de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 119 Chaussettes et pivoines

N° 119 Chaussettes et pivoines

Par Jacques Drillon

À cheval, les mollets pincés par les étrivières.

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Les concertos pour flûte, toujours médiocres, joyeux/champêtres/idiots – sauf ceux de Mozart. Les concertos pour clarinette, toujours faibles, bavards/creux/mous – sauf celui de Mozart. Etc.

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Personne ne sait
Comment font les amateurs de sport pour s’offrir tous les « bouquets » payants, qui leur permettent de regarder intégralement les grandes manifestations, autrefois diffusées gratuitement à la télévision. Ils ne peuvent payer tous les abonnements nécessaires, et en sont réduits à regarder des diffusions illégales sur leur ordinateur, chacun chez soi.

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Les pivoines rouges : l’intensité presque insupportable de leur couleur, prête à vous exploser à la figure.

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« Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? » (Slogan féministe canal historique).

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Catherine Deneuve, qui collectionne les poules de porcelaine, céramique, bois ou faïence. Ma belle-mère aussi.

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Nacht und Träume, de Franz Schubert (1823)
Nacht und Träume, de Samuel Beckett (1982).

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« Implosion », mot employé presque toujours pour exprimer une idée d’explosion.

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Faire de la musique, activité orpheline, comme certaines maladies.

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Un musicien : « I once told Leonhardt that a Bach Prelude and Fugue (BWV 547) that he played in an organ concert at the Nieuwe Kerk in Amsterdam left me in tears. He immediately asked, ‘Was it that bad ?’ » (J’ai dit un jour à Gustav Leonhardt que le Prélude et fugue de Bach qu’il venait jouer en concert sur l’orgue de la Nieuwe Kerk d’Amsterdam m’avait fait venir les larmes aux yeux ; il m’a répondu : “ C’était si mauvais que cela ?” »
Au-delà de sa dimension de « bon mot », cette réponse montre l’abîme qui sépare le musicien qui joue et la personne, musicienne ou non, qui l’écoute. Le premier est du côté du travail, d’un travail extrêmement particulier, le seul sans doute qui requière un égal investissement de l’esprit, du corps et du cœur, et le sorte radicalement du monde où il vit ; le second vient prendre son plaisir, et dans le meilleur des cas, éprouver une émotion. Émotion qui, si elle était ressentie par l’exécutant, l’empêcherait de jouer. Deux mondes distincts.

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Le chapeau de Lester Young, qui avait un nom : « Pork pie hat ».

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Se surprendre à parler tout seul. La légère honte qu’on éprouve alors. (Surtout à rejouer pour soi une conversation où l’on a eu le dessous.)

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Le melon à la cuiller, ou bien avec couteau et fourchette ? Quelle question clivante !

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Le célèbre distributeur de billets de La Châtre,
dans le Berry, où Pierre Michon tire du liquide

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Aller chercher auprès de son enfant endormi la force qui manque.

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L’amour des listes, des catalogues, des inventaires. 

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Dernière minute

Entre la vaccination obligatoire (inévitable) et le passe sanitaire il y avait une  barrière (qui s’appelle la démocratie). La voilà mise à bas. L’épidémie aura permis plus de lois insensées en un an et demi qu’en cinq de sarkozysme frénétique. Le macronisme a instauré, et sans coup férir, la notion de Covid juridique.

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Le Muray de la semaine

« À neuf heures et demie, enfin, je me décide à aller écouter mon répondeur au cas où il aurait laissé un message. Pas question de faire ça de la Closerie, où ils ont encore des téléphones à cadran, il me faut une saloperie à touches. Je crapahute donc, sous le déluge, jusqu’à la cabine la plus proche, devant la gloriette du métro Port-Royal. Un type l’occupe fermement. Deux jeunes Arabes, deux très jolies filles habillées
en fièvre du samedi soir, attendent aussi. Elles s’impatientent, elles tapent à la porte vitrée. Le type leur conseille d’aller se faire mettre. Les deux jeunes Arabes lui répondent d’aller niquer sa mère avec les os de son cocu de père. Le type est au bord de les tuer. Il compose un nouveau numéro. Il tient sa cabine avec autant d’acharnement que s’il s’agissait d’un arbre à palabres. Les filles vont lui arracher les yeux. Entre deux trombes, elles crient qu’elles aimeraient bien lui couper la bite avec les dents et la lui enfoncer dans le cul. Il leur répond sur le même ton d’aller se préparer des tartines de merde et de les enduire de leurs poils de chatte. Les filles deviennent enragées. Finalement il sort, fou furieux, se plaignant d’avoir été interrompu dans ses conversations avec l’étranger. Les deux filles lui font un doigt d’honneur. Puis, dans la cabine, elles discutent à leur tour un quart d’heure. Abrégeons. Sur mon répondeur, il n’y avait pas de message. »

(Ultima necat, t. IV)

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 6h 30)

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La troisième série de petits Papiers (Papiers découpés), parus sur Bibliobs.com, fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), la deuxième (Papiers recollés) sous le titre Le cul rose d’Awa (Du Lérot 2020, disponible sur commande, en librairie ou chez l’éditeur.

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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