
Moisson de rentrée (1)
Profession du père (320 pages, 19 euros, Grasset) de Sorj Chalandon . Chapeau, Chalandon ! On sait que la figure du père traverse toute son œuvre, elle y est omniprésente (et ça le fait pleurer à chaque fois, au secours !). Le narrateur est un pré-adolescent d’une ville de province dans les années 60 qui raconte son père, un tyran domestique, mythomane, manipulateur, complètement allumé, qui le cogne un jour sur deux, insulte et humilie sa femme, crache sur toute la société, un beauf qui a exercé tous les métiers avant de devenir parachutiste OAS, demeuré ultra de l’Algérie française qui rêve de tuer le Général. Le style est sec, rapide, efficace. Souriant malgré les coups et la bêtise au front de taureau. Sans une légère tendance au misérabilisme, cela aurait été mieux encore.
La petite femelle (720 pages, 23 euros, Julliard) de Philippe Jaenada. Son précédent livre Sulak était épatant. Sur le même mode, bien dans sa manière qui lui réussit si bien, et qui consiste à s’emparer d’un fait divers, à le fictionnaliser tout en mettant en scène son enquête et lui au centre avec force détails et digressions, parfois pleines d’humour, parfois envahissantes lorsqu’il nous parle de sa propre femme ou qu’il s’étend sur la biographie de chacune des personnes croisées en prison par son héroïne, l’auteur récidive avec Pauline Dubuisson. Un grand fait divers des années 50 (une femme assassine de sang-froid son amant) que presque tout le monde connaît, du moins ceux qui ont de la mémoire.
Toute la France s’en était mêlée pour en faire un monstre. Il est vrai qu’elle était une tondue de la Libération et lui un garçon de bonne famille. Elle inspira à Clouzot La Vérité avec Bardot, Frey et Charrier. Il est bien, ce livre. L’empathie de Jaenada pour sa Pauline meurtrière, si peu écoutée en son temps qu’il veut lui rendre justice en lui donnant la parole, est touchante, convaincante même dans sa mauvaise foi, jusques et y compris dans ses attaques contre Me Floriot. Et la fin, au Maroc où elle s’est retirée pour disparaître, est d’un tristesse sans nom. Mais plus de 700 pages pour une affaire classée/datée, c’est beaucoup trop.
La septième fonction du langage (496 pages, 22 euros, Grasset) de Laurent Binet. Roland Barthes est mort, comme chacun sait, des suites d’un dialogue brutal avec une camionnette de blanchisserie à équidistance entre le Vieux campeur et le Collège de France. Mais pour le narrateur, c’est un assassinat. L’enjeu : un manuscrit que tout le monde convoite et pour lequel on est prêt à tuer. Mais quel manuscrit ? Après un lent glissement linguistique de l’enquête, la théorie de la fonction performative du langage fournit la clé. Sur ce parti pris qui fait Eco, un flic beauf et inculte enquête. Il interroge Foucault, Althusser, BHL, Sollers, « cette salope de Kristeva » et autres auteurs dont on ne nous dit rien de l’œuvre, ai si que d’anciens épigones du maître rencontrés dans des backrooms et des saunas gays, ce qui donne des épisodes assez glauques, ou des diners germanopratins, l’occasion de récits plutôt drôles.
Le projet du livre est parti de l’admiration intellectuelle de Laurent Binet pour Barthes ; le déclic lui est venu lorsqu’il a appris que le jour de son accident, le professeur sortait d’un déjeuner avec François Mitterrand. C’est bourré de clins d’œil à l’œuvre et au langage des intellos, tous en situation nommément. Assez cuistre nonobstant le troisième degré. Les ficelles sont grosses, et le ton grossier, plein de vacheries souvent cruelles à leur endroit. Les homos y apparaissent défoncés dans tous les sens du terme. Pas un roman mais une comédie. On est au théâtre, dans la satire. Souvent amusant, sauf pour les intéressés. Pour apprécier, il faut connaître sans en être. Au fond, une pochade très potache pour happy few. Mais 5OO pages pour raconter ça ? La distance n’est pas adéquate. Un exercice gratuit qui aboutit à une lecture vaine.
Petit piment (288 pages, 18,50 euros, Seuil) d’Alain Mabanckou. C’est l’histoire d’un enfant abandonné, et pas seulement un enfant-soldat, qui doit sans cesse braver l’autorité pour avancer, seul. L’auteur a puisé dans ses souvenirs lorsqu’il vivait dans le quartier des putes à Pointe-noire. Depuis Verre cassé qui l’a fait connaître et qui était un coup de maître, l’auteur a passé son temps dans les salons du livre, ce qui n’incline pas à écrire de bons livres. Cette fois, ca va mieux. On retrouve par moments l’humour de Verre cassé mais l’ensemble a un ton, une couleur, une musique très attachants qui ne sont pas cette fois sans gravité.
C’est le livre d’un orphelin, livre politique et féministe, un roman du dehors et de la rue. Cette critique du tribalisme n’est pas congolaise mais africaine, on peut retrouver des scènes semblables, ces mythes et cette cosmogonie au Bénin. Mais la manie du surnom est typiquement congolaise, cela influe sur le destin. On appelait le héros « Petit Piment » parce qu’il bravait l’autorité des méchants jumeaux à l’orphelinat en leur balançant de la poudre de piment (les plus petits piments piquent le plus car l’amertume y est concentré). Le nom de Mabanckou vient de Mabaou « celui qui est né avec la fièvre ». Quand il avait 13 ans, le président Sassou Nguesso était déjà président. Rien ne change. La chance de Mabanckou, c’est que les dictateurs ne lisent pas car celui-là ne lui pardonnerait pas. Un bon millésime pour le Mabanckou. Une lecture piquante.
(« De mon balcon, un jour à Mexico » photo Passou)