De notre envoyé spécial à Marignan
Marignan, 1515. Il fut un temps où cette date était dans toutes les mémoires et tous les manuels scolaires, accompagnée de l’image traditionnelle du jeune François Ier adoubé sur le champ de bataille par Bayard, « le chevalier sans peur et sans reproche ». Date et image se sont effacées. Le souvenir des Guerres d’Italie aussi, et les causes pour lesquelles elles furent menées, et les noms de ceux qui les menèrent. À peine se souvient-on que les campagnes outre-monts de Charles VIII, Louis XII et François Ier permirent aux « Barbares » français, comme disait le pape Jules II, de se frotter enfin à la civilisation et d’entrer dans la Renaissance.
Comment et pourquoi l’une des figures archétypales du « roman national », l’une des plus belles aussi car la réputation de l’homme n’était pas usurpée, a-t-elle pu, en quelques décennies, disparaître ? N’y aurait-il pas là une injustice flagrante à laquelle il conviendrait de remédier ? C’est à ces questions qu’Yves de Chazournes a choisi de répondre dans une biographie trépidante, menée brides abattues, Bayard, le chevalier oublié ( 380 pages, 22 euros, Fayard)
Yves de Chazournes est journaliste et c’est en journaliste qu’il raconte la vie et les hauts faits d’un homme mort voilà bientôt cinq siècles mais qui, sous sa plume, se révèle d’une étonnante proximité, tant il est vrai que l’héroïsme et la grandeur, l’abnégation et le dévouement à une cause qui dépasse les individus sont intemporels. En cela, Pierre Terrail, chevalier Bayard, né vers 1475 en Dauphiné, tué au combat en 1524, reste un modèle.
Yves de Chazournes dit avoir, en regardant Bayard, pensé à un héros plus contemporain, le colonel Arnaud Beltrame, tombé sous les coups d’un terroriste islamiste après s’être volontairement substitué à la jeune femme que celui-ci avait prise en otage, car certaines attitudes face à la vie, la mort, les valeurs essentielles d’une civilisation ne changent pas. Et c’est de la même manière qu’il aurait écrit la biographie de l’officier de gendarmerie qu’il brosse le portrait de Bayard.
Il ne s’agit ici ni d’histoire universitaire, ni de roman historique, mais de joindre au parfait sérieux de l’enquêteur écumant les archives, les passant au crible de la critique la plus sévère, le rythme, le brio d’un narrateur de haute volée capable de trouver le détail qui fait mouche et peindra d’un trait une ambiance, un portrait. Chazournes use avec brio des techniques qui firent, en leur temps, de Kessel ou Londres, les grands témoins de l’événement destinés à fournir aux historiens de l’avenir des matériaux de première main ; il raconte le passé comme s’il l’avait vécu ; le résultat est époustouflant.
Sous sa plume, la retraite des Français, à l’été 1495, après leur échec à se maintenir à Naples, l’extraordinaire progression des troupes à travers les Apennins, transportant les lourdes pièces d’artillerie, la confrontation, le 6 juillet, avec les troupes de la Ligue de Venise, en meilleure position stratégique, prennent des allures d’épopée, et la fameuse « furia francese » qui impressionna tant l’ennemi, retrouve ici tout son sens. Chazournes ne raconte pas Fornoue, il vous la fait vivre, en correspondant de guerre sur le champ de bataille, tout comme il vous fait vivre Marignan. Avec lui, l’intensité de l’affrontement, l’horreur et la violence de ces combats, en partie nocturnes, qui se prolongeront plus de vingt-quatre heures, au corps à corps, deviennent tangibles. D’une anecdote, -François Ir réclamant à boire mais pris de nausées quand il se rend compte que l’eau qu’il absorbe est mêlée de sang … -, il ressuscite la réalité dans ce qu’elle peut avoir de plus crue.
À ses talents de narrateur, Yves de Chazournes ajoute un sens de la psychologie qui lui permet de brosser de Bayard, en dépit de sources lacunaires, ce qu’il ne cache pas, notamment en ce qui concerne la vie sentimentale d’un homme qui ne se maria jamais mais eût au moins une fille reconnue, de la biographie, un portrait tout en nuances et finesse. L’admirable est que l’image du héros de légende résiste à la critique. Courtois avec les dames, chevaleresque sur le champ de bataille, fidèle à son roi, Bayard est irréprochable.
S’est-il trompé d’époque ? Certains l’ont dit, voyant en lui un nostalgique d’une chevalerie, pourtant bien étrillée, en 1415, à Azincourt face aux archers anglais, qui n’acceptait ni les changements des mentalités ni ceux des techniques. Ce n’est pas faux : Bayard, héritier de la grande tradition des charges de cavalerie et des méthodes médiévales de combattre, éprouvera toujours un profond mépris envers l’avènement de la piétaille, des armes à feu et de l’artillerie. Cruel pied de nez du destin, il meurt d’une blessure infligée par une arquebuse, arme des lâches . Encore sait-il transformer ce trépas, qui se fera douloureusement attendre, en une ultime leçon de grandeur et de chevalerie, déplorant de ne pouvoir faire à son souverain « plus long service ».
Les troupes ennemies rendront à ce petit seigneur dauphinois, qui n’exerça jamais de commandements d’importance, les honneurs dus aux plus grands capitaines. C’était mérité. À l’approche du cinquième centenaire de sa mort, cette biographie vient à point pour inciter à rendre à Bayard toute la place qui est la sienne, et le tombeau qui, curieusement, lui fait encore défaut.
ANNE BERNET
(« Le chevalier Bayard adoubant François 1er » illustration D.R.)
6 Réponses pour De notre envoyé spécial à Marignan
A défaut de tombeau, un château !
Je ne comprends pas cette tribune a la gloire de Pierre du Terrail de Bayard, toute en regrets et approximations, pour un récit qui fleure bon la récupération.
Dommage, cette légende méritait mieux.
C’etait de la part de votre envoyee spéciale a Pontcharra.
06/03/2022, 8h32
Vous ne comprenez jamais rien!
Le renouveau, ce fut d’abord Alfred de Terrebasse qui l’initia au Dix-Neuvième siècle.On peut encore l’utiliser aujourd’hui. A tout Seigneur, tout Honneur
Renouveau, parce qu’au Dix-Huitieme siècle, on tombe dans la mauvaise tragédie de De Belloy, « Gaston (de Foix) et Bayard »; comme disait le Marechal de Gramont à Louis XV qui le sommait d’applaudir Le Siege de Calais, du même: « Je voudrais qu’il y ait autant de bons français dans la salle qu’il y a de mauvais vers dans cette piece! » On peut le dire aussi de Gaston et Bayard!
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