de Pierre Assouline

en savoir plus

La République des livres
N° 73 Canicule et croissants chauds

N° 73 Canicule et croissants chauds

Par Jacques Drillon

Jacob Blake, sur qui le policier Rusten Sheskey a tiré sept balles dans le dos à bout portant, menotté sur son lit d’hôpital.

*

Le pare-brise de Bérurier, en contreplaqué.

*

Anna Karénine
« Que manque-t-il à la meilleure adaptation [cinématographique] ? Tolstoï. Le vrai Tolstoï, c’est ce qu’on ne peut pas transposer, après qu’on a tout transposé. Anna Karénine est indissociable. Non parce qu’elle ressemble à la vie, mais parce qu’elle ne lui ressemble pas » (Malraux).

*

Les objectifs des iPhone, qui aplatissent tout.

*

Le bruit des sachets de croissants, leur doux froissement.

*

Nicolas Sarkozy, forcé par son professeur de français d’apprendre par cœur La princesse de Clèves. Et ce qui s’est ensuivi.

*

Le foin des artichauts, qui brûle les doigts.

*

Les seins de Monica Bellucci, qui prennent toute la place.

*

Au cinéma
Si la caméra filme de travers l’horizon, le spectateur a l’impression que c’est l’horizon qui penche, et non l’appareil, plus fort que lui.

*

La nouvelle du Hongrois Dezsö Kosztolányi, intitulée Le traducteur cleptomane. Quand le héros doit traduire « douze cuillers en argent », il traduit « dix cuillers en argent » ; « trois rangs de perles » deviennent « deux rangs de perles ».

*

Menuhin, qui se présente à un torero célèbre :
– Yehudi Menuhin.
– É moi yé ous dis merde !

*

Personne ne sait
Combien de fois la place Furstemberg (Fürstenberg) apparaît dans les films américains.

*

Les phrases parfois boiteuses de Haydn, dont le génie fabuleux s’accommodait de mélodies trop longues ou trop courtes, de platitudes harmoniques,  d’accents mal placés…  Le plus grand travailleur que la terre ait porté, le plus fécond, le plus inspiré, le plus fantasque, était aussi un paresseux.

*

Cette espèce de désespoir, qu’on appelait autrefois la « mélancolie canine ». Celle qui envoûte Yvain dans Le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes. Une mélancolie de chien affecte le malade, qui se croit transformé en bête. « Ils ont les yeux secs, creux, jamais humectés de larmes, tout le corps sec et brûlé et le visage sombre et couvert d’horreur et de tristesse » (écrit l’encyclopédiste Vincent de Beauvais, 1184-1264). C’est la lycanthropie des Grecs, l’aliénation des loups-garous.

*

(Suite)
La canicule, c’est une étoile, la plus brillante des étoiles fixes, nommée aussi Sirius, ou étoile du Chien.  Lorsque la Canicule se lève et se couche en même temps que le soleil, au mois d’août, la chaleur qui règne alors prend son nom à cette étoile.

*

(Suite)
Une canicula, c’est en latin une petite chienne ; le mot a donné « chenille », dont la tête ressemble à celle d’une chienne, et la « canaille », une troupe de chiens (« chiennaille »), le bas peuple. Mais la « chienlit » chère à De Gaulle  vient de chier.

***

(Dernière minute)
La mort d’Ornella Volta. Elle n’était pas spécialiste d’Érik Satie, elle était dépositaire d’Érik Satie, comme Paule Thévenin d’Artaud, comme La Grange de Mahler. Elle avait tout Satie en elle, musique, biographie, lettres, photos, idées, dessins, événements, absolument tout: bibliothèque vivante. Poussière, à présent.

*

(Dernière minute)
La fille qui vient de publier Moi les hommes, je les déteste. (Sans virgule après « moi ».) Toute contente, pas gênée.  Et personne pour crier: « La honte ! la honte ! » Un type du gouvernement veut faire retirer le livre des librairies. C’est une réaction idiote, car la censure est toujours idiote. Ce pauvre garçon est chargé de mission au Ministère délégué à l’égalité femmes-hommes. Il veut donc censurer aussi bien les femmes que les hommes.  

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

Si vous n’avez pas reçu le lien sur lequel cliquer pour accéder à ces Petits Papiers, c’est que vous n’êtes pas abonné. Vous pouvez le faire en écrivant à j.drillon@orange.fr, en mentionnant « m’abonner » dans le champ « sujet » ou « objet » du message.
Les deuxième et troisième séries (Papiers recollés, Papiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

Comments are closed.