de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 64 Une 2 CV pleine de phrases

N° 64 Une 2 CV pleine de phrases

Par Jacques Drillon

La 2 CV jaune panama en tôle à cinq nervures qui tient la vedette d’un James Bond, For your eyes only. Elle était dotée d’un embrayage centrifuge (dit « semi-automatique »). On ne pouvait donc pas la faire démarrer en la poussant, comme le réalisateur John Glen tente grossièrement de le faire croire au spectateur.

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(Suite)
La 2 CV Citroën nommée « Sahara », à quatre roues motrices, et deux moteurs : un à l’avant, un à l’arrière. Quelques dizaines d’exemplaires vendus en 1958.

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Dusapin : Vous savez, Pierre, que j’ai un fils.
Boulez : Non, j’ignorais. Félicitations ! Comment s’appelle-t-il ?
Dusapin : Anton.
Boulez : Ah, Webern !
Dusapin : Non, Tchékov.

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« Vous ne trouvez pas que ça commence à se rafraîchir ? »

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Les fleurs qui changent de couleur d’une année à l’autre, d’une semaine à l’autre.

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Fourchette et couteau : ceux qui coupent et piquent en inversant les mains entre chaque opération.

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Les fessées publiques, cul nu, sous la Révolution. Des religieuses, souvent.

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Hitler, qui dissout les associations de cyclistes, dès son arrivée au pouvoir. Les vélos, confisqués par les Chemises brunes.

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« La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second » (Mme de La Fayette, La princesse de Clèves).
« Je n’ai jamais autant manifesté que sous le quinquennat de Macron » (une lycéenne, dans « Libération », 15 juin 2020).

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Le changement de genre des mots d’argot, survenu fréquemment à la suite d’un  glissement de sens : Un clope (par analogie avec un mégot) devenu une clope (par analogie avec une cigarette) ; un vanne (par analogie avec un mensonge, un racontar) devenu une vanne (par analogie avec une plaisanterie) ; un turlute (par analogie avec un pompier) devenu une turlute (par analogie avec une pipe, une fellation)…
(Plume est masculin quand il s’agit d’un lit, féminin quand il s’agit d’une pipe.)

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La rose-liane, très jolie d’ailleurs, appelée « Félicité et Perpétue ». Ceux qui ont récité la litanie des saints comprendront de quoi je veux parler.

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(Suite)
Dans l’ancienne Litanie des saints, on priait Dieu pour qu’il épargne au pécheur « une mort subite et imprévue ».
Puisse-t-Il au contraire me l’accorder, si cela ne Le dérange pas.

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Le joker de la langue française : on, qui remplace ce qu’on veut :
Je : On vous aime bien, vous savez.
Tu : On va me dire la vérité, cette fois.
Il (ou elle) : [à propos d’un tiers] On m’accuse à tort.
Nous : On s’est mariés.
Vous : On a tous compris le problème ?
Ils (ou elles) : On pense, à l’Assemblée, qu’il faut légiférer.
Quelqu’un : On m’a laissé un message ?

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Les deux seuls compositeurs dont l’œuvre tout entière ne contient aucun déchet : Ravel et Berg.

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Le type qui, le premier, a eu l’idée de coudre avec deux fils au lieu d’un seul (et a conçu une machine capable de le faire, mais c’est un détail).

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Flaubert. Phrases sur la phrase :
« J’aime par-dessus tout la phrase nerveuse, substantielle, claire, au muscle saillant, à la peau bistrée : j’aime les phrases mâles et non les phrases femelles comme celles de Lamartine fort souvent. » (7 juin 1844)
« Ma main courait le papier avec frénésie, désolé d’avoir besoin d’écrire pour fixer ma phrase, et regrettant qu’aussitôt née l’idée n’eût pas sa forme toute faite et qu’il fallût attendre pour la pétrir et la tailler. » (Première Éducation sentimentale)
« J’aime les phrases nettes et qui se tiennent droites, debout tout en courant, ce qui est presque une impossibilité. » (13 juin 1852)
« Il faut que les phrases s’agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance. » (7 avril 1854)
« Il faut avoir, avant tout, du sang dans les phrases, et non de la lymphe, et quand je dis du sang, c’est du cœur. Il faut que cela batte, que cela palpite, que cela émeuve. Il faut faire s’aimer les arbres et tressaillir les granits. On peut mettre un immense amour dans l’histoire d’un brin d’herbe. » (22 avril 1854)
« Écrivons, nom d’un pétard ! Ficelons nos phrases, serrons-les comme des andouilles et des carottes de tabac. Masturbons le vieil art jusque dans le plus profond de ses jointures. Il faut que tout en pète, monsieur »(3 décembre 1858)
« Demande-toi à chaque phrase ce qu’il y a dedans. » (28 décembre 1858)
« On ne sait pas assez tout le mal que donne une phrase bien faite. Mais quelle joie quand tout y est, c’est-à-dire la couleur, le relief et l’harmonie. » (1873)
« Je crois que l’arrondissement de la phrase n’est rien. Mais que bien écrire est tout. »(8 mars 1876)
« Je crois que personne n’aime plus l’Art, l’art en soi. Où sont-ils, ceux qui trouvent du plaisir à déguster une belle phrase ? Cette volupté d’aristocrate est de l’archéologie. » (27 mai 1878)
« Une phrase est viable quand elle correspond à toutes les nécessités de la respiration. Je sais qu’elle est bonne lorsqu’elle peut être lue tout haut. » (1884)

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(Dernière minute)

Alerte coronavirus

Lors de son audition à l’Assemblée, le Pr Raoult s’est écrié : « Je suis un grand scientifique ! » La phrase a été aussitôt reprise partout, raillée, condamnée ; car on ne peut pas dire : Je suis un grand scientifique.  C’est prétentieux et interdit. Personne n’a cherché à savoir si la phrase était vraie ou fausse, autrement dit si Raoult disait la vérité ou mentait. Avant tout, la phrase est prétentieuse et interdite.
Cette interdiction invalide tout le reste, comme un vice de forme annule une décision de justice. Qu’il ait prétendu que l’étude comparative a donné dans l’histoire 95% des résultats intéressants, et l’étude randomisée seulement 5%, n’a plus d’intérêt, et ne mérite aucun examen. Il a dit : « Je suis un grand scientifique ! » C’est honteux.  Il a dit :  » Moins il y a de gens dans un essai, plus c’est significatif. (…) Tout essai qui comporte plus de 1000 personnes essaie de démontrer quelque chose qui n’existe pas. «  Est-ce vrai ? faux ? On ne le saura jamais, car on ne lui a pas demandé de le démontrer : il a dit ce qui était interdit. Et pourtant, c’est toute la question.

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(Dernière minute)
L’éditeur La table ronde vient de publier la correspondance de Jean-Patrick Manchette. Voilà qui est bien ; mais ouvrons le volume :

Qu’est-ce que c’est que cette typo dégueulasse ? Pourquoi Manchette n’a-t-il pas droit à du Garamond, du Times, du Bodoni, comme tout le monde, comme n’importe quel grand écrivain, au lieu de cette espèce d’Archer, vulgaire et laid ? Parce qu’il n’écrivait que des romans policiers ?

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(Dernière minute)
D’après le « Projet Arcadie », le temps de parole des députés dans les médias entre juillet 2017 et juillet 2019 s’établit comme suit :

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(Dernière minute)
Sotheby’s a vendu la mèche, celle que Beethoven avait donnée à son ami Halm en 1826. Cheveux plus ou moins grisonnants. Elle vient de passer en vente, et a été cédée pour 64.000 dollars. Précédemment,  une mèche des cheveux de John Lennon avait été vendue 50.356 dollars, et une de David Bowie 25.897. Voilà une information.
Il est évident qu’une mèche de cheveux de Beethoven est extrêmement rare, et c’est là ce qui fait son prix. Une mèche de cheveux de l’auteur de ces lignes l’est tout autant : nul n’en a possédé la moindre, dans le monde entier, ni présentement ni dans les siècles passés. Il se propose d’en envoyer une à un prix aligné sur la moyenne arithmétique de ces trois ventes, soit 46.751 dollars, port compris. RIB sur simple demande à l’adresse ci-dessous.

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

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Les deuxième et troisième séries (Papiers recollés, Papiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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