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Drôle d’endroit pour un ouikende

Drôle d’endroit pour un ouikende

Inutile de faire semblant : la parution de Week-end à Zuydcotte, ce roman historique de Robert Merle remontant à 1949, il y a fort à parier que, malgré le grand succès public que lui assura le Goncourt  pour nombre d’entre nous, ses (anti)héros aient l’allure de Jean-Paul Belmondo, Jean-Pierre Marielle, Pierre Mondy, François Périer, Georges Géret… Une sacrée distribution. Il en va ainsi chaque fois qu’un film à forte notoriété, souvent diffusé à la télévision, révèle un livre aux générations venues après ; le plus souvent, celui-ci n’est découvert et lu qu’après coup ; et immanquablement, des visages et des silhouettes se superposent à notre lecture, en l’espèce ceux des acteurs du film réalisé par Henri Verneuil d’après l’adaptation que François Boyer fit du roman avec la collaboration de son auteur pour les dialogues, si vrais, si percutants, qu’ils en sont la musique (ici les coulisses du tournage) ; ils marquent le film du sceau d’une même authenticité, dussent-ils parfois choquer le lecteur par leur crudité, comme ce fut le cas pour d’autres trouffions d’une autre guerre, dans le roman d’un autre lauréat du Goncourt en 1916, le Barbusse du Feu.

Deux jours dans la vie d’un groupe de soldats français du 110 ème régiment d’infanterie en mai-juin 1940. Mais quelles journées dramatiquement historiques ! Un sergent-chef, un prêtre catholique, un ingénieur en céramique qui se dévoue pour assurer la popote, un roi de la combine, improbable quatuor comme seule la guerre peut en constituer bientôt rejoints par un cinquième doté d’un fusil-mitrailleur avec lequel il fait feu sur l’aviation ennemie qui arrose en permanence les plages de ses bombes. Au lendemain de la défaite, ils se retrouvent piégés avec des milliers d’autres dans la poche de Dunkerque. Un samedi et un dimanche. Drôle d’endroit pour un ouikende, à Zuydcotte en plus, petite commune rurale en bordure de la mer du Nord, dans une ambulance abandonnée pour tout hôtel. L’action est centrée sur le meneur improvisé, à qui ses rencontres au cours de sa déambulation dans la ville mi-abandonnée mi-dévastée valent des aventures inattendues. Un film de facture aussi française que, bien plus tard, le Dunkerque de Christopher Nolan se verra reprocher son point de vue excessivement anglais…

 L’opération Dynamo, son nom de code, s’embourbe tandis que la Wehrmacht continue d’avancer en direction de la côte. La déroute est inévitable, et la débâcle s’annonce sanglante. Pendant ce temps, la Luftwaffe mitraille sans répit les armées française et britannique sur les plages où elles sont bloquées en attendant de se replier en Angleterre. Encore faut-il que la Royal Navy, aidée des little ships de la Marine marchande, puisse les embarquer pour traverser la Manche. L’incroyable armada constituée de dragueurs de mines et de chalutiers, de destroyers et de péniches, s’active ainsi dans le chaos le plus total. Il y a tout de même 338 226 hommes à évacuer dans l’urgence ; 85% des troupes le seront finalement grâce notamment au sacrifice de l’armée française qui contient l’avance allemande malgré son infériorité numérique et son armement insuffisant.

Week-end à Zuydcotte est le premier roman de Robert Merle (1908-2004), un homme secret, barricadé à la suite d’une enfance dans le dur (milieu pauvre, orphelin de père à 7 ans, mort de sa sœur). Mobilisé en 1939, son excellente connaissance de la langue anglaise (agrégé, auteur d’une thèse remarquée sur Oscar Wilde, il sera longtemps professeur dans le secondaire puis à l’université) le désigne tout naturellement comme agent de liaison avec les forces britanniques. Fait prisonnier à Dunkerque, il demeure en captivité jusqu’en 1943. Ce qu’il nous raconte dans ce coup d’essai, c’est une histoire de fraternité et de camaraderie, d’héroïsme et de lâcheté, de bravoure aussi, dans laquelle les personnages essaient de rester fidèles à leurs valeurs ; livrés à eux-mêmes, ils agissent en fonction de leur conscience et non dans l’obéissance des ordres d’une hiérarchie déliquescente.

C’est une occasion pour tous, à commencer par le chef de ce petit groupe d’errants parmi les ruines, de s’interroger sur l’absurdité de la guerre. Avant de nous amener à la triste issue de son récit, Robert Merle le fait osciller entre des moments de pure comédie accentués par la gouaille irrésistible des protagonistes et des scènes tragiques comme la tentative de viol d’une habitante par des soldats français ou l’agonie d’un cheval décrite avec une telle précision dans l’empathie qu’elle en rend la lecture insoutenable.

Les Goncourt ont eu du flair en distinguant ce premier roman d’un inconnu. Car il s’en suivra une œuvre immense et profuse touchant à tous les genres, ponctuée de réussites aussi remarquables (La Mort est mon métier) qu’étonnantes (les 13 volumes de la saga Fortune de France). De quoi rendre ses lettres de noblesse à la grande littérature populaire.

 

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