La grande beauté de certains scénarios
Les livres sur le cinéma sont le plus souvent décevants- quand ils existent ! Ceci explique probablement cela, et leur médiocrité, leur rareté. Au mieux, un recueil de souvenirs, d’anecdotes, de choses vues et de bons mots correctement mis en forme par un autre que le mémorialiste. Au pire, la même chose sans même le plaisir de lecture tant l’hyperbole et les superlatifs gâchent tout (les Mémoires de Charlie Chaplin pourraient figurer dans une anthologie du ratage : moi, moi, moi et les autres). On connait bien les quelques exceptions qui confirment la règle.
Les entretiens Hitchcock/Truffaut, un grand livre en effet que ce « Hitchbook » est le plus souvent cité mais il remonte tout de même à 1966. La collection Ramsay Poche Cinéma, dédiée au cinéma que l’éditeur Jean-Pierre Ramsay lança au milieu des années 80, combla les vœux des cinéphiles. Depuis, presque seul Capricci assure l’essentiel du travail et c’est assez remarquable par l’ambition intellectuelle et le champ historique couvert (voir ici). S’il n’évite pas toujours les écueils susnommés, Les Aventures d’un scénariste à Hollywood (Which Lie Did I Tell ? More Adventures in the Screen Trade, traduit de l’anglais par Jean Rousselot, 395 pages, 23 euros, Capricci) a attiré mon œil par le nom de l’auteur, naturellement, dont Jean-Patrick Manchette, passionné par les techniques d’écriture, admirait l’habileté.
Car l’écriture de William Goldman est derrière des films tels que Butch Cassidy et le Kid, Les Hommes du président, Marathon Man, L’Etoffe des héros, Un pont trop loin, Misery, les Pleins pouvoirs, notamment. Un scénariste travaille généralement sur comme, qu’il s’agisse d’une idée originale ou de l’adaptation d’un livre. Goldman reconnait qu’au départ, il ne sait à peu près rien du sujet ou des principaux personnages. Car tout de même, à moins de vivre en ermite sur une île coupée de toute communication, tout Américain avait entendu parler du Watergate ; mais Goldman était de ceux auxquels les noms de Bob Woodward et Carl Bernstein, les deux reporters du Washington Post à l’origine des révélations du scandale, ne disaient rien. Ce qui n’est pas plus mal au fond. De quoi assurer une certaine virginité dans la lecture de l’affaire, un je-ne-sais-quoi de recul et distance qui favorise un regard neuf sur une question rebattue.
Ainsi, la première chose qui frappa le scénariste après examen du dossier fut l’incompétence des cambrioleurs du siège du parti démocrate et il insista sur ce point. Le film respecta à peu près le scénario et il fut un succès ; mais si c’était à refaire, Goldman ne se serait jamais emparé des Hommes du président, le livre. Car tant Robert Redford, qui voulait absolument y coller trois scènes d’amour, qu’Alan Pakula, qui était l’irrésolution même, lui ont faite écrire tant de scènes finalement inutiles auxquelles il n’avait jamais crû qu’il en demeura le souvenir d’un cauchemar. Avec Un Pont trop loin, film de guerre sur la libération de l’Europe en 1944-1945 vue d’un pont stratégique en Hollande, tout avait été fidèlement et scrupuleusement respecté ; mais il y avait tellement de faits, d’évènements, d’histoires à raconter… Au fond une histoire de cavalerie qui arrive pour sauver tout le monde à ceci près qu’elle n’arrive pas à temps et reste bloquée à un km. Bref, un échec, le film aussi. Il était pourtant d’une exactitude exemplaire. Alors ?
« Nous étions trop vrais pour être vrais ».
S’agissant de Misery, l’histoire d’un écrivain immobilisé avec une jambe de plâtre au lit dans sa maison de campagne isolée et tyrannisée par une aide assez sadique (on est chez Stephen King, ça se termine dans une orgie d’hémoglobine), le principal problème fut le choix de l’acteur principal. Nul ne voulait du rôle : ni Pacino, ni Hoffmann, ni Dreyfuss, ni de Niro, ni Hackman, ni Redford, ni Beatty, ni… Jusqu’à ce que James Caan accepte avec un enthousiasme sans mélange. Malgré sa réussite à l’écran, le scénariste est convaincu avec le recul que Richard Gere aurait été le meilleur de tous pour le rôle. Un mystère demeure : pourquoi nul n’avait songé à lui proposer le rôle ?
Le livre fourmille de ce genre d’histoires édifiantes ou plaisantes à lire mais il ne faut pas lui en demande d’avantage. Si bon soit-il, un scénariste n’est qu’un scénariste. En bavardant un jour avec Graham Greene, à l’évocation de son scénario du Troisième homme de Carol Reed, un classique inépuisable, il me lâcha ceci :
« Au début du projet, tout repose sur le scénariste, il est le personnage le plus important, on est aux petits soins avec lui, on ne le lâche pas, on le flatte ; au milieu du parcours, on le bouscule car le temps presse et chacun veut mettre son grain de sel dans le texte ; à la fin, il n’est même pas invité à la projection de l’avant-première ».
On ignore si ce fut le cas d’Umberto Contarella, scénariste de La grande belleza (traduit de l’italien par Anna Colao, 200 pages, 21 euros, Séguier), l’inoubliable film de Paolo Sorrentino (oui, il y a d’autres réalisateurs que Nanni Moretti en Italie). Il n’en est pas question dans ce livre que les deux co-signent, et pour cause : il s’agit du script du film. Mais celui-ci appartient à la catégorie d’exception des textes qui se savourent autant, quoique différemment, à la lecture qu’au visionnage. Il s’agit de bien autre chose que d’un intérieur Jour/ extérieur nuit. C’est très écrit, ciselé même, et on a un plaisir fou à retrouver les saillies de ce séducteur de Jep Gambardella, le dandy qui promène son désenchantement dans les folles nuits de la dite haute société romaine, chroniqueur alimentaire baladant sa nonchalance désabusée de fête en fête peuplées de créatures néo-felliniennes sur fond sonore de Far L’Amore, auteur d’un unique livre par impuissance avouée à aller au-delà tant il est pris dans la tourbillon de la facilité et le piège de la mondanité.
La scène 29, qui se déroule sur la terrasse d’un appartement chic à l’heure d’un cocktail, est un morceau d’anthologie. Long de quelques pages, il réunit plusieurs vieux amis qui se livrent aux délices de la conversation vacharde quand le héros, après un certain nombre de gin tonic, décide de pousser le curseur et, calmement et en évitant toute gajouterie (c’est encore plus terrible sans une once d’agressivité), dit son fait à Stefania, une pédante du parti de la bien-pensance ; la tension va crescendo à mesure qu’il balance sur la vacuité de ses prétendus engagements politiques, sa vie privée chaotique, celle de son mari qui la trompe avec un autre homme, l’échec de leurs vies sur fond de glaçons tintant dans les verres et de musique d’Arvo Pärt, jusqu’à la révélation de trop qui la fait partir la tête basse, elle qui se prétendait « femme avec des cojones » pour exalter son propre courage civique dans l’Italie des années de plomb.
C’est d’une cruauté sans nom, d’une ironie mordante et d’un humour ravageur. De quoi nous envoyer revoir le film quand bien même l’aurait-on déjà vu plusieurs fois. Ne fut-ce que pour ses leçons de vie : il ne faut jamais pleurer à l’enterrement d’un ami car il serait indélicat sinon immoral de voler la vedette à la famille en de telles circonstances… Et que nous importe au fond si Jep Gambardella n’a jamais trouvé la Grande Beauté puisqu’il nous a emmenés à sa quête…
(Dustin Hoffman dans Marathon Man » et « Toni Servillo dans La grande belleza » photos D.R.)
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