De quoi faire lire les illettrés
Bastos à crédit s’adresse « …à ceux qui n’aiment pas lire. C’est court, y a des illustrations. Si t’en lis plein comme ça, t’as lu un gros livre » dixit le délicieux Jean-Pascal Zadi, l’auteur. Question posée : comment faire lire la tribu des illettrés ? Attirer le regard sur la chose écrite des néanderthaliens d’aujourd’hui ? Autrement dit : les jeunes… C’est le défi auto-lancé par cette fraîche et prometteuse maison d’édition pleine de hardiesse et d’optimisme : Izarts, qui évoque phonétiquement ces chamois des Pyrénées, maîtres des pentes escarpées et rocailleuses, réservées aux corps souples et aux esprits équilibrés.
L’éditeur pour cette course sélective a choisi un champion emblématique, rappeur, cinéaste, Jean Pascal Zadi, bien connu des amateurs de Canal plus, brillant animateur du « Before ». Jipé », le grand « Jipé », âme altruiste, a donc décidé de faire lire ses contemporains. L’histoire : Ernesto, glandeur de banlieue défavorisée doit payer à un gangster sans humour une dette de 9000 euros sous 24 heures. Il y a du sang, du cul, des formules et une désinvolture sympathique qui fait l’atmosphère.
« Faire lire », voilà l’affaire. Comme le dit l’auteur dans une interview pleine de sens sur « collection-crame.fr », l’idée est qu’un livre pour être lu, doit passer « comme une lettre à la poste ». Une dragée à déglutir sans mâcher. On le rassure, c’est le cas. Et c’est vrai qu’il y a une volonté de faciliter les choses pour les cerveaux juvéniles à capacité d’attention réduite, aux capacités conceptuelles embryonnaires et sensibles aux courants d’air. « Faciliter », règle emblématique du temps. Pas long, pas compliqué, frugalité de vocabulaire, économie de style, chemin balisé, confort. Il y a des efforts dans ce livre. Seront-ils suffisants pour déciller une génération qui ne communique que par signaux verbaux, en écriture phonétique par réseaux sociaux ou textos ? Comment contourner le handicap de la cécité littéraire, inventer le braille du 21ème siècle ?
Précurseur, Jean Pascal Zadi propose un sésame pour ouvrir l’accès à la chose écrite : en faire une chose parlée. Le livre, malgré sa volonté innovante, s’inscrit dans une tradition. Le style parlé a des représentants historiques, Louis Ferdinand Céline bien sûr, dont les interviews de « oufs » que l’auteur a vues sur you-tube, plus que les livres qu’il n’affirme pas avoir lus, l’ont inspiré au point de vouloir rendre hommage au grand Mort à Crédit par un Bastos à crédit d’épaisseur et d’ambition plus diététique.
Mais, attention « Jipé », le vieux Ferdinand ne se laisse pas faire si facilement. Il n’a jamais été partageur. Il a même pour ses disciples auto-désignés une tendance peu confraternelle à la mise à distance. Le parlé dans l’écrit, dit-il :
«… c’est moins simple qu’il n’y parait. Il faut traverser le langage parlé. On peut prendre dans le langage populaire, ce qu’on appelle des vannes…c’est-à-dire dans n’importe quel bistrot, on entend évidemment des mots qui sont drôles et des formules qui sont curieuses. Mais ça n’a pas de longueur… » .
Ça n’a pas de longueur…il a raison le Docteur Destouches, c’est le problème de l’écrivain, la longueur. Faire parler un livre, ça demande un boulot de romain. Il faut savoir tailler, transformer, alchimiser. C’est très compliqué. « Bastos » manque un peu de sueur. On sent le « vite fait », mais il y a un charme et une logique : « pour ne pas prendre la tête » du lecteur, l’auteur ne doit pas se prendre la sienne. C’est donc léger et vif et imagé. Visuel, on y est… Le livre déroule une succession d’images et pourrait d’ailleurs se réclamer de l’héritage génétique de la bande dessinée.
La ligne claire d’Hergé transposée dans un nouveau genre: « la bande parlée ». Des images avec des sous titres. Un livre cinématographique, de ces films qu’on digère en croquant des pop-corns sans attention, à l’américaine. Mais à l’américaine francisée, sans la méchanceté et la tristesse des grands polars noirs. Quand on a beaucoup apprécié, ce qui est mon cas, les films de l’auteur Cramé, American gangster, on regarde Bastos et on l’écoute. Une manière pour « faire lire » aujourd’hui ? Tentez l’expérience.
N.B. : L’auteur Jean-Pascal Zadi dédicacera son livre dimanche 8 au Salon du livre d’Issy-les-Moulineaux « Par Issy la rentrée littéraire »
(« Antoine Sénanque » photo ; « Jean-Pascal Zadi » photo Sacha Héron)
3 Réponses pour De quoi faire lire les illettrés
Bonjour Docteur,
Devant Canal+, à l’heure des guignols, ou devant un doc animalier sur les isards parqués dans les Pyrénées, Vous prenez quelle sauce sur votre kebab ?
Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des ouvriers de l’usine de Gad !
Liberez le ghetto d’Issy les Moulineaux !
http://www.polars-addict.com/polars/origine/auteurs-americains/
Mercredi, le rappeur et réalisateur Jean-Pascal Zadi a mis sur le même plan, dans une chronique, les « partouzes » impliquant Dominique Strauss-Kahn et les tournantes.
« Dernièrement, Manuel Valls a parlé d’apartheid en parlant de la banlieue. Et avec cette affaire, on en a la preuve : quand Dominique fait des partouzes avec ses potes avocats, anciens keufs, patrons, on appelle ça des parties fines, alors que quand les petits frères font les mêmes choses dans les cités on appelle ça des tournantes… »
Nour-Eddine Zidane, le rédacteur en chef du Mouv’, qui anime le 20#20, l’émission dans laquelle la chronique est diffusée, a aussitôt réagi : « Non ! Non ! Là je ne peux pas te laisser dire ça, parce que, sérieusement, la différence c’est quand même que les tournantes ce n’est pas consenti. C’est un crime. »
Intéressant, dites donc, votre Jean-Pascal Zadi. Il est vrai qu’il peut se permettre de lâcher quelques âneries simplificatrices, n’étant pas (encore) prix Nobel de littérature….
Ahhhh!!!!!!
Les ballets roses d’antan !.
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