N° 58 Valère Novarina retire ses chaussures de ski
La caméra subjective : filmer de l’intérieur d’un four, d’un réfrigérateur, d’une malle. Comme si le four, le réfrigérateur, la malle, étaient le narrateur.
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Le beauf en gelée.
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L’incomparable sensation de soulagement qu’on éprouve à retirer cette saloperie de chaussures de ski.
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Ceux qui écrivent aux journaux (pour râler) : « Nous sommes un groupe de lecteurs… »
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Les immenses verres dans lesquels les Américains boivent leur vin, si l’on en croit leur cinéma.
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Les gens, parfois de haut niveau culturel, sachant distinguer le roman naturaliste du roman réaliste, reconnaître chaque apôtre dans la Cène de Léonard de Vinci, analyser finement une statistique ou le programme économique d’un candidat à la Présidentielle, et qui pourtant disent « Litz » au lieu de Liszt.
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Les machines de Valère Novarina : La Machine à dire la suite, La Machine sans savoir pourquoi, La Machine à faire l’homme, La Machine à marcher à l’arrêt, La Machine agglutinante, La Machine à savoir pourquoi, La Machine à voir partout, La Machine à dire beaucoup, La Machine métrique, La Machine linéaire, La Machine à passer à l’arrêt, La Machine à raccourcir l’alphabet, La Machine à tromper les chiffres, La Machine à suivre les nombres, La Machine à connaître le bien et le mal, La Machine à stagner dans toutes les directions, La Machine à aimer la mort, La Machine à songer l’homme, La Machine à singer l’animal, La Machine à béatifier Dieu, La Machine à réparer le vide juridique, La Machine à commettre, La Machine réique, La Machine à authentifier la mort, La Machine à rester sur la ligne, La Machine à vider le plein, La machine à dire Voici, La Machine à intérioriser l’homme à l’intérieur de lui-même, La machine à faire réel, La machine Carciale, La Machine à tout crin. Vingt-neuf Machines au point mort.
(Novarina, suite)
« La machine à dire beaucoup communique : “Un Quidam surnommé Quelqu’un, auquel seraient venus se joindre deux individus sans alibi supposés de la même farine, se sont rassemblés ce matin devant l’Assemblée du Syntagme avec un tiers de la même espèce. Et ce, pour former le premier comité quadripartite destiné à conforter dans leur opinion les sondés sans opinion”. »
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Personne ne sait
Comment Lucien Leuwen pliait les billets qu’il envoyait à Mme Grandet. On sait seulement que « Lucien était remarquable pour l’art de plier ses billets », et que « c’était peut-être celui de ses talents élégants auquel Mme Grandet avait été le plus sensible ».
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Le « bracelet électronique » à la cheville / La « montre connectée » au poignet.
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La R4, qu’on appelait toujours 4L.
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« Le bec du perroquet qu’il essuie quoiqu’il soit net » (Pascal).
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(Suite)
L’extraordinaire parenté de Monteverdi et de Pascal. Le premier, notamment dans son chef-d’œuvre de 1610, les Vêpres de la Vierge, n’emploie que des stéréotypes, des banalités : gammes montantes et descendantes, petits dessins très simples répétés vers le haut ou vers le bas, sortes de « patterns » en escalier, mélodies sur une, deux ou trois notes (surtout une seule), mais tout cela arrangé d’une manière absolument nouvelle et somptueuse.
Le second revendique la banalité des mots qu’il emploie et de ses pensées, mais proclame la nouveauté de leur disposition : « Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle ; quand on joue à la paume, c’est une même balle dont jouent l’un et l’autre, mais l’un la place mieux. J’aimerais autant qu’on me dît que je me suis servi des mots anciens. Et comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente, aussi bien que les mêmes mots forment d’autres pensées par leur différente disposition. »
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Liz Taylor, qui avait demandé dans son testament à arriver un quart d’heure en retard à son propre enterrement, pour faire comme d’habitude.
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George Steiner, qui trouve dans « le génie verbal de Proust » (« l’esprit le plus puissant du siècle, à certains égards ») un « certain automatisme de l’excès ».
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(Dernière minute)
ALERTE CORONAVIRUS
Emmanuel Macron, Président de la République Française et de la Subtilité Nationale, à propos de la pénurie de masques: « Je pense que beaucoup de choses ont été dites sur ce sujet, j’y suis revenu, le gouvernement… N’ayons pas ce… Les choses ont été dites. Les choses ont été gérées. Nous n’avons pas connu de situation… » Puis : « Nous n’avons jamais été en rupture. Ce qui est vrai, c’est qu’il y a eu des manques.
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(Suite)
Nous étions « en guerre », il y a donc des médailles émises à l’armistice, frappées par la Monnaie de Paris. C’est logique, et ça coûte 8 €.
C’est beau comme l’antique.
On remarque, outre le soin apporté à n’oublier personne (les paysans, les livreurs, les ambulanciers, les éboueurs, le 15, le 18, et ainsi de suite), qu’il y a deux hommes pour une femme, si l’on ose dire. Mais la femme (qui n’a pas de pantalon, c’est une manière désuète et condamnable de la différencier) est plus grande, et elle est médecin. La qualité supplée la quantité.
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(Suite)
Puisque l’État a le cynisme d’honorer ceux qui, faute d’argent public, ont dû laisser mourir des vieux dans les couloirs, et, faute de protection, sont parfois tombés malades eux-mêmes, nous avons conçu à son intention une médaille plus digne et plus vérace :
Et adressons une pensée fraternelle à tous ceux qui n’ont pas eu le droit d’assister à la crémation de la personne qu’ils aimaient, et n’ont pu qu’imaginer un cercueil brûlant en vitesse dans une cave, sous les yeux fatigués des opérateurs. Les morts peuvent crever, en quelque sorte.
j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)
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Les deuxième et troisième séries (Papiers recollés, Papiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).
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