En hommage à Louise Glück
L’IRIS SAUVAGE
Au bout de ma souffrance
il y avait une porte.
Ecoute-moi : ce que tu nommes mort
je me rappelle.
Au-dessus, des bruits, des branches de pin remuant.
Puis rien. Un faible soleil
clignotait sur le sol aride.
Il est terrible de survivre
conscience
ensevelie dans la terre noire.
Puis ce fut fini : ce que tu redoutes, n’être
qu’une âme, incapable
de parler, se termine abruptement, la terre roide
fléchit un peu. Et ce que je prenais pour
des oiseaux pointe en arbrisseaux.
A toi qui ne te rappelles pas
l’arrivée de l’autre monde
je te dis que j’ai pu parler à nouveau : tout ce qui
revient de l’oubli revient
pour trouver une voix :
du centre de ma vie a jailli
une grande source, bleu foncé
ombrant l’azur d’une eau marine.
(THE WILD IRIS
At the end of my suffering
there was a door.
Hear me out: that which you call death
I remember.
Overhead, noises, branches of the pine shifting.
Then nothing. The weak sun
flickered over the dry surface.
It is terrible to survive
as consciousness
buried in the dark earth.
Then it was over: that which you fear, being
a soul and unable
to speak, ending abruptly, the stiff earth
bending a little. And what I took to be
birds darting in low shrubs.
You who do not remember
passage from the other world
I tell you I could speak again: whatever
returns from oblivion returns
to find a voice:
from the center of my life came
a great fountain, deep blue
shadows on azure seawater).
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Ange Jourdan-Gueyer
(extrait du volume The Wild Iris, 1992 de Louise Glück, prix Pulitzer 1993, prix Nobel de littérature 2020)
(…) Il est très étrange de me tenir debout ici, à vous souhaiter la désolation, comme une méchante fée sur un berceau. Vous avez tous la vocation d’apprendre. Et vous avez reçu ici un bon enseignement. Réalisez, à présent, que l’appauvrissement est aussi un professeur, unique dans sa capacité de renouvellement, et que sa productivité, lorsqu’il prend fin, est une ouverture passionnée qui, à son tour, réinvestit le monde de signification. Ce que je me rappelle de tels moments est la gratitude : le fait d’être né nous plonge dans le monde sans le bagage de l’immensité quotidienne de ce don. Vivre dans le monde en l’absence d’un tel savoir peut ne pas être tragique : je n’en sais rien ; je n’ai pas l’expérience prolongée d’une telle vie. Mais je pense qu’une certaine intensité de conscience doit être perdue puisqu’elle est liée au contraste. Et cette intensité vient en contrecoup de l’appauvrissement, et c’est une grâce : ce qui succède à l’obscurité temporaire, ce qui succède au vide ou au désert, n’est pas le don premier du monde mais le don second essentiel du savoir, le sens de l’importance du don originel, la mesure de notre privilège.
(extrait de De l’appauvrissement [On impoverishment,Baccalaureate address, Williams college, 1993. Texte inséré à la fin du recueil PROOFS & THEORIES, Essays on poetry, édité par The Ecco Press, 1994, pp. 129-134] Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Ange Jourdan-Gueyer
5 Réponses pour En hommage à Louise Glück
Ci-dessous une traduction alternative:
L’IRIS SAUVAGE
Au bout de ma souffrance
il y avait une porte.
Ecoute-moi bien : ce que tu nommes la mort
je m’en rappelle.
En haut, des bruits, des branches de pin qui remuent.
Puis plus rien. Le faible soleil
vacille sur le sol aride.
Il est atroce de se survivre
comme conscience
enfouie dans la terre noire.
Puis vint la fin : ce que tu crains, être
une âme privée
de parole, une terminaison brusque, la terre dure
qui s’incurve légèrement. Et ces petits arbustes élancés
que je prenais pour des oiseaux.
A toi qui ne te rappelles pas
La voie vers l’autre monde
je te dis que j’ai pu me remettre à parler: tout ce qui revient de l’oubli revient
pour trouver une voix :
du centre de ma vie a jailli
une grande source, bleu profond
des ombres sur l’azur des eaux marines.
je m’en rappelle.
bloom, je crois qu’on dit je me le rappelle et je m’en souviens
Très juste, et alii, je m’en souviens, maintenant. Avec la correction:
L’IRIS SAUVAGE
Au bout de ma souffrance
il y avait une porte.
Ecoute-moi bien : ce que tu nommes la mort
je m’en souviens.
En haut, des bruits, des branches de pin qui remuent.
Puis plus rien. Le faible soleil
vacille sur le sol aride.
Il est atroce de se survivre
comme conscience
enfouie dans la terre noire.
Puis vint la fin : ce que tu crains, être
une âme privée
de parole, une terminaison brusque, la terre dure
qui s’incurve légèrement. Et ces petits arbustes élancés
que je prenais pour des oiseaux.
A toi qui ne te rappelles pas
La voie vers l’autre monde
je te dis que j’ai pu me remettre à parler: tout ce qui revient de l’oubli revient
pour trouver une voix :
du centre de ma vie a jailli
une grande source, bleu profond
des ombres sur l’azur des eaux marines.
Merci des variantes proposées : toutes sont possibles, même les fautes de grammaire (on s’en fiche) pourvu qu’elles réussissent à exprimer la voix poétique. Celle de Louise Glück sourd des profondeurs. Ici, elle prend son élan sous couvert d’une métaphore végétale, elle émerge des limbes, de la longue nuit de l’hiver, à la recherche de la lumière. Ce « that which… I remember » est vraiment difficile à traduire. Peut-être aurais-je dû oser : « Je me rappelle de ça – que tu nommes mort » ?
C’est une poésie qui ne me touche pas particulièrement. Je relirai le poème une autre fois, peut-être que le chemin sera différent.
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