de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 20 Stendhal et le sexe fort

N° 20 Stendhal et le sexe fort

Par Jacques Drillon

De l’inconvénient d’être un amant de premier ordre. Clémentine Curial à Stendhal : « Quant aux tours de force d’un certain genre, j’en profite, mais ne les estime point, et je te jure qu’il me semble que c’est parce que tu as été trop sublime sous ce rapport que je me suis senti du refroidissement. Il m’a semblé que c’était une manière trop vulgaire de me prouver ta tendresse. » Le fiasco, voilà qui est distingué et vous attache une femme.

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Les joyeuses bêtises que se disent les amoureux dans un lit.

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Sur un mur anti-bruit en béton ondulé, un tag :

FICHEZ-NOUS DES MURS LISSES, BORDEL !

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Pas de qualification pénale, donc pas de punition, et pas même de mot, pour désigner le crime qui consiste à faire délibérément d’un homme un père sans son consentement. Tout juste une locution plus ou moins argotique, « se faire faire un enfant dans le dos ».

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Richard Strauss, mais Johann Strauß.

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Le psychiatre parisien de Sviatoslav Richter, qui s’appelait Dr Marteau.

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Dans la pipe ou les cigarettes roulées : ceux qui fumaient du Bleu, ceux qui fumaient du Gris.

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Jorge Semprun, envoyé par le Parti comme clandestin en Espagne pendant la résistance à Franco. Il devait fréquenter les bars ouvriers. On lui dit : Tu ne regardes pas les matchs de fouteballe, tu n’en parles pas avec les autres, et la police va te repérer : ça se voit que tu n’es pas un ouvrier.
Le Parti lui a donc fait suivre un stage d’initiation au fouteballe (et l’a transformé en un des meilleurs connaisseurs de ce sport).

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Orwell publié par Champ Libre sous la pression de Debord et des Situationnistes.

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La sécheresse de l’air, dans les avions. Au point que les pages des livres, si le papier est fin, se mettent très vite à ployer, à rebiquer, comme quand on les brûle. Zéro pour cent d’humidité relative ? Moins de zéro, c’est possible ?

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La réponse de Mallarmé à « Où préféreriez-vous vivre ? », dans le questionnaire de Proust : « Je ne le dis pas, pour y aller seul. »
Sa couleur favorite ? « La blancheur du papier. »

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L’extrême vieillesse à laquelle parvient la cuiller en bois de la cuisine, râpeuse, fendue, gauchie, brûlée.

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Céline faisant la danse de l’ours devant son public, comme Thelonious Monk.

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La sciatique pendant Le soulier de satin.

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Fliess, le cher ami de Freud, et qui avait une théorie sur une liaison étroite entre le nez et les organes génitaux féminins. Emma Eckstein, souffrant de divers troubles, dont une masturbation compulsive, est traitée par Fliess, qui se rend à Vienne pour, conséquemment, traiter sa cloison nasale. Il l’opère. Malgré de forts saignements, Eckstein s’en tire, et Fliess s’en va. Quelques jours plus tard, les hémorragies reprennent, l’odeur est fétide. Un chirurgien viennois la réopère sous les yeux de Freud, qui écrira à Fliess : « Rosanes nettoya la région autour de la plaie, retira quelques caillots de sang et, brusquement, il se mit à tirer sur quelque chose qui ressemblait à un fil, continua à tirer et, avant que l’un d’entre nous ait eu le temps de réaliser ce qui se passait, il retira de la cavité cinquante centimètres au moins de gaze. Cette extraction provoqua un flot de sang. La patiente devint blême, ses yeux étaient exorbités, le pouls ne battait plus. Immédiatement après, cependant, Rosanes réintroduisit dans la cavité un nouveau tampon fraîchement iodoformé et l’hémorragie s’arrêta. Tout cela n’avait duré qu’une demi-minute, mais cela avait suffi à rendre la pauvre créature, que nous avions allongée, tout à fait méconnaissable. » Freud se sent mal, quitte la pièce, va boire de l’eau, du cognac. Il revient dans la chambre. Emma Eckstein, pâle, défaite, se tourne vers lui : « Voilà le sexe fort ! »
Freud rompra avec Fliess ; Emma Eckstein deviendra psychanalyste.

j.drillon@orange.fr

(Tous les vendredis à 7h 30)

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Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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