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Oint du Seigneur

Oint du Seigneur

Par Nathalie Cohen

Mireille_Hadas-Lebelvisuel« Messie », est un mot fort, un mot religieux. Au point que, contaminés peut-être par sa religiosité, nous ne songions  pas spontanément à envisager le terme dans sa longue histoire. C’est pourtant, à cette question, inspirée par ses étudiants à la Sorbonne, que Mireille Hadas-Lebel se propose de répondre en nous livrant une passionnante Histoire du Messie qu’elle a la modestie et la prudence d’intituler « Une histoire du Messie ». Maîtrisant une importante documentation ( textes biblique, apocryphes, chrétiens, rabbiniques, historiques, critiques universitaires…) elle s’ interroge sur l’histoire du mot pour cerner le moment où le messianisme a pris naissance et suivre son évolution dans la pensée juive jusqu’à nos jours. Elle parvient à dépasser une difficulté essentielle qu’ elle pointe elle même :

« La christologie qui s’est développée à partir du Nouveau Testament éclipse souvent la messianologie originelle, pour autant qu’elle puisse être reconstituée ».

Nous apprenons ainsi que dans la Bible hébraïque, le terme mashiah désigne tout simplement un prêtre et surtout un roi qui ont reçu une onction d’huile sacrée et deviennent, comme le roi David « oints du Seigneur ». Si donc, il a un messianisme dans la Bible, M. Hadas-Lebel va le chercher sous d’autres noms. Les Prophètes et les Psaumes contiennent des termes très concrets, Hosanna, Moshi’a, go’el  qui vont être spiritualisés pour bâtir l’idée de salut et de rédemption.  Mais, même dans Isaïe, Dieu seul peut « sauver » les hommes, et le Messie espéré par les Psaumes est juste un roi descendant de la lignée davidique, un Mashia’h ben David. Il faudra attendre Paul pour que ces textes soient interprétés autrement.

C’est avec le Livre de Daniel qu’on observe un basculement et une véritable évolution des idées dans le judaïsme. Y sont formulées la croyance en la résurrection (absente dans les textes avant l’ exil babylonien  du VIème siècle), ainsi qu’ une nouvelle vision, périodicisée de l’ histoire (la statue aux pieds d’argile) et apocalyptique (les quatre bêtes ). Au chapitre 7, Daniel voit en songe  « comme un fils d’homme » qui s’oppose à quatre bêtes effrayantes. Ce personnage d’apparence humaine est accueilli par  « l’Ancien des jours », une figure anthropomorphique de Dieu…VBn0TXE9b7jnSxZ_7zfbid6zo64

Message consolateur, écrit en plein conflit avec les Grecs séleucides, Le Livre de Daniel crée les images d’ un nouveau messianisme, une vogue apocalyptique confirmée par les textes apocryphes qui suivront, comme le Livre d’ Hénoch où le terme d’ « élu » est employé 15 fois. Cependant les attentes eschatologiques, en Judée , comme en diaspora, sont diverses et variées. Ainsi les Pharisiens, et une partie du peuple avec eux, espèrent-ils tout simplement un roi juste et pieux , une antithèse d’ Hérode. Et la différence des appellations de Jésus par la rumeur populaire,par ses disciples et par lui-même illustrent bien cette variété des attentes : prophète pour les uns, roi descendant de David pour les autres, fils de l’ homme , fils de Dieu, puis «  Jésus-Christ » pour Paul.

Après la catastrophe de 70, l’ incendie du Temple et la chute de Jérusalem, l’ espérance en un Messie a pu se consolider ; on calcule le temps de sa venue dans les écoles d’étude à Yabné selon les règles de du Livre de Jérémie et de Daniel. Au début du IIème siècle, au moment où l’Apocalypse de Jean annonce le retour du Christ, des révoltes juives éclatent en Egypte, Cyrénaïque, à Chypre qui sont réprimées par les Romains de manière sanglante. En Judée, Rabbi Aquiba voit un messie en la personne de Bar Kohbah, général qui remporte quelques victoires et frappe monnaie, avant d’être vaincu par les troupes d’ Hadrien en 135.

La répression est inouïe, sanglante ; les crucifixions, les massacres et les jeux du cirque vont bon train. Le judaïsme, qui en ressort traumatisé, ne peut plus se permettre d’être messianique s’ il veut survivre. Le fait est que le thème du messie est soigneusement évité dans la Mishna, recueil d’ opinions rabbiniques, base du futur Talmud, compilée en 200 par Rabbi Juda Ha-Nassi. Peu ou pas présent donc dans le Talmud et le midrash, le messianisme s’ installe dans la liturgie élaborée pour l’ essentiel entre l’ Antiquité et le Haut Moyen-Age.

Il serait vain de chercher dans cet ouvrage le récit des aventures d’un personnage : il s’agit avant tout de l’histoire du messianisme. L’auteur achève par une passionnante étude des prières et par un inventaire documenté des doctrines et des messianismes du Moyen-Age à nos jours. Ce qui rend plus indispensable encore cette analyse fine et intelligente, que sa grande érudition n’ empêche pas d’être accessible. A lire donc sans attendre… la venue du messie, quel que soit son nom.

NATHALIE COHEN

(« Mireille Hadas-Lebel » photo D.R. ; « Onction de David par Samuel », enluminure d’une Bible, vers 1230, France)

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Mireille Hadas-Lebel

Une histoire du messie

280 pages, 19;50 euros

Albin Michel

Cette entrée a été publiée dans Essais, Histoire religieuse, LE COIN DU CRITIQUE SDF.

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commentaires

4 Réponses pour Oint du Seigneur

Onésiphore de Prébois dit: à

En somme, le messianisme (et le monothéisme) aura coûté très cher au peuple Juif. Alors qu’une acceptation nonchalante du polythéisme gréco-romain, si accommodant, si tolérant, lui aurait épargné tous ces ennuis, et à nous, très probablement, les imbéciles doctrines du christianisme et de l’islam. Que de temps l’humanité aurait gagné sur le chemin du progrès. Mourir pour une croyance religieuse, ce qu’il faut être con, tout de même, aujourd’hui autant qu’hier.

ueda dit: à

Le messianisme n’est supportable qu’à la condition d’avoir fait le choix de la non-existence du Messie.

Evidemment s’il faut revoir les choses à la baisse, il faut savoir où s’arrêter.
Hier au café, un type m’a dit « Il faut garder l’moral ».
C’était navrant.

ueda dit: à

une acceptation nonchalante du polythéisme gréco-romain, si accommodant, si tolérant (Prébois)

Dans quelle mesure cette idée d’une tolérance du polythéisme ancien n’est pas une idée reçue?
Elle nous apparaît comme telle parce nous accordons une grande importance aux dogmes, aux credos, aux théologies.
Mais si la question est posée en termes pratiques (l’obligation de se conformer), j’avoue ne pas trop connaître la réponse.

ken /lo dit: à

l’étude historique soigneuse – et on peut faire confiance à Madame Hadas Lebel – me semble un excellent « garde fou » contre les ides reçues et préjugés colportés dans différents enseignements , même à l’E.P.H.E où j’ai croisé Madame Hadas Lebel .

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