher.

« Le prestige revendiqué et la beauté des formes dans lesquelles je vivais masquaient en réalité le vide sidéral du fond, doublé d’une complaisance pour le mensonge social à peu près permanente »

Maintes fois relue, la Recherche lui a été un rempart existentiel car l’homosexuel y étant érigé en sujet universel, elle se sentit moins exclue de la norme. L’air de rien, dans une langue fluide bannissant tout jargon critique, sans prétendre ajouter sa touche à la proustologie, elle montre à rebours des idées reçues que si la cathédrale de papier édifiée par Proust est bien un éloge émerveillé et admiratif de l’aristocratie, ça se gâte à mi-parcours dans Le côté de Guermantes pour s’achever dans sa plus implacable critique jusqu’au final du Temps retrouvé. Laure Murat voit dans cet effondrement une inversion devenue sa clef de lecture du chef d’œuvre. Il n’est pas de plus bel hommage à la puissance d’émancipation et de consolation exceptionnelle de la littérature.

(« Le général Murat chargeant les Turcs lors de la bataille d’Aboukir » huile sur toile 578 x 968 cm, 1806, de Antoine-Jean Gros, Musée national du château de Versailles ; « Armoiries modernes de la Maison d’Albert de Luynes », D.R.)

Cette entrée a été publiée dans Histoire Littéraire, Littérature de langue française.

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commentaires

833 Réponses pour Murat, prousterie familiale

Samuel dit: à

Pourquoi les lauréats des prix littéraires sont surmédiatisés mais vite oubliés après ?

Samuel dit: à

Pourquoi on ne lit plus Romain Rolland aujourd’hui ?

Soleil vert dit: à

Samuel dit: à
Pourquoi on ne lit plus Romain Rolland aujourd’hui ?

Passou me semble t-il lui a consacré un article, ceci expliquant peut-être cela.

rose dit: à

Contente du Goncourt attribué.
Bravo Jean Baptiste Andréa.

rose dit: à

Et alii,

Question pressante (merci)(avec tous vos liens et soutiens divers).
La tutrice de ma mère envoie mes mails privés/confidentiels, à l’aînée de ma mère.
En a t’elle le droit ?

D. dit: à

Qui a remporté le Goncourt, Rose ?

William Boquet dit: à

Rions un peu

Pas de saint pierre mais du turbot ; on reste dans le plat noble :  »
Le cru 2023 ne déroge pas à la règle et Jean-Baptiste Andrea à peine primé pour son ouvrage Veiller sur elle, le microcosme littéraire est déjà à table. Pour célébrer comme il se doit l’événement, les équipes de Drouant et le chef Romain van Thienen ont sorti l’artillerie lourde ! »
Le Point

renato dit: à

« Question pressante… »

Rose, vous pouvez ajouter ça en pied de page vos mails :

Ce courriel et les documents qui y sont attaches peuvent contenir des informations confidentielles.
Si vous n’êtes pas le destinataire escompte, merci d’en informer l’expéditeur immédiatement et de détruire ce courriel ainsi que tous les documents attaches de votre système informatique. Toute divulgation, distribution ou copie du présent courriel et des documents attaches sans autorisation préalable de son émetteur est interdite.

This e-mail and any attached documents may contain confidential or proprietary information. If you are not the intended recipient, please advise the sender immediately and delete this e-mail and all attached documents from your computer system. Any unauthorised disclosure, distribution or copying hereof is prohibited.

renato dit: à

pied de page DE vos mails

rose dit: à

Jean Baptiste Andréa

rose dit: à

Nouveau billet

rose dit: à

Renato,

Merci.
Copié, collé, mis en note.

Ma question est :
en a t-elle le droit ?

William Boquet dit: à

@en a t-elle le droit ?

A priori, si elle les a volés elle est en tort et leur diffusion ne peut pas être exploitée, « clause » de confidentialité ou pas ; mais si le destinataire lui-même, en l’occurrence votre mère, les lui a remis spontanément ou si elle dispose d’un pouvoir de représentation de votre mère … je ne sais pas

William Boquet dit: à

@Question pressante (merci)(avec tous vos liens et soutiens divers).
La tutrice de ma mère envoie mes mails privés/confidentiels, à l’aînée de ma mère.
En a t’elle le droit ?

Lu ceci, si cela peut vous éclairer. Si il y a tutrice, il doit y avoir décision judiciaire ; le cas échéant, relisez la. A plus loin

Différence entre curatelle et tutelle : une personne sous curatelle a une altération plus modérée de ses capacités qu’une personne sous tutelle. La mesure de curatelle est donc une mesure de protection juridique plus « légère » dans le sens où le curateur conseille la personne protégée pour l’aider à faire valoir ses droits et répondre à ses obligations (ou il le fait avec elle). A l’inverse, le tuteur représente la personne protégée et fait des démarches à sa place et en son nom (en recueillant cependant son avis quand elle peut le formuler). De façon pratique, la signature d’une personne sous tutelle n’a plus de valeur juridique alors qu’en curatelle, elle demeure valable (sauf pour les actes de disposition où le curateur co-signe).

rose dit: à

WB

C’est un courriel entre elle et moi. Sans vol. Elle transmet à la autrui qui est la partie adverse ma réponse en transférant mon mail directement.

rose dit: à

WB

Je sais tout cela etc.
Ma mère sous tutelle n’a plus aucun droit.
Merci de votre réponse.
Je dirai ce que je sais.

En attendant, ni hôpital psychiatrique, ni curatelle et jamais de tutelle.

rose dit: à

WB

Jamais, en aucun cas, je n’ai reçu un mail d’aucun membre de ma fratrie via la tutrice, mail à elle adressée.

Je pense qu’il s’agit d’une faute professionnelle.

William Boquet dit: à

Si vous entretenez une correspondance privée avec la tutrice de votre mère, je ne sais pas … comme renato, j’aurais plutôt tendance à indiquer qu’il s’agit d’une correspondance « personnelle et confidentielle », sans garantie que cela interdise à son destinataire de la diffuser

Jean Langoncet dit: à

@ On vient de retrouver et de traduire la « lettre sur l’histoire de Joan Anderson » de Neal Cassady qu’on croyait perdue à jamais. Chez Seguier. Grosse émotion, JL, la partagerez-vous ?

Merci pour le tuyau ; il faudra juger sur pièce pour savoir si Cassady l’écrivain écrivant est à la hauteur de Cassady l’écrivain incarné dit par d’autres

rose dit: à

WB
Aucune correspondance privée. Échange professionnel. C’est drôle, c’est comme si je ne me faisais pas attendre.
J’envoie un mail à quelqu’un qui l’envoie sans me demander l’autorisation à quelqu’un d’autre, de la partie adverse, c’est une violation de ma correspondance privée.
Hey, WB, je ne suis pas EDM sous le pseudo rose.😂

rose dit: à

C’est drôle (non) c’est comme si je ne me faisais pas comprendre.

rose dit: à

Bonne soirée. Dois finir Soumise de Christine Orban, roman historique milieu des années 1500 sur la sœur de Blaise Pascal, Jacqueline.

Je frémis et je tremble.

William Boquet dit: à

@Échange professionnel

A priori pas de confidentialité ; prenez un avocat

rose dit: à

C fait WB.
Merci.

1650, décalée de 150 ans, une paille. Renaissance.

rose dit: à

Renaissance ?

William Boquet dit: à

Votre avocat vous envoie ici prendre des conseils juridiques sur l’éventuelle violation de vos correspondances « privées » avec la tutrice de votre mère ? Vous faites bien de vous défier de lui ; on n’est jamais trop prudent avec ses propres conseils

rose dit: à

Non
Je l’ai su après avoir vu l’avocat, la violation éventuelle lorsque la directrice de l’Ehpad m’a montré mon mail envoyé par moi à la tutrice qu’elle a réexpédié à la fille aînée de ma mère.
Là, elle m’a traitée de maline parce que je ne parlais pas de ma réponse.
Or, ma mère m’a appris
« Comme on est soi-même on voit les autres ».
Il y a bien une chose qui ne me frôle pas, c’est la malignité (les coups montés, la manipulation).
Je connais la force de l’habitude :
Si la tutrice a fait cela une fois, elle l’a fait cinquante fois.

Or, (et couverts en vermeil) la collusion entre elle et l’aînée sont tellement puissantes que c’est ce qui a maintenu ma mère dans son EHPAD alors que la Juge des Tutelles a rendu et envoyé son ordonnance de retour à son domicile de ma maman.
Stupéfiant mais vrai.

Non, là, je suis sur le cul parce que au point de balancer ce mail, ita est mes mails, comme ça franco, à la fille aînée de ma mère, j’avoue que je ne savais pas que cela atteignait un tel point.

Je suis venue demander de mon propre chef : c’est ma manière de fonctionner. Comme je ne manipule pas, je ne suis pas manipulée. Personne ne me dit « fais-ci, fais-ça ».

rose dit: à

on n’est jamais trop prudent avec ses propres conseils.

Cela, je l’ai appris à mes dépends et vous remercie de me le rappeler.
Merci beaucoup.

rose dit: à

Là, elle m’a traitée de maline parce que je ne parlais pas de ma réponse

La directrice de l’Ehpad.

Qui d’ailleurs, deux fois, m’a posé la même question sur un sujet -du tribunal- qui ne la regarde pas.
La maline c’est elle.

rose dit: à

William BoqUet

J’ai une pensée propre.
(Et dormi deux heures).

Bloom dit: à

Et « L’étranger de Camus » à la première place !

Court et efficace.
Très peu d’étrangers par ailleurs.
En 1999 on était encore dans un siècle où la fermeture des esprits induite par internet n’avait pas entièrement ravagé & les esprits & les rivages des sites. Loco-sites…

honneur de blog dit: à

C’est drôle – non pas du tout – ce blog se transforme en guichet d’ assistance sociale et juridique!

D va sûrement quitter ce blog§ 🙂

JC..... dit: à

Votre Honneur,

Nous autres, slaves de la Grande Russie, assurons les fins de mois difficiles du susnommé Dédé, bien connu des Services Spéciaux !

Pas question qu’il abandonne sa tâche de critique sur blog de l’Occident pervers, ce nid de fourbes inhumains, alors qu’il est rémunéré pour ce travail d’humaniste slavonneux !

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