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La République des livres
N° 124 « Et les citrons amers où s’imprimaient tes dents »

N° 124 « Et les citrons amers où s’imprimaient tes dents »

Par Jacques Drillon

Louis XIV, espérant détruire le jansénisme en rasant Port-Royal.

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(Suite)
Les gens qu’on voudrait simplement, complètement, définitivement, abolir. Certes, tuer éteint le futur de la victime ; mais c’est son passé qu’on voudrait annuler, et jusqu’au souvenir qu’on en a.

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Marie N’Diaye : « On n’a pas accès au for intérieur de ses lecteurs. » Elle a l’air de le déplorer. Eux non, grands dieux ! Avoir Marie N’Diaye dans son for intérieur !

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Le pronostic raisonnable des amateurs de fouteballe, avant un match joué par la France contre une bonne équipe : invariablement 2-1 pour la France. Il faut que la France gagne, donc marque un but de plus, mais il faut aussi créditer l’adversaire de qualités souvent réelles. Donc 2-1.

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Un ticket de métro posé sur la tombe de Beckett : « Godot viendra. »

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Les soixante-quinze feuillets, de Marcel Proust (ébauches de la Recherche, publiées récemment). Titre magnifique. Titre de proustien, qui se réfère à une réalité physique, matérielle. Plus exactement, titre de proustien fétichiste, puisqu’il reprend la désignation de Bernard de Fallois, qui les conservait par-devers lui, et disait lui-même « les soixante-quinze feuillets ». On a préféré reprendre sa désignation personnelle, (qu’on aurait même pu titrer ainsi : Les soixante-quinze feuillets de Bernard de Fallois), plutôt qu’être précis : car des feuillets de Marcel Proust, il y en a soixante-seize…

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Pas de harcèlement intellectuel, pas d’attouchement moral, pas d’exhibition mentale. Il y a des vides juridiques qui se perdent.

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Les gens qui connaissent Platon et Flaubert, peuvent analyser un tableau de Van Gogh, parlent quatre langues étrangères, et ne savent pas lire trois notes en clef de sol.

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La salle de télévision dans la maison de retraite. Tous affalés devant, dormant, bouche ouverte – comme chez eux, quelques années plus tôt.

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Personne ne sait
Comment un candidat à une élection peut espérer séduire les électeurs en leur envoyant un sms leur enjoignant de voter pour lui.

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Les obsolètes : Les pamplemousses si amers qu’il fallait les sucrer (sans effet notable, d’ailleurs).

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Ce qu’un vieux ne peut plus faire : lire dans son lit, appuyé sur un coude.

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Une lesbienne militante à la radio : « La pénétration, il faut en sortir ! »

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La façon des Lorrains de se montrer horrifiés par ce qu’ils voient ; ils disent « Mon » d’un air incrédule, mais très allongé : « Mooooooooooon ! »
(Et pour vous demander comment ça va : « Comment que c’est ? »)

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Le type qui a mis les cendres de son père dans une boule à neige, à la place de la neige. Il retourne la boule, et son père tombe tout doucement.

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Le Muray de la semaine

« Si les oreilles humaines avaient elles aussi des paupières, si elles n’étaient pas ces orifices béants, ces trous dont le contrôle nous échappe, ces deux gouffres perpétuellement offerts, ouverts et violables, les autres ne pousseraient pas aussi à fond leurs saloperies de chaînes hi-fi, puisqu’ils n’auraient aucun espoir de se transformer en nuisances pour leurs voisins. »

(Ultima necat, tome IV)

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

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La troisième série de petits Papiers (Papiers découpés), parus sur Bibliobs.com, fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), la deuxième (Papiers recollés) sous le titre Le cul rose d’Awa (Du Lérot 2020, disponible sur commande, en librairie ou chez l’éditeur.

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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commentaires

6 Réponses pour N° 124 « Et les citrons amers où s’imprimaient tes dents »

Pablo75 dit: à

« Le pronostic raisonnable des amateurs de fouteballe, avant un match joué par la France contre une bonne équipe : invariablement 2-1 pour la France. Il faut que la France gagne, donc marque un but de plus, mais il faut aussi créditer l’adversaire de qualités souvent réelles. Donc 2-1. »

Ça c’est l’interprétation d’un intellectuel. La réalité est beaucoup plus simple: tout bon amateur de foot sait que, statistiquement, 2-1 est le résultat le plus courant (il y a quelques années une université anglaise a mis sur ordinateur tous les résultats des grands championnats de foot depuis 80 ans, je crois, et ils ont vu que c’était le résultat le plus commun – ils ont vu aussi quelque chose de bien plus étonnant: que les équipes qui jouaient en rouge avaient des meilleurs résultats que les autres).

(À propos du mot « fouteballe », l’autre jour j’ai vu dans « Petits mémoires de la vie littéraire » de Louis Thomas, livre signé avec le pseudonyme de Suzy Leparc et publié en 1910, le mot « foot-balleur »).

Pablo75 dit: à

« Les gens qui connaissent Platon et Flaubert, peuvent analyser un tableau de Van Gogh, parlent quatre langues étrangères, et ne savent pas lire une clef de sol. »

Moi j’ai connu une femme qui jouait assez bien du piano (connaissant, donc, la clef de sol) et qui ne savait pas qui était Anton Bruckner.

On pourrait aussi dire: « Les gens qui connaissent Platon et Flaubert, peuvent analyser un tableau de Van Gogh, parlent quatre langues étrangères, et ne savent pas écrire un poème ou un roman. »

Il y a aussi des génies ou des prix Nobel de littérature qui ne savent pas multiplier, comme Beethoven ou Neruda.

On a envie d’ajouter: Et?

Pablo75 dit: à

« Le type qui a mis les cendres de son père dans une boule à neige ».

Je ne sais plus quel rockeur anglo-saxon en avait fait un sablier, qu’il avait mis sur la cheminée de son salon.

Bob dit: à

C’est Keith Richards qui prétend avoir sniffé les cendres de son père.

Paul Edel dit: à

Samson François qu’on a souvent photographié avec une cigarette à la main fumait-il des « Craven »?

Jacques Drillon dit: à

Mais oui. Des Craven A.
JD

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