de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 4 Les nuits d’insomnie des moules marinières

N° 4 Les nuits d’insomnie des moules marinières

Le bruit infernal que fait un bébé la nuit, quand il dort. Ça suçote, ça couine, ça ronfle, ça racle, ça beuleubeuleu… Dans une maison, on se débrouille toujours : on se couche à un autre étage. Mais dans un deux-pièces ? Par quel miracle tous les bébés ne se retrouvent-ils pas sur le palier ?

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Les moules qu’on replonge dans l’eau, après un certain temps passé à l’air libre. Elles se noient.

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Sir James Matthew Barrie, l’auteur de Peter Pan. Le gouvernement anglais a, par dérogation, accordé un droit d’auteur perpétuel à son ayant droit, un hôpital londonien. Cette loi ne s’applique qu’en Angleterre. L’hôpital n’est pas détenteur du droit d’auteur à proprement parler, mais est autorisé à percevoir les sommes dues au titre du droit d’auteur, y compris dans les écoles où la pièce originale est jouée, ou adaptée. Il a mis sur pied un service chargé d’exploiter ce droit, de gérer les licences, de louer le matériel publicitaire, de commander à des écrivains des suites à la pièce ou des adaptations, d’organiser une « Semaine Peter Pan ».
Dans de nombreux pays du monde, Peter Pan est dans le domaine public. Les États-Unis ont prolongé à 95 ans leur copyright sur les œuvres appartenant à une personne morale (loi dite « Mickey Mouse ») ; la pièce Peter Pan y est donc protégée jusqu’en 2023. 

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(Suite)
En Europe, les auteurs sont protégés – on calcule donc la durée du droit d’auteur à partir de l’année de leur mort. Aux États-Unis, ce sont les œuvres qui sont protégées – on calcule donc la durée du copyright à partir de la publication de l’œuvre. Ainsi, telle œuvre de jeunesse d’un auteur peut être tombée dans le domaine public, tandis qu’une autre, plus tardive, peut encore être protégée. 

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(Fin)
En France, au contraire du « droit patrimonial » limité à 70 ans, le « droit moral » est imprescriptible. Si l’on parvient à prouver qu’on est un descendant de François Villon, on peut s’opposer à la publication d’une préface à ses œuvres, à une nouvelle édition, à une adaptation en français moderne,– en règle générale à tout ce qui est susceptible d’attenter à son intégrité.

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« Il en reste ! Personne n’en veut ? Vous n’allez pas me laisser ça ! »

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Les obsolètes : les chiottes à la turque, où l’eau de la chasse vous inondaient les pieds. Le papier journal piqué sur un clou.

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Les belles étymologies. On sait que les premières traces d’écrit étaient des contrats commerciaux. Calendrier : vient de calendarium, livre d’échéances (de calendae, calendes). Un calendrier, c’est un outil qui permet de savoir quand payer ses dettes.

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Quelques retournements de Dubillard :
« Tellement soûl qu’on le voyait double. »
« John est plus trempé que je ne voudrais l’être à sa place. »
« Un livre, c’est fait pour être lu, pas pour être écrit. Ce serait beaucoup trop long. S’il fallait écrire les livres qu’on achète, au lieu de les lire, plus personne n’en achèterait. »
« Vous dites ce texte comme je le dirais à votre place. »
« Il n’est pas nécessaire d’être ivre pour avoir soif. »
« Vous êtes condamné à avoir tué votre femme. »
« Si grand fut mon désespoir, dit l’épouse abandonnée, que mon mari en mourut. »
« Tout le monde en parle comme d’une chose que personne ne dit. »
« J’ai des choses à taire, à tout le monde. »

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(Suite)
L’incroyable proximité de Dubillard et de Jules Renard. Même précision de la pensée, même pureté de la phrase, même goût de l’absurde, même souci de la vérité, même obsession du théâtre, même « tour », comme disait Saint-Simon. Lequel des deux a écrit :
« Un borgne, c’est un infirme qui n’a droit qu’à un demi chien. »
« J’ai quarante ans comme n’importe qui. Quand j’avais vingt ans, c’était comme personne. »
« Est-ce donc si sûr qu’on soit né pour vivre ? »
« Aujourd’hui c’est tout juste s’il ne pleut pas, tellement il a fait beau hier. »
Lorsqu’on lit Dubillard (ses Carnets en marge), et qu’on le trouve citant Jules Renard, on applaudit de joie, comme un enfant devant Guignol. On n’avait pas rêvé, nomdedieu !

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(Fin)
Dans ses Carnets, Dubillard note un nombre à côté du jour où il écrit. Par exemple : « Rome, 25 juillet, 2430. » Le nombre oscille entre 2000 et 2800.
2430, qu’il faut développer en 24 h 30 min, signifie : pas dormi depuis 24 heures et 30 minutes. « On donnerait sa tête en prime pour retrouver le sommeil », écrit-il.

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Les différents états de l’embryon humain : morula (petite mûre), gastrula (petite cavité), blastula (petit bourgeon).

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Dans le « Figaro » du 10 janvier 2019 : « Hidalgo gratuise les transports en commun pour les enfants à Paris. » Au « Figaro », on néologise un max, inchoativement parlant.

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Ce vice (im)puni. Le livre qu’on vous demande de lire, à l’école. Qu’on vous commande de lire. Aussitôt insupportable, quel qu’il soit. Tout ce qu’on vous ordonne de faire devient infernal ; même ce qui, spontanément accompli, était une jouissance.

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Le psy. Son patient lui dit tout, et découvre même qu’il dit ce qu’il se cachait à lui-même ; mais cela dépend de l’analyste : on ne dirait pas la même chose à un autre. Pour dire tout, faut-il donc avoir plusieurs analystes ? Une infinité d’analystes ?

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La mélodie mozartienne, toujours fortement genrée. La mélodie masculine, la mélodie féminine, la mélodie trans, la mélodie queer, la mélodie gay, la mélodie folle, la mélodie macho. Nécessaire création, dans les conservatoires, d’un département de « mozartian melody gender studies ».

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(Dernière minute, la citation de la semaine)
Grégory Joron, responsable CRS pour le syndicat Unité-SGP-Police, juste avant le 1er mai : « Désormais, nous allons au contact, ces quatre mois et demi de manifestations violentes nous ont obligés à évoluer. Nous ne pouvions plus rester figés et regarder passer les trains. »
 
Cette jeune fille, battue au sol à coups de matraque et de bottes, crâne enfoncé, lésions cérébrales, devait sans doute, en décembre à Marseille, être dans le train, et regarder quelques placides CRS brouter l’herbe des champs.

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis)

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Les deuxième et troisième séries (Papiers recollés, Papiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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commentaires

5 Réponses pour N° 4 Les nuits d’insomnie des moules marinières

Caiaphas dit: à

Sylvia Sidney?

Jacques Drillon dit: à

Oui, dans Sabotage.
J. Dr.

Bonnet laurent dit: à

Je ne connaissais que les fameux diablogues de Dubillard, ce petit papier donne furieusement envie de se plonger dans ces carnets en marge !

Jacques Drillon dit: à

Les carnets de Dubillard sont positivement superbes! Et il y en a des tonnes (1000 pages). On y retourne comme on se plonge dans un bain chaud.

Marie Sasseur dit: à

-Par quel miracle tous les bébés ne se retrouvent-ils pas sur le palier ?

-Parce que tous les parents ne sont pas misophones, Mr Drillon.

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