Historiciser… « Mein Kampf » !
Gaston Gallimard aimait à dire que son ami Léon-Paul Fargue était le principal obstacle à la diffusion de son œuvre, ajoutant que le cas était assez rare chez les auteurs, tous plus pressés les uns que les autres de paraître dans la double acception du terme. Plus exceptionnel encore est celui d’un éditeur qui semble multiplier les écueils entre l’un de ses livres et le public comme si sa publication était gouvernée par une névrose d’échec. Il est vrai qu’il s’agit de la réédition critique de Mein Kampf (Mon combat) d’Adolf Hitler, laquelle ne peut advenir sans un certain nombre de précautions de toutes sortes. A l’épreuve, la tactique choisie par Sophie de Closets, pdg de Fayard, mérite tous les éloges, même si cette publication demeurera dans les annales de l’édition comme un cas d’école. Car se la procurer et la lire relève d’un parcours du combattant.
Imaginez un instant : le livre ne se trouve pas en rayon et encore moins en vitrine chez les libraires qui ne le procurent aux lecteurs qu’à la commande en souscription ; son titre n’est pas Mein Kampf comme on pourrait s’y attendre, ce qui aurait été plus commercial et racoleur, mais Historiciser le mal dont on conviendra qu’il n’est pas vraiment tape à l’œil ; la couverture, typographique, ne comporte ni la photo ni même le nom de l’auteur ; il est constitué du texte de l’auteur et des introductions et commentaires le déconstruisant, le contextualisant, le corrigeant, l’analysant et le présentant à maintes reprises comme un ouvrage illisible, confus, obsessionnel, mensonger, délirant au style surchargé et répétitif ; fort de ses 2800 notes en marge et en bas de page afin que nul n’en ignore et non renvoyées en fin de volume où seuls les spécialistes se rendent (ce qui lui donne des allures talmudiques et bibliques !), le tout pèse plus de trois kilos et coûte 100 euros.
Et après tout ça, vous êtes sûr que vous vous voulez l’acheter ? et le lire aussi ? vraiment ? Il faut vouloir, en effet. N’empêche que cette édition d’un document historique indispensable pour comprendre le nazisme, l’Allemagne et les Allemands des années 20 aux années 40, est exemplaire malgré le titre ; car le nazisme comme idéologie, manifeste et programme est irréductible à un seul livre, fut-ce celui du chef, et Mein Kampf ne saurait incarner « le mal » à lui tout seul, d’autant que relit « Mal », même avec une majuscule, n’est pas un concept historique mais moral ou religieux.
Fayard s’était lancé dans l’aventure il y a dix ans quand Olivier Nora dirigeait la maison, sur les conseils de l’historien Anthony Rowley. On s’en doute, tout le monde ne s’accordera pas sur l’impérieuse nécessité de l’édition critique de ce « fatras » au moment où une partie de l’Europe menace de céder à nouveau à la démagogie des nationalismes. Ceux qui estiment que ce n’est pas le moment reconnaissent volontiers que ce n’est jamais le moment. Mais il est aussi d’éminents historiens du nazisme tel Johann Chapoutot pour juger que, outre son encouragement néfaste à une vision « hitléro-centrée » du nazisme, elle ne s’impose pas eu égard à l’accablante médiocrité du texte et ne permet pas de démonter les logiques de la vision du monde et de l’idéologie au cœur de cette révolution culturelle conservatrice.
S’il n’est pas une source historique majeur, ne serait-ce donc pas faire trop d’honneur à Mein Kampf que de réunir durant cinq ans une équipe savante et lui consacrer 864 pages afin de « l’encadrer comme un bouclier protecteur » selon l’expression de Serge Klarsfeld ? Ce n’est évidemment pas l’avis des historiens Florent Brayard et d’Andreas Wirsching à la tête de ce commando d’experts (Christian Ingrao, Stefan Martens…), d’un comité scientifique international (Henry Rousso, Denis Pechanski, Renée Poznanski…) ni du traducteur Olivier Mannoni qui a dû batailler entre les völkisch et les judentum entre autres pour les restituer en français sans trahir la pensée de l’auteur ; de toute façon, outre que la langue a évolué, on ne peut traduire un pareil texte sans tenir compte du LTI de Viktor Klemperer. Ses biographes Ian Kershaw et Joachim Fest estiment d’ailleurs qu’on peut lire Mein Kampf non seulement pour son intérêt programmatique mais comme un autoportrait en creux d’Hitler.
On n’imagine pas sérieusement qu’une telle entreprise éditoriale, adaptation et prolongement de l’édition allemande de 2016, ait des effets pervers de nature à révéler des vocations de néonazis. Elle ne convertira personne. Depuis cinq ans qu’il est tombé dans le domaine public, n’importe qui peut lire le texte nu de Mein Kampf en librairie et depuis plus longtemps gratuitement en ligne dans de nombreuses langues. Dans sa version papier, il cartonne dans le monde arabe et en Turquie, de même que les Protocoles des sages de Sion, vieux faux fabriqué par une officine antisémite qui a la peau dure.
La fondation Auschwitz-Birkenau, qui finance la conservation des vestiges du camp de concentration et d’extermination, percevra des droits au premier exemplaire vendu et la totalité des bénéfices de « Historiciser le mal ». Dix mille exemplaires en ont été tirés dont un millier réservé librement aux bibliothèques qui en feront la demande. Un sans-faute éditorial que cette historicisation de… Mein Kampf.
(« Une lecture obligatoire dans l’Allemagne du IIIème Reich, tant pour les Jeunesses hitlériennes (membres de l’Ordnungsdienst lisant « Mein Kampf », le 22 mars 1939, dans le territoire de Memel (région de Klaipeda, Lituanie) que pour les jeunes mariés » photos de propagande D.R.)
1 020 Réponses pour Historiciser… « Mein Kampf » !
Gary Saul Morson on Dostoevsky and the soul of Russian literature
The New York Review of Book
bonne journée
Après un retard de dix mois résultant de la pandémie de Covid-19, le John Michael Kohler Arts Center de Sheboygan, Wisconsin, ouvre le 26 juin l’Art Preserve, le premier musée au monde dédié aux environnements artistiques longtemps négligés. L’installation de 56 000 pieds carrés exposera et stockera plus de 25 000 objets de la collection d’environnement artistique du Kohler Arts Center et servira de plaque tournante pour la recherche et l’exposition des créations d’artistes défiant les genres.
Le inistre de la santé brit démissionne our une affaires de moeurs/mort, n’ayant pas respecté les règles de distanciation avec son assistante qu’il a bécoté goulûment dans son bureau. Outre l’outrage aux mœurs, tellement classique et banalement petit-bourgeois (même pas homo ou trans, ou même sado-maso), la police va enquêter sur un aspect bien plus intéressant: le conflit d’intérêt qui pourrait concerner le recrutement et les agissements de cette assistante sans talent administratif particulier, mais qui se trouve, pure coïncidence certainement, être la fille d’un multimillionnaire de la Santé britannique, administrateur délégué d’une société de conseil pharmaceutique, et dont le frère directeur exécutif d’une société qui a gagné plusieurs appels d’offre lancés par le Ministère de la Santé britannique.
Matt, Gina, Rino & Roberto les protagonistes de cette affaire qui réserve peut-être des révélations plus qu’embarrassantes pour l’exécutif britannique.
L’on apprend aussi que Matt le Ministre a utilisé son adresse mail perso pendant toute ses années d’exercice, au mépris des directives officielles, sur son adresse mail perso. La valeur d’exemplarité des hommes politiques en prend encore un coup. Faites ce que je dis…
Retaper les églises permet d’assurer les distributions alimentaires qui se font à leur chevet, puck. Ta limonade trop gazeuse semble te faire péter, comme le suggère renato !
Le inistre de la santé = Ministre/Sinistre….
@ Dostoevsky and the soul of Russian literature
les frères K., ça c’est de la littérature encore lisible en dépit ou à cause des grands sentiments, grandioses et grandiloquents, entre le père foutraque, les frangins et le valet… toujours poignants sur le plan de la psychologie, et qui vous remuent pas mal, à partir du moment où vous les laissez pénétrer en vous, sans leur opposer les habituelles barrières mentale d’Ivan, le pur esprit sceptique… On ne boude pas cette découverte au long court, loin de là… Un long passage à vide, néanmoins, le 6e livre dédié au moine russe, le staretz Zossima. On aurait envie de le sauter, mais non… il ne faut jamais le faire avec les chefs d’œuvre…
Bon dimanche @ jzmn et @ tte l’Herdélie, pro ou contra de l’abstention – (27.6.21@9.33)
encore une jeune sorcière à chasser du cnrs, apparemment, ce matin…
https://fondation-sciences-sociales.org/mathilde-cohen/
Retaper les églises
—
Dans l’ouest du Canada, on les retape pas, on se les tape, celles qui sont sur les territoires des tribus autochtones.
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/27/au-canada-de-nouveaux-incendies-d-eglises-catholiques-sur-des-terres-autochtones_6085867_3210.html
Pas besoin de Mein Kampf comme bréviaire de la Haine, la Bible suffisait.
La pratique génocidaire n’était pas limitée aux Puritains américains; les cathos canadiens ont aussi joué leur partition dans l’éradication des indigènes, comme l’Église irlandaise et ses laveries de Marie Madeleine avec les filles mères & leurs enfants du péché…
Une madeleine qui passe mal et rappelle que ceux qui promettent le paradis dans l’au-delà sont les premiers à organiser un enfer sur terre.
@ ceux qui promettent le paradis dans l’au-delà sont les premiers à organiser un enfer sur terre.
C’est exact, il resterait à creuser et expliquer cette logique, car il y en a une, quelque part liée à la survie de l’espèce humaine agissant réflexivement sur elle-même tout en dominant les espèces animales et végétales.
(« L’espèce humaine » dans son ensemble, ne sait ni ne peut s’empêcher l’hubris)…
Les cathos canadiens, les Puritains américains, les cathos irlandais, etc… Et on n’a pas fini d’en découvrir, de ces déviances criminelles contre les enfants et les mères, et les peuples entiers, au nom du Livre, celui-là ou tel autre. La poussière sous le tapis finirait-elle toujours par ressortir? La volonté de savoir, et donc de chercher, est-elle nécessaire? En tous les cas, on commence à voir et à ne plus taire.
Je me demande si on n’appartient pas à une espèce de sales crétins -incapables de vivre sans dominer, d’habiter sans dévaster, de croître sans multiplier les conneries. Des prédateurs dotés de conscience, mais pas assez malins pour savoir s’arrêter.
Faut s’accrocher pour être humaniste.
JJJ
nos pensées du matin, chagrin, se croisent et se recoupent.
(ne sait ni ne peut s’empêcher l’hubris
(pas assez malins pour savoir s’arrêter.
Etonnant, Jibé ! j’ai souvent l’impression d’une comm télépathique avec vous… qui me réjouit et me trouble un brin.
Vous souhaite une belle journée, pas trop chagrine quand même hein !… Bàv
« le 6e livre dédié au moine russe, le staretz Zossima »
Curieux, JJJ, moi c’est le passage qui m’a le plus passionné !
une question sur « le droit:
https://fondation-sciences-sociales.org/publication-de-emilia-schijman-a-qui-appartient-le-droit-ethnographier-une-economie-de-pauvrete/
new yorker
Redécouvrir Eve Adams, l’activiste lesbienne radicale
Comment Jonathan Ned Katz a retracé l’histoire de la femme qui a écrit ce qui pourrait être la première ethnographie de la vie lesbienne américaine.
Tard dans sa vie, devenant fou (ou plus fou que d’habitude), mon père envisagea de retourner sur la zone de bataille des Ardennes et de rechercher les soldats allemands qui avaient combattu de l’autre côté. Il voulait tester sa théorie selon laquelle ils avaient détesté leurs officiers autant qu’il avait détesté les siens, dont le seul but, de son point de vue, était de gaspiller la vie de leurs hommes.
J’ai raconté ce plan au peintre allemand Anselm Kiefer, qui est né en 1945. Si je me souviens bien, bien qu’il ne le fasse pas, il a dit : « Ne le dites pas à votre père. Nos hommes aimaient leurs officiers.
J’ai été ami avec Kiefer pendant un certain temps, comme j’ai été avec de nombreux artistes au fil des ans, jusqu’à il y a une vingtaine d’années. Les amitiés se sont effondrées. La proximité est impossible entre un artiste et un critique. Chacun veut de l’autre quelque chose – le mojo de l’artiste, la sagacité du critique – qui appartient strictement au public pour son travail respectif. C’est comme si deux aspirateurs s’aspiraient.
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Mon père était à la pointe de la technologie, littéralement, comme l’un des premiers à découvrir comment couper et sceller simultanément le polyéthylène avec un couteau chaud, en expérimentant dans le sous-sol de notre modeste maison. Il a inventé le sac de maladie en papier doublé de plastique pour les avions, pour lequel il a reçu un dollar. (Le brevet appartenait à l’entreprise pour laquelle il travaillait.) Ce qui restait de la fortune familiale à sa mort a presque été confié aux soins de ma mère, qui est déchiqueteuse à l’âge de cent deux ans.
https://www.newyorker.com/magazine/2019/12/23/the-art-of-dying?itm_content=footer-recirc
Cette anxiété omniprésente à l’idée de «s’intégrer» illustre une autre forme de préjugés auxquels les homosexuels sont de plus en plus exposés, qui ne proviennent non pas de la culture hétéro-dominante, mais de la communauté gay elle-même.
Cela donne lieu à l’émergence d’une élite sociale homonormative fondée presque entièrement sur le physique. On convoite des expressions banalisées d’un corps hyper-masculin et un engouement pour les muscles. Les fêtes, qui en sont venues à dominer l’espace du tourisme gay, ponctuent notamment l’importance de ce «type gay idéal».
http://www.slate.fr/story/211294/lgbt-voyages-hommes-gays-droits-monde-hetero-communaute-discrimination-homophobie?utm_source=ownpage&utm_medium=newsletter&utm_campaign=daily_20210626&_ope=eyJndWlkIjoiM2Y2MTQ1MGI0Y2YwOGU5ZDQ0Y2NmNmMyZjY0OWU3NzYifQ%3D%3D
Avec l’attrait des sensibilités «post-gay», au milieu des brochures de voyage sur papier glacé et des clichés Instagram de rêve, il est facile de se perdre dans l’illusion que la lutte pour les droits des homosexuels touche enfin à sa fin. Mais ne vous y trompez pas, il s’agit bien d’un fantasme.
JJJ
à propos d la comm télépathique, j’ai déjà noté. Curieux mais pas déplaisant.
Marie Sasseur dit:
(…) j’espère que le spécialiste d’Hitler qui a contribué à édifier la rdl, sur le caractère » possédé » du plus grand criminel de l’histoire à ce jour, a été consulté, pour ce happening éditorial chez FAYARD.
Mais il paraît, aux dernières nouvelles qu’il a lui-meme données ici, que F.Delpla est plus a son » combat » , sur Facebook.
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Bonjour à tous
Ledit combat est toujours en cours et l’évolution de la recherche sur le nazisme le rend chaque jour plus aisé.
Il est parfois caricaturé (ce combat) de la façon suivante : je présenterais un Hitler « omnipotent et omniscient ». Cette erreur de lecture favorise, hélas, la non-lecture.
C’est aussi une inversion des rôles : ce n’est pas moi qui hypertrophie le rôle du Führer, mais les observateurs qui tendent à l’atrophier, depuis exactement un siècle. Une sous-estimation largement à l’origine de ses succès.
Sur « Historiciser le mal » je prépare une recension rémunérée dont je dois réserver la primeur à mon commanditaire, mais je puis faire part ici de ma joie de voir que mes collègues Ingrao, Patin, Gallo, Martens, Brayard, Vincent et quelques autres se sont astreints à lire de près un livre fondateur, que leurs travaux antérieurs exploitaient peu.
Je vois Hitler avant tout comme un gestionnaire méthodique de son emploi du temps, expert à se décharger de l’accessoire sur des lieutenants de toute confiance (qu’il contrôle cependant), pour se concentrer sur ce qu’il considère comme la tâche essentielle du moment. Ma récente étude du cas Bormann a encore fait venir au jour des dizaines d’exemples de cette configuration.
J’essaye aussi d’intervenir dans les commémorations du 80ème anniversaire de la guerre et j’ai été atterré par l’ignorance de Mein Kampf qui s’est encore fait jour (ou nuit !) lors de celles de la défaite française de 1940. Car c’est en écrivant ce livre que Hitler arrête la stratégie qu’il va alors mettre en oeuvre : isoler la France tout en l’endormant afin de l’assommer d’un coup sec et d’obtenir la résignation de l’Angleterre devant l’hégémonie durable de l’Allemagne sur le continent, avant d’en dépecer la moitié orientale.
Un calcul que la venue fortuite de Churchill au pouvoir déjouera in extremis.
Je reviens d’un colloque à Bordeaux où j’ai pu développer cette idée à propos de l’attitude de Paul Reynaud le 16 juin 40, thème de ma communication.
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