de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 105 Marguerite Duras, haltérophile professionnelle

N° 105 Marguerite Duras, haltérophile professionnelle

Par Jacques Drillon

L’âge venant, les yeux qui pâlissent.
Et cette toute jeune femme, mourante, dont les cheveux blonds étaient devenus jaunes.

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Claire Bretécher, qui raconte qu’un admirateur lui a dit : Votre réussite est éclatante, sachant que vous dessinez comme vous dessinez.

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Leïla Slimani, à laquelle on a commandé un livre, et qui récuse le terme : « On ne commande pas un livre à un écrivain, on lui fait une proposition. » Elle n’est pas, ajoute-t-elle, un « pâtissier auquel on commande un gâteau » ! Elle s’est d’ailleurs posé la question : devait-elle accepter d’écrire un livre « qui ne venait pas d’une nécessité intérieure » ?
Finalement oui.

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Le médecin :
– Dans votre cas, une scintigraphie cardiaque s’impose.
– Ah bon ? Mais pourquoi ? Tout va bien, non ?
– Vous avez des antécédents.
– Mais je n’ai pas d’antécédents, je vous l’ai dit…
– Si : vous êtes fumeur.
Fumer est devenu une maladie en soi.
Si vous dites que vous avez cessé de fumer trente ans plus tôt, il note : « Déclare avoir été fumeur. » Fumer n’est pas qu’une maladie, c’est une maladie incurable, inscrite définitivement au casier sanitaire.

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Chostakovitch, qui notait dans ses carnets des idées musicales, mais aussi les résultats des matchs de fouteballe, le nom des joueurs, leur surnom. Il était d’ailleurs titulaire du plus haut diplôme d’arbitre. Spectateur assidu des matchs, il avait la particularité d’être absolument immobile et silencieux.

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(Suite)
En URSS les sportifs n’avaient pas le droit d’être professionnels. Ah Joseph, Joseph, tu n’avais pas que de mauvaises idées…

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« Car quiconque a déjà, on lui donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais pour celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il a. » Adam Smith ? Donald Trump ? Alain Minc ? Non, saint Matthieu, 13,12.

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B*, grand spécialiste des discours d’enterrement, qu’il apprend toujours par cœur, parfois dix ou quinze feuillets.

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Un « croisé porte et fenêtre » : un bâtard.

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Celle des « féministes » qui comptent combien de fois vous écrivez un nom de femme, combien de fois un nom d’homme ; quand il s’agit d’une femme, si vous en dites du bien, ou du mal ; si vous en dites du mal, vous êtes un macho, même si celle dont vous parlez est une conne finie. Ces « féministes »-là, les femmes les détestent.

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(Suite)
L’effet boomerang. Lorsque Marguerite Duras écrivait dans une revue féministe comme « Sorcières » (dirigée par Xavière Gauthier), c’était pour y donner la recette de la soupe aux poireaux pommes de terre. « On croit savoir la faire, elle paraît si simple, et trop souvent on la néglige. Il faut qu’elle cuise entre quinze et vingt minutes et non pas deux heures — toutes les femmes françaises font trop cuire les légumes et les soupes. Et puis il vaut mieux mettre les poireaux lorsque les pommes de terre bouillent : la soupe restera verte et beaucoup plus parfumée. Et puis aussi il faut bien doser les poireaux : deux poireaux moyens suffisent pour un kilo de pommes de terre. Dans les restaurants cette soupe n’est jamais bonne : elle est toujours trop cuite (recuite), trop « longue », elle est triste, morne, et elle rejoint le fonds commun des « soupes de légumes » — il en faut — des restaurants provinciaux français. Non, on doit vouloir la faire et la faire avec soin, éviter de l’« oublier sur le feu » et qu’elle perde son identité. On la sert soit sans rien, soit avec du beurre frais ou de la crème fraîche. On peut aussi y ajouter des croûtons au moment de servir : on l’appellera alors d’un autre nom, on inventera lequel : de cette façon les enfants la mangeront plus volontiers que si on lui affuble le nom de soupe aux poireaux pommes de terre. Il faut du temps, des années, pour retrouver la saveur de cette soupe, imposée aux enfants sous divers prétextes (la soupe fait grandir, rend gentil, etc.). Rien, dans la cuisine française, ne rejoint la simplicité, la nécessité de la soupe aux poireaux. Elle a dû être inventée dans une contrée occidentale un soir d’hiver, par une femme encore jeune de la bourgeoisie locale qui, ce soir-là, tenait les sauces grasses en horreur — et plus encore sans doute — mais le savait-elle ? Le corps avale cette soupe avec bonheur. Aucune ambiguïté : ce n’est pas la garbure au lard, la soupe pour nourrir ou réchauffer, non, c’est la soupe maigre pour rafraîchir, le corps l’avale à grandes lampées, s’en nettoie, s’en dépure, verdure première, les muscles s’en abreuvent. Dans les maisons son odeur se répand très vite, très fort, vulgaire comme le manger pauvre, le travail des femmes, le coucher des bêtes, le vomi des nouveaux-nés. On peut ne vouloir rien faire et puis, faire ça, oui, cette soupe-là : entre ces deux vouloirs, une marge très étroite, toujours la même : suicide. »
Ce n’est pas un texte d’écrivaine, cela : c’est un texte de grand écrivain.

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Personne ne sait
Comment il faut s’y prendre pour écouter du rap sans y être contraint.

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Le musée du Louvre, dont l’entrée est restée gratuite jusqu’en 1922.

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La « série américaine » moyenne, forcée de superposer, de combiner plusieurs affaires, pour pouvoir s’étaler sur plusieurs épisodes : une affaire principale, qui court tout du long, comme une échine et comme elle peut : un crime, par exemple, ou une disparition, dont l’élucidation est repoussée à plus tard ; et puis des membres greffés : le flic a un passé de tueur, le suspect cache la culpabilité de sa fiancée morphinomane et infirme, le fils de la greffière est leucémique, le cousin du directeur de la prison revend de la cocaïne, le prêtre a deux fils, le boulanger viole son employée, dont le frère a disparu au cours d’un cambriolage, et tout cela pendant la Guerre froide, au milieu des espions et des trafiquants de fausse monnaie, alors que sévit une épidémie due à un virus venu de l’espace.

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Dernière minute

Dans une université anglaise, une statue de Greta Thunberg.

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Les bientôt obsolètes: le paiement en espèces, chèque ou carte de crédit, remplacé par le « paiement par reconnaissance faciale ». Simple, discret, de bon goût. Prochaine étape: le troc. Un lapin contre une massue.

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Les églises qui offrent « des distributeurs d’eau bénite sans contact », à pédale. Pourquoi ne pas proposer du gel hydroalcoolique bénit ? Il aurait les mêmes vertus grenouillatoires, et l’on ferait d’une pierre deux coups (et sur cette pierre, etc.).

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)

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La troisième série de petits Papiers (Papiers découpés), parus sur Bibliobs.com, fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), la deuxième (Papiers recollés) sous le titre Le cul rose d’Awa (Du Lérot 2020, disponible sur commande en librairie ou chez l’éditeur.

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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