de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 111 #lama

N° 111 #lama

Par Jacques Drillon

On va à l’église, cela se passe à l’église, on retrouve quelqu’un à l’église, mais on se marie en l’église. C’est une préposition d’apparat.

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Gravement / grièvement.

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Les sales gueules, que le port du masque améliore.

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Andràs Schiff : un pianiste sans doctrine particulière, ou plutôt un composé de doctrines différentes qui se neutralisent, et dont l’empilement est efficace en toute circonstance. Comme les chambres d’un Hilton : confortables, et résolument, profondément, sincèrement internationales.

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La répugnance qu’on éprouve, enfant, à embrasser un vieillard, ridé et malodorant.

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Les obsolètes : Les chanteurs des rues, qui poussaient la romance en en proposant la partition au chaland.

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Les gens supérieurement intelligents qui comptent se cacher derrière une calligraphie lente et soignée, presque scolaire, enfantine, d’une lisibilité excessivement courtoise. On y sent par conséquent la dissimulation, la ruse, un début de sournoiserie. Le but est manqué.

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Les emballages modernes, cartons énormes qui pourraient contenir mille fois l’objet commandé.

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(Suite)
Les vidéos YouTube de type « unboxing ». Elles montrent un acheteur déballant le produit qu’il a commandé. Sa réaction, son excitation, sa déception. Les marques paient des « influenceurs » pour qu’ils soient enthousiastes à l’ouverture du paquet.

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Tu finiras dans un hashtag !

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Un psychanalyste sourd.

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La délicieuse phrase du petit Zorrino, dans Tintin, quand le lama crache à la figure de Haddock : « Quand lama fâché, señor, lui toujours faire ainsi. »Le mélange improbable de petit nègre (« quand lama fâché ») et de français soutenu (« faire ainsi »), n’est pas pour rien dans la célébrité de la réplique.

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(Suite, plagiat par anticipation, à la manière d’Hara-Kiri)

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La colère, qu’on s’autorise comme un diabétique s’offre un éclair au chocolat, et qui vous donne l’impression d’être un adulte.

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Faites l’emprise, pas la guerre.

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(Suite)

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(Suite)
Résolution : avoir, en toute circonstance, qu’il pleuve ou qu’il vente, jour et nuit, les tempes aussi soigneusement coiffées que celle de Cary Grant, ci-dessus.
(Quant aux pattes en pointe, le long des oreilles, c’est tout un art de les faire ainsi passer de l’être au néant.)

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Au mépris des lois en vigueur, le signataire de ces lignes a filmé ce chef d’orchestre (Gustav Leonhardt, 2007) avec son appareil photographique Sony pour que soit conservé dans l’éternité numérique et pour l’édification des masses présentes et futures un art de la direction absolument intuitif, tout entier fondé sur l’idée de rebond (celui du danseur). Le premier temps de chaque mesure (temps « fort ») est par lui fréquemment marqué par un geste vers le haut, contrairement aux habitudes ; en début de concert ce mouvement est souvent minuscule, donné du bout du doigt, pour éviter tout effet démonstratif ; il est ici plus ample : des chœurs ont rejoint l’orchestre, le concert est avancé, le chef est échauffé, il s’oublie. Lorsque la battue est marquée vers le bas, c’est comme sur un tremplin, pour mieux sauter. Un chef aux genoux pliés et dépliés en permanence, monté sur ressort.  Le sol est élastique : dès qu’on le touche, on s’envole ; le danseur y prend appui pour bondir vers le ciel.

 

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Dernière minute

Jean-Baptiste Eyraud, du D.A.L. : «Les politiques du logement ont produit massivement du sans-abrisme.» (Depuis peu la SNCF produit modestement du train-de-nuitisme.) Cette habile forgerie ne doit pas nous faire oublier l’inclusivitude :  A la suite de Geneviève Fraisse, qui avait inventé la notion de prostituée sans-papière, nous proposons la catégorie genrée de femme sans-abriste.

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Robin Renucci, acteur, président de l’Association des Centres dramatiques nationaux, et membre du Haut conseil à l’éducation artistique et culturelle, après la réouverture des théâtres : « Déjà je voudrais dire que c’est un plaisir de retrouver cette relation avec le public qui nous a manqué depuis six mois. Il y a en effet un enjeu à retrouver les spectateurs, à pouvoir remplir notre mission de service public, et puis aussi à ré-enclencher la dynamique de l’emploi artistique et technique. » Plaisir de retrouver Racine et Claudel, Corneille et Handke ? Apparemment non. Rien dit là-dessus, que dalle, bernique, peau de balle et balai de crin.

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Parution du quatrième volume  du Journal de Philippe Muray, Ultima Necat (Les Belles Lettres, 685 pages, 35 €) :

Muray n’avait pas de mission de service public et ne voulait ré-enclencher aucune dynamique, mais n’oublie rien ni personne.  Extraits (été 1992) :

« Toujours pas de noyé à la surface de la piscine. » (4 août)

« Toujours pas de cadavre à la surface de la piscine. » (5 août)

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PRO DOMO – VIENT DE REPARAÎTRE

Nous autres Français devons faire notre deuil d’une bonne part de Shakespeare. La meilleure, disent les Anglais : sa poésie. Admettons-le. Mais offrons à ce réprouvé de naissance au moins l’hospitalité d’une langue qui s’affirme haut et clair comme une vraie langue, digne de ce nom, comme une langue qui ne se prêtera pas plus à la traduction que la sienne, et qui peut-être lui sera douce dans son lointain exil. Il faut retraduire tout Shakespeare, avec courage, orgueil et patience. Rendre à ce théâtre génial sa violence et sa rapidité, y mettre tout le savoir-faire possible, en écoutant notre langue et notre voix autant que les siennes : en satisfaisant aux exigences du théâtre français. Nabokov : « Qu’est-ce qu’une traduction ? Sur un plateau, la tête pâle et flamboyante d’un poète. » Décapiter l’auteur est suffisant ; ne jetons pas le plateau.

VIENNENT DE PARAÎTRE (RAPPEL)



Les problèmes parus entre 2011 et 2017 dans le Nouvel Observateur. Les Belles Lettres, 480 pages, 17,90 €

 

On ne saurait se faire une juste idée de l’homme Gide si l’on méconnaît sa passion pour la crapette, jeu de cartes immortel, jeu de cartes nobélisable mais cruel, qu’il a pratiqué toute sa vie, et dont son amie, la Petite Dame, fut une régulière victime consentante.
De même, il a paru indispensable de colliger toutes les allusions que dans son Journal il fait au jeune adolescent nommé Victor. L’auteur de Corydon l’a rencontré en Tunisie pendant la guerre. Il focalise sur lui toute son attention, montre sa perspicacité, sa finesse, et laisse apparaître dans le même temps sa partialité, son dépit, sa petitesse de grand homme.

Du Lérot, 72 pages, 15 €, disponible sur commande, en librairie ou chez l’éditeur.

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La troisième série de petits Papiers (Papiers découpés), parus sur Bibliobs.com, fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), la deuxième (Papiers recollés) sous le titre Le cul rose d’Awa (Du Lérot 2020, disponible sur commande, en librairie ou chez l’éditeur.

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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