de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 28 « Ah que j’aime les militaires! »

N° 28 « Ah que j’aime les militaires! »

Par Jacques Drillon

Les r que Hitler roulait en hurlant dans ses discours, et qui sonnaient comme des rafales de mitrailleuse. Plusieurs rafales par phrase, presque une par mot. À la fin, tout le monde mort.

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Personne ne sait (mais on y travaille)
Pourquoi un pull tricoté, lavé à la machine et séché au sèche-linge, rétrécit.

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Les belles étymologies
Le mot autorité vient du latin auctoritas, lui-même dérivé d’auctor, qui a donné le mot auteur. L’auteur d’une chose écrite prend l’autorité sur cette chose, il la fixe, il la domine. Partant, il domine son lecteur. Au contraire de l’oralité, qui permet une réaction presque instantanée, une contradiction, une repartie plus ou moins brillante, la chose écrite n’est pas immédiatement contestable.
Le système des « commentaires » autorisé par l’internet offre au lecteur sa revanche : en envoyant un commentaire écrit, l’internaute réagit aussitôt, comme à l’oral ; il s’arroge ainsi un peu de l’auctoritas de l’auteur, et soulage temporairement sa frustration.

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Le père de Baudelaire était militaire.
Le père de Rimbaud était militaire.
Le père de Verlaine était militaire.
Le père de Nerval était médecin-militaire.
Le père de Hugo était militaire.
Le père de Vigny était militaire.
Le père de Banville était militaire.
Le père de Lamartine était militaire.
Engagez-vous, et forniquez.

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Les soixante-deux films perdus de Mizoguchi.

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Le jeune Sigmund Freud, qui tenait son journal intime en grec ancien.

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Dans le « Monde » du 25 août 2019, la rubrique qui accompagne un portrait de metteur en scène : « Un livre pour la plage » (suit un titre), « Un film pour la sieste » (suit un titre de film), « Un apéro pour la fraîche » (suit un nom d’alcool). Tout cela sent furieusement son post-moderne macronien ; d’autant que ces trois recommandations du metteur en scène sont titrées « playlist ». (Noter que rien de tout cela ne s’écoute.)

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Les somptueuses maisons américaines, immenses, avec piscine(s), billard(s), haras, tennis, et pas un livre.

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Le champagne. On le sabre quand on lui fracasse le goulot avec un sabre espécial offert par le beau-frère pour Noël et pour faire chic. On le sable quand on le boit d’un trait. Dans Jacques le fataliste : « Et tout en balbutiant, Jacques, en chemise et pieds nus, avait sablé deux ou trois rasades sans ponctuation, comme il s’exprimait, c’est-à-dire de la bouteille au verre, du verre à la bouche. »

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Les obsolètes : le cageot. Le vrai, arrondi, profond, celui de Ponge et de Carmen Cru :

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Le rire de Dieu, voyant que l’homme s’est cru semblable à Lui (voir la onzième Provinciale). Il le rend mortel et s’esclaffe avec les anges : « Ecce Adam quasi unus ex nobis factus est ! » (Voici Adam, devenu comme l’un de nous !).

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Les féministes, qui ont le droit de dire « les femmes », mais l’interdisent aux autres, car ça n’existe pas, « les femmes ».

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Barry Marshall, le biologiste australien, qui, pour prouver que l’ulcère de l’estomac était dû à une bactérie, et non au stress ou à l’hyperacidité, s’est avalé en 1982 une puissante concentration de Helicobacter pylori. Une semaine plus tard, il avait son ulcère. Il s’est soigné aux antibiotiques, et a raflé le Nobel de médecine.

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Les magazines dont on feuillette les pages, sans jamais rien lire.

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La reconnaissance faciale, dont l’arrivée est imminente. Un article du Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie la défend avec ardeur : « La plus-value policière ne fait aucun doute. [On l’imagine bien, en effet.] Elle pourrait même mettre fin à des années de polémiques sur le contrôle au faciès, puisque le contrôle d’identité serait permanent et général » (Le « Monde » du 15 octobre 2019). S’annonce une époque dans laquelle, pour reprendre le mot de Joseph de Maistre, « tout est miraculeusement mauvais ».

j.drillon@orange.fr

(Tous les vendredis à 7h 30)

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