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Bienvenue dans la famille Minchielli

Bienvenue dans la famille Minchielli

Par Romeo Fratti

roméo« Minchielli ». Voilà un nom joliment suggestif, difficile à porter pour tout Italien conscient que minchia ! et minchione signifient respectivement putain ! et couillon (pas le jeu de cartes). Pourtant, on est ici loin, bien loin d’une famille de « blaireaux » susceptible de se voir attribuer des « fichtre ! » (beauté de la langue de Molière oblige, usons et abusons des synonymes qu’elle offre). Tout au plus pourrait-on penser à une famille de fruits de mer, puisque depuis qu’il est au chômage, Lucien Minchielli est comme une « moule » sur son canapé, une « larve échouée sur la banquise télévisée », un « bulot sur son rocher ». En voilà une poétique de la mer, c’est à vous faire rougir une écrevisse.

Lucien Minchielli, 47 ans et d’ascendance italo-russe, est au chômage depuis « 1 an 4 mois et 13 jours » et « quelques secondes ». Sophie, son épouse, ne reconnaît plus la bombasse latine qui l’avait séduite. Sa fille Sarah et Paul, le petit dernier, ne sont pas plus fiers. Mais du jour au lendemain, Lucien Minchielli se prend de passion pour le jogging et s’inscrit au cours de danse classique de Sarah, déclenchant une sorte de remake de Femmes au bord de la crise de nerfs. Le voilà passé subitement du stade de « coquillage » à celui de « squale » dans la « baie d’Oakland ». Monsieur Minchielli est décidément en phase avec les écosystèmes marins ; sa métamorphose a quelque chose d’ovidien et ne laisse personne indifférent : que s’est-il passé dans la tête de ce mollusque quadragénaire désabusé ? Sa mère Maria, ancienne danseuse étoile du Bolchoï, y est-elle pour quelque chose ? Pas si sûr. La raison serait-elle à chercher du côté du retour inattendu de Luigi, le père mystérieux de Lucien, après…47 ans d’absence ?

Pour ce premier roman Comment papa est devenu danseuse étoile (235 pages, 16 euros, Mazarine), Gavin’s Clemente-Ruiz propose une comédie au cadre intimiste à la fois drôle et douce-amère, dont la singularité se situe quelque part entre Billy Elliot, Le Lac des cygnes et Little Miss Sunshine. L’oralité de l’écriture, qui imite le parler « djeun’s », est figurative à souhait, au point que l’on peut parler de style cinématographique : cette saga familiale se suit comme une sitcom.

L’humour, pince-sans-rire et légèrement caustique, se confond avec les points de vue des personnages : il est distillé par touches laconiques, souvent marquées par des parenthèses : « Je ne serai pas dans le cours de Sarah, hein, je te rassure (maman n’a pas l’air rassurée du tout) ». Cette présence humoristique discrète mais efficace s’équilibre parfaitement avec un récit sur le lien familial empreint d’émotion (le personnage de Maria est particulièrement touchant), dont on retiendra trois idées : « La vie rend humble », « la langue française, c’est comme un After Eight. Doux et piquant à la fois » et enfin, bien sûr : « On ne pleure pas chez les Minchielli ».

ROMEO FRATTI

 

Cette entrée a été publiée dans LE COIN DU CRITIQUE SDF.

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