N° 26 Gentiness et pulsocon
De la difficulté d’écrire le « grand » Balzac qu’on attend, d’autant moins aisé qu’il serait définitif. Voir Zweig, Suarès, Muray, et tous ceux qui s’en sont approchés, l’ont entrepris, y ont renoncé.
*
Les obsolètes : les petites culottes normales, remplacées par des machins censément affriolants, vaporeux, réduits à leur plus simple expression, et qu’on dirait achetés dans des sex shops.
*
Les Staline d’aujourd’hui : Le Vatican, combien de caméras ? Les Gilets jaunes, combien de smartphones ?
*
Le déferlement ahurissant, brutal, universel, d’agapanthes bleues.
*
La reconnaissance qu’on éprouve à l’égard de qui sait vous admirer sans vous le dire.
*
Féminisme post-colonial, décolonial, post-moderne, différentialisme, essentialisme, universalisme beauvoirien ou non, féminisme identitaire, féminisme matérialiste, sociologique, constructiviste, féminisme intersectionnel, féminisme universel, écoféminisme, sororité, la vague un, la vague deux, la vague trois, le féminisme égalitaire, égalitariste, mouvement des sorcières, féminisme anarchiste, radical, libéral, communiste, socialiste, afro-américain, autochtone, latina, musulman, de couleur, féminisme queer, transféminisme, féminisme révolutionnaire, constructiviste, white, black, islamique, abolitionniste…
À créer : féminisme capitaliste, féminisme de la csp+ en gésine, féminisme quatre-fromages, gothique, féminisme arythmique, polanskien, végano-féminisme, féminisme anti ronde-bosse, bovaryque, hécatien, féminisme épicène, hydraulique, trumpo-poutinien, le féminisme première pression à froid, féminisme de centre-droit, féminisme artistique, germanopratin, tropézien, féminisme flou, féminisme plein-cintre, féminisme en papillotes, féminisme des sœurs Tatin, des sœurs Macaron, des sœurs Papin, féminisme de la Nonne sanglante, féminisme Richard-Lenoir (tendance Maigret), féminisme non fumeur, féminisme du permis à point G, féminisme du pari pascalien, féminisme anti-tiers-exclusion, anti-monte-lait, féminisme du quatrième type, féminisme bio, circassien, incestueux, féminisme pro-machiste, arthritique, féminisme du vivre-pas-ensemble, du bidet, féminisme contre-iconique, papal, symbolique, féminisme à boîte automatique, féminisme 2.0, féminisme tétramétrique, féminisme anti e muet, anti trottinette, pro Carmen, féminisme sauce gribiche, ministériel, judéo-chrétien, oméga-3, dératiseur de l’Opéra (tendance Truffaut-Degas), féminisme connecté, féminisme for men, avant-centre, nyctalope, post-prandial, féminisme à poignée rétractable, féminisme trans-humaniste, übermensch, eucharistique, anti calafertéien, féminisme radico-libre, féminisme anti-thé Mariage, féminisme de la métathèse de quantité, féminisme du tout-verdurin, du tout-au-beurre, du tout-à-l’égout, du tout-venant, féminisme ricard-pastis, féminisme anti-rides et pronuptial, féminisme primipare, horticole, marial, féminisme clitoris-orangis, féminisme geisha-bada, féminisme des tournantes démocratiques…
*
Jouvet pour la première fois à Venise. Il ne visite rien, fonce droit au théâtre de la Fenice, monte sur le plateau, et s’extasie enfin : « Ah, Venise ! »
*
La petite pointe de chocolat, tout au fond des cônes de glace, à laquelle on ne s’attend pas.
*
Le pléonasme (« tri sélectif », « danger potentiel »…) comme figure de choix de l’époque où nous avons le déplaisir de vivre ; comme si nous le chargions de rééquilibrer les plateaux d’une balance déréglée par le poids des euphémismes (« personne non voyante », « à mobilité réduite »…). À moins que le pléonasme ne connaisse cette fortune pour une autre raison : peut-être cherchons-nous à remplir le vide général créé par l’abondance d’événements ahurissants, qui sont en si grand nombre qu’ils paraissent chacun d’une lassante banalité, autrement dit, à renforcer un faible énoncé par sa redondance. Nous comptons, en augmentant le débit, pouvoir remplir le tonneau des Danaïdes. Ainsi, le maire de New York, après avoir déclaré « La journée de samedi va être vraiment, vraiment pénible » (noter le redoublement de l’adverbe), a cru bon d’ajouter : « Et ce jusqu’à dimanche. » Il lui a sans doute semblé qu’une journée pénible n’était pas une perspective assez frappante pour être signalée, mais qu’il fallait dire plus, et préciser que cette journée durerait exceptionnellement vingt-quatre heures.
*
L’application pour téléphone portable « Kinditude » (pourquoi pas « Gentiness » ?) En voici le concept : « La gentillesse est plus qu’un acte aléatoire. C’est une attitude à inculquer, une habitude à développer. L’application Kinditude permet de cultiver une attitude de gentillesse. Elle offre des idées simples pour exprimer la gentillesse envers tout un chacun. Planificateur de bonté : planifiez et pratiquez la gentillesse dans le cadre de votre routine par des rappels quotidiens ou hebdomadaires. Faites des actes de bonté planifiés cinq minutes par jour. Comptez vos actes de gentillesse. »
Cette application était payante (1,09 €) ; effet de la gentillesse de ses concepteurs, elle est désormais gratuite.
*
Terre de bruyère, engrais, taille minutieuse, arrosage, et puis c’est le tuteur qui fleurit.
*
« Née Rostopchine. »
« Ma bonne ! Ma bonne ! »
*
Pas de statue à Paris pour Georges Belmont, pas d’avenue, pas la plus modeste courette. C’est pourtant lui qui a recueilli les souvenirs de Céleste Albaret, gouvernante de Proust.
(PS
Il n’est pas près de l’avoir, sa rue… Il paraît que Belmont est le nom qu’il a pris à la Libération pour faire oublier le vrai, qui n’était plus très honorable.)
*
Les obsolètes : le pulsocon. Cela vous a l’air d’un vilebrequin, d’une chignole, ou d’un sextoy pré-colombien, mais non : c’est un dispositif médical qui date de la fin du XIXe siècle. On tourne la manivelle, la cupule de caoutchouc se met à donner des petits coups répétés, vrrrrrr…. Selon qu’on la tourne vite ou lentement, la fréquence de la vibration augmente ou diminue. Le tempo de Sambre et Meuse, comme pour la caméra de Louis Lumière, semble le plus adapté. On vous applique ça sur le trapèze, le long dorsal ou le sus-épineux, et le muscle noué se détend.
Depuis le temps, le caoutchouc a séché, s’est durci. Et l’appareil que vous avez trouvé chez un brocanteur ne vous sert plus à rien ; mais vous pouvez y coincer une petite balle de mousse dense et souple, ou n’importe quoi de sphérique et d’un peu élastique.
Le pulsocon a une empreinte carbone nulle, il ne contrevient à aucune loi antisexiste ou antiraciste, c’est un instrument parfait.
*
Les assistants de Jean Renoir, pour Une partie de campagne, outre Claude Heymann : Yves Allégret, Luchino Visconti, Henri Cartier-Bresson, Jacques Becker.
*
(Dernière minute)
Les manifestants de Hong Kong, qui n’ont plus le droit de porter de masques à gaz. Le gouvernement justifie cette interdiction en citant d’autres pays qui appliquent déjà la même prohibition, comme la France. La Chine reconnaît enfin la grandeur de notre république, du pays des Droits de l’homme, notamment le droit imprescriptible de respirer autant de gaz lacrymogène qu’on veut.
j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)
Si vous n’avez pas reçu le lien sur lequel cliquer pour accéder à ces Petits Papiers, c’est que vous n’êtes pas abonné. Vous pouvez le faire en écrivant à j.drillon@orange.fr, en mentionnant « m’abonner » dans le champ « sujet » ou « objet » du message.
Les deuxième et troisième séries (Papiers recollés, Papiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).
Comments are closed.