Quand le secret tue plus que la vérité
Peut-on raisonnablement faire confiance à un homme qui se permet d’écrire des notes cryptées dans ses Pléiades en les maculant à l’égal de vulgaires livres de poche ? M’est avis que non. Si les jurés de la cour d’assises d’Ille –et-Vilaine avaient commencé par là, ils auraient gagné du temps.
L’affaire, comme on dit, défraya la chronique. Vous vous souvenez peut-être de Maurice Agnelet, avocat tenant cabinet au cours Saleya, manipulateur et charismatique, lâche et fourbe, séducteur casqué roulant en BMW 750, grand notable niçois, conseiller municipal, vénérable de sa Loge, président de la Ligue départementale des droits de l’homme, allié de Jean-Dominique Fratoni qui rêvait de récupérer les parts du « Palais de la Méditerranée », casino de la famille Le Roux voisin du sien sur la promenade des Anglais. Avocat et amant d’Agnès Le Roux, Me Agnelet reçut ès-qualités trois millions de francs (nous sommes en 1977) virés en Suisse en contrepartie du vote lors de l’assemblée générale de la S.A. du Palais de la Méditerrannée, somme qu’il s’empressa de détourner à son propre profit. Entre temps, elle avait disparu… Il l’avait assassinée, abandonnant le corps en pleine nature à même le sol près de Monte Cassino en espérant que la décomposition ferait son œuvre.
La Déposition (235 pages, 19 euros, L’Iconoclaste) est remarquablement écrit et composé, d’une main qui tremble parfois car l’émotion allait parfois de pair avec la sidération et l’épuisement, toujours avec dignité, un esprit critique jamais pris en défaut. Un vrai morceau de littérature à ranger aux côtés des classiques du genre, les judicaria de Gide, Simenon, Kessel, sans oublier Jean-Marc Théolleyre, dédicataire de ce livre, homme et journaliste admirables qui suivit les affaires de justice pendant des décennies pour Le Monde.
Pascale Robert-Diard y assure depuis treize ans la chronique judiciaire avec un équilibre et une sérénité d’autant plus remarquables que l’atmosphère des cours de justice est enflammée et violente. Elle a suivi l’affaire Le Roux. Son livre n’en est pas le compte-rendu. C’est d’autre chose qu’il s’agit. De l’après, du lendemain, et donc de l’au-delà de l’affaire. Très précisément du cas de conscience de Guillaume Agnelet, fils de Maurice Agnelet, longtemps soupçonné, accusé, condamné puis acquitté du meurtre de sa maitresse Agnès Le Roux, jusqu’à « la » déposition. Celle du fils qui l’accablait. L’événement si inattendu qu’il n’était même pas redouté. Le détail qui a fait tout provoqué le chaos, réduit le paysage familial à un champ de ruines et envoyé Maurice Agnelet finir ses jours ou presque (20 ans) en prison en 2014.
« La cour d’assises est un lieu d’apartheid. Il y a le côté blanc, celui des victimes, à tout le moins celles et ceux qui demandent à la justice de les reconnaître comme telles, et le côté noir, celui de l’accusé. Par cercles concentriques, cette séparation s’étend aux familles, aux amis des deux parties qui ne se mélangent pas sur les bancs du public. La travée leur sert d’infranchissable frontière. Ce qui est vrai dedans l’est aussi dehors. Il suffit d’observer la curieuse parade qui s’exécute devant le distributeur de boissons ou de friandises vers lequel tout le monde se dirige lors des suspensions d’audience. Une hiérarchie tacite s’y instaure. Les familles et les amis des victimes passent devant, ceux des accusés attendent leur tour »
L’auteure a écrit au fils. Une longue lettre. Il lui a répondu, ils se sont rencontrés à plusieurs reprises, il s’est raconté pour se reconstruire, convaincu qu’il ne pourrait résoudre son « dilemme plus que cornélien » qu’en se trouvant enfin « au pied du pied du pied du mur ». De toute façon, ses parents diraient qu’il était en souffrance depuis longtemps, proche de la folie et qu’il y basculait après avoir tenté de s’adresser à Dieu, ou du moins à son intercesseur le plus connu, François, vous imaginez…
Alors il lui a parlé comme il avait fait sa déposition, animé d’une colère sourde mais inextinguible. Pour se libérer de ce qui l’oppressait depuis si longtemps et respirer enfin : « Parce que le secret tue plus que la vérité » et qu’il en serait mort. Elle a recollé les morceaux autrement. Le récit né de son enquête devrait être le rêve de tout chroniqueur judiciaire car rien ne devrait être frustrant comme de s’arrêter à la fin d’une affaire et de passer à une autre.
On y voit une famille exploser en direct, ses secrets voler en éclats. Rien n’est impudique comme un procès. Rien n’est obscène comme un dossier d’instruction, cœurs et corps mis à nu. L’intimité y est violée jusqu’à l’indécence, les avocats ne reculant devant rien tant que le président ne les rappelle pas à l’ordre. Il faut y avoir assisté une fois au moins pour prendre la mesure de ce que peut être un déballage public de cette nature.
Parfois, Agnelet se lâchait. Surtout devant les siens. Une fois, qui fut la fois de trop, il a dit :
« De toute façon, tant qu’ils ne retrouvent pas le corps, je suis tranquille… Et moi, le corps, je sais où il est ».
Le fils a parfaitement entendu. Désormais il sait. Sa mère aussi a entendu. Elle, elle sait depuis longtemps, et bien d’autres choses encore, car il lui a raconté avoir tiré sur sa maitresse dans son sommeil pendant la Toussaint lors d’un week-end en Italie, mais elle fait celle qui ne veut pas savoir. Comment vivre avec ça quand on est « le bon fils » ? Pas vu pas pris. Une défense en béton pour un être amoral que son cynisme protège du doute. Il avait si peu de sens moral qu’il n’imaginait pas que les siens pussent en avoir.
Les cinq Pléiades de Montaigne, Gide, Rimbaud et les deux d’Hemingway sont pour l’auteur le fil rouge de l’assassinat. Pas pour ce qui y est imprimé mais pour ce qui y est noté. « 17 mai 1977- Genève-PM-PV-Amitiés » « Mercredi 2 novembre 1977 Reclassement dossier PM-PV- Liberté » etc Longtemps, il ne sera question dans sa bouche que de « disparition » d’Agnès Le Roux. Ni meurtre ni assassinat. « Disparition » qui désormais rime étrangement avec « déposition ». Un prétoire, cela sent tellement les planches qu’un rédacteur en chef serait bien inspiré un jour de demander à un critique dramatique de couvrir un procès et à un chroniqueur judiciaire de critiquer une vraie pièce de théâtre. Ils n’en seront pas dépaysés.
Pascale Robert –Diard a de l’attention pour tous, y compris les magistrats dont elle rapporte l’émotion lorsqu’ils donnent lecture de l’article 353 sur l’intime conviction, donnée essentielle dans une affaire toute d’hypothèses, sans scène de crime ni preuve criminelle :
« C’est le plus beau texte de la justice pénale Certains présidents le récitent sans baisser les yeux sur leur code. On reconnaît les plus grands d’entre eux à la façon qu’ils ont d’ne détacher lentement chaque phrase comme s’ils voulaient les faire pénétrer dans la conscience des jurés. On se prend à haïr ceux qui le marmonnent ou avalent ses mots »
acques Vergès soutenait que dans un procès, chaque partie propose son propre montage, au sens cinématographique du terme, et qu’il y manquait non la synthèse, ni l’entre-deux la seule version qui soit la plus proche de la vérité : celle qui fasse la part belle aux incertitudes en restituant « le tremblé de la réalité ». C’est ce qu’a justement réussi Pascale Robert-Diard dans La Déposition qui contient le procès Agnelet en creux, avec une qualité qui fait souvent défaut dans les compte rendus que proposent les journaux : la délicatesse.
(« Maurice Agnelet en 2007 » photo Stéphane Mahé ; « Agnès Le Roux » photo D.R.)
830 Réponses pour Quand le secret tue plus que la vérité
La littérature est le tapis,
les plumes en sont le décor
et, oui, elles ont des couleurs
et toutes les autres qualités
qui les font se distinguer
les unes, éclatantes,
des autres, moins.
Palettement.
Le bon sens – quelque chose d’éminemment subjectif – nous conduit à affirmer haut et fort, kalach en mains :
De toutes les mafias, celle des philosophes est la plus redoutable, suivie de près par celle des historiens !
D. aux multi masques, n’est-il pas un peu nègre, qui nous interprète ici une singulière danse des pseudos ?
Et penser « Dieu » n’entrerait donc pas
dans le champ de la philosophie ?
Qui donne les permis ?
Pour ce qui est de « chimiquement pur »,
voilà peut-être un mythe, assez dur
à obtenir, même en chimie. Il vaut
sans doute mieux se demander
quelle « pureté » est nécessaire
pour la tâche, souvent commune,
à accomplir.
Alambiquement.
@Polémikoeur. dit: 14 mars 2016 à 11 h 00 min
« Un mythe n’est-il pas… »
Pour vous répondre quant à leurs fonctions, quelques variantes du Banquet des Sept Sages à Thalès, rejetant et remplaçant terme à terme les solutions que le roi d’Égypte Amasis a données à neuf questions (Plutarque). :
Questions :
Quel est le plus vieux ?
Quel est le plus grand ?
Quel est le plus beau ?
Quel est le plus sage ?
Quel est le plus commun ?
Quel est le plus utile ?
Quel est le plus nuisible ?
Quel est le plus fort ?
Quel est le plus facile ?
Réponses d’Amasis :
le temps
le monde
la lumière
la vérité
la mort
Dieu
le démon
la fortune
le plaisir
Corrections de Thalès :
Dieu
l’espace
le monde
le temps
l’espérance
la vertu
le vice
la nécessité
ce qui est selon
la nature »
Dumézil Esquisses de mythologie – Quarto Gallimard (55)
Quel est le plus vieux ?
Quel est le plus grand ?
Quel est le plus beau ?
Quel est le plus sage ?
Quel est le plus commun ?
Quel est le plus utile ?
Quel est le plus nuisible ?
Quel est le plus fort ?
Quel est le plus facile ?
Réponses, à remettre dans l’ordre : JC, WGG, Paul Edel, Daaphnée, Christiane, Clopine, M. Court, Bouguereau, Passou…
Christiane,
tu me pardonneras une vulgarité de bon aloi, mais tes questions-réponses AMASIS-THALESCOPICS … c’est exactement ce qui me tue :
On est dans le secoue-mentule-onaniste de banlieues bleues (pâles) !
quel est le statut du livre -enquete de Pascale Robert-Diard ? Roland barthes, dans son nessai critqiue « ecrivains et écrivants »nous permet d’y voir plus clair.
cComme la plupart des journalistes PRD est un « écrivant », selon la définition de Barthes , c’est-à-dire qu’elle « ,témoigne, explique, enseigne », et sa prose n’est qu’ un moyen de communication. « ce qui définit l’écrivant, c’est que son projet de communication est naïf :il n’admet pas que son message se retourne et se ferme sur lui-même, et qu’on puisse y lire, d’une façon diacritique, autre chose que ce qu’il veut dire. Il considère que sa parole met fin à une ambigüité du monde, institue une explication irréversible(même s’il l’admet provisoire), ou une information n incontestable(même s’il se veut modeste enseignant) : alors que pour l’écrivain, on l’a vu, c’est tout le contraire :il sait bien que sa parole intransitive par choix et par labeur, inaugure une ambiguïté, meme si elle se donne pour péremptoire, et qu’elle s’offre paradoxalement comme un silence monumental à déchiffrer, qu’elle ne peut avoir d’autre devise que le mot profond de Jaques Rigaut : et même quand j’affirme, j’interroge encore. »
Jibé dit: 14 mars 2016 à 11 h 41 min
« D. aux multi masques, n’est-il pas un peu nègre, qui nous interprète ici une singulière danse des pseudos ? »
Ça l’occupe. C’t’ un fényant qui s’ennuie
c’est-à-dire qu’elle…
–
elle a toujours fait ça.
ire JAMES BALDWIN, RICHARD WRIGHT, TONI MORRISON, LANGSTON HUGUES, CHESTER HIMES et RALPH ELLISON (« Homme invisible pour qui chantes-tu ?))
—
… Maya Angelou, Louise Meriwheter, Alice Walker, Ernest J. Gaines, LeRoi Jones / Imamu Amear Baraka, Claude McKay, Countee Cullen, Derek Walcott (prix Nobel 1992), Marlon James…you name it.
@Paul Edel dit: 14 mars 2016 à 12 h 44 min
Entièrement d’accord !
Ainsi en est-il de nos jugements nés d’une intime conviction. Ils sont fragiles, gardent à jamais leur part de doute. Des questions sans réponse naîtront au fil du temps . Et si la vérité était plus complexe, plus sombre que celle qui a été retenue.
Ce livre me parait, quelques jours après l’avoir refermé, le portrait d’une chroniqueuse judiciaire qui, pour une fois, a voulu aller au-delà des procès qu’elle suivait avec tout son cœur et son intégrité. Mais, une impression flotte… on peut être vulnérable quand on fait confiance dans de telles circonstances…
Paul Edel
Qualifier un écrivaillon(ne) d’écrivant, n’est ce pas une faute ?… Grave, hein !
Quittons nous sur une dernière obscénité administrative….
Le Nord, devenant « HAUTS DE FRANCE », ça fait « BAS DE PLAFOND », non ? ….
Bloom confond la « littérature noire » avec l’ensemble des livres écrits par des noirs…Les écrivains blancs font-ils tous de la « littérature blanche »?
@JC,
Jibé vous y a trouvé une place…
@M.Court, j’ai trouvé c’était à propos de l’écriture de soi. Merci.
@Paul Edel,
votre commentaire touche du doigt la faille du livre.
@ Georges-Jean,
votre rapport au mythe de la Genèse est comme la « Peau de chagrin »… Ce roman de Balzac est sidérant…
JC….. dit: 14 mars 2016 à 9 h 30 min
Mao arrive avec son petit Livre Rouge
Tiens c’est vrai ça ! L’est toujours pas en Pléiade, l’ours-là… Et Mon gombat non plus !
Oui, Ribouldingue!
On pourrait souligner qu’ à la chute de la maison Savoyarde , répondit l’avènement d’une corporation de schtroumpfs, ainsi surnommés pour leur costume bleu, censé exorciser le précédent. Las, ledit personnel se révéla catastrophique parce qu’inexpérimenté. On est revenu depuis au rouge d’antan. Souhaitons que les autres habitudes liées à ce costume ne perdurent pas.
Pour WGG qui s’inquiète : oui, c’est en gros dérangement depuis 24 heures. Il faut tenter sa chance de temps en temps… jusqu’au retour d’un trafic normal des commentaires.
Eurêka ! Est-ce que ça va durer ? mystère… Un vrai thriller….
Bon, ça a l’air de marcher mes petits chéris…
Paul Edel dit: 14 mars 2016 à 12 h 44 min
Dans le genre péremptoire, Paul et Roland (paix à sa camionnette) ne donnent pas leur part au chat. Ces surdoués de la biopsie du cerveau savent mieux que Pascale Robert-Diard ce qu’elle est, ce qu’elle pense et ce qu’elle fait. Quel charabia savantasse* que cette bartherie, à laquelle Paulo donne onction.
Heureusement que le ridicule ne tue pas, sinon il y aurait encore des frais de nettoyage à faire sur une camionnette.
* On dirait du Sollers tel que fessé dans « Déjeuner chez Tyrannie » de Naulleau le déconoclaste.
Dans le genre péremptoire.. eh ben..oui,vous tenez votre rang.. je prefère etre du côté des analyses argumentées et si précises et attentives de Barthes et des papiers critiques de Sollers que du pitoyable tir aux pigeons de Naulleau..
A paraitre en août prochain: Black Literature and Literary Theory, dir. Jr, Henry Louis Gates, Routledge.
+
http://blackliterature.com/
+
http://www.utsa.edu/aalci/
+
clam up.
combien d’hypersauveurs sociaux abuseurs en série ? on saura jamais
Il n’y a pas qu’à Drouot, où ça déménage. Paul Edel à bout d’argument dans son plaidoyer pro domo, critique littéraire et copinage, fait maintenant le procès ad personam de P. R-D. Laquelle n’à jamais revendiqué le statut d’écrivain, alors que ce livre, ‘la déposition’ est œuvre d’écrivain public, au sens historique. Pour cela notre valeureux critique en bloc, en appelle à Barthes. S’il avait lu le livre, en toute logique, il aurait du appeler à la barre, le maître des foufoucaldiens, qui confondent aveu et confession religieuse. L’aveu, voilà également, qq chose qui continue d’interroger. Et pas que le lecteur.
Petit rappel, votre nouveau pseudo vous va très bien, MCourt !
Paul Edel dit: 14 mars 2016 à 16 h 33 min
Vous allez faire rire notre hôte qui, s’il faut en croire Naulleau, avait piégé Soso (FC, 26 juin 2002) sur Mozart. Quant à la modeste (qualificatif qui point ne vous sied) PRD, pour l’avoir un peu pratiquée tant en public qu’en privé (elle répond quand on lui écrit, elle) je la vois mal ne pas admettre que son message se retourne et se ferme sur lui-même, et qu’on puisse y lire, d’une façon diacritique, autre chose que ce qu’elle veut dire. Je la vois mal considérer que sa parole met fin à une ambigüité du monde, institue une explication irréversible(…), ou une information incontestable (…)
Cerise sur le gâteau.
Et sans rire, il n’y a guère de raison de penser, non plus, que cette phrase- du billet- est légitime:
« Il ( M. Agnelet) avait si peu de sens moral qu’il n’imaginait pas que les siens pussent en avoir. »
Où va se Nietzscher la mémoire, je vous le demande un peu…
La littérature noire américaine a pour principaux thèmes la recherche du temps perdu en traduction, vaste fresque sur le Paris littéraire du 19e s, la condition du promeneur dublinois avant l’Insurrection (McDaid’s, Davy Byrne’s), la place du Bien dans le Mal, et vice versa.
La littérature noire américaine se distingue par l’emploi d’un sociolecte plus proche de l’allemand parlé à Vienne au tournant du siècle que du russe tel que le pratiquaient les Moscovites sous les Romanov.
Une exploration en profondeur de tous ces sujets dans un ouvrage au titre provocateur à paraitre en août prochain chez Routledge:
Black Literature and Literary Theory, dir. Jr, Henry Louis Gates.
Voir également :
830
commentaires