de Pierre Assouline

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Rencontre de l’actuel et de l’inactuel sur une table de dissection

Rencontre de l’actuel et de l’inactuel sur une table de dissection

C’est tout un art d’écrire une chronique mais, rassurez-vous, cela ne fait pas pour autant de tout chroniqueur un artiste. Rares sont les virtuoses y compris parmi les écrivains. Beaucoup s’y sont essayé, parfois avec succès au XXème siècle avec des fortunes diverse –et même avant : Proust qui assura brièvement une « chronique de salon » sous le pseudonyme shakespearien d’Horatio dans les pages mondaines du Figaro ; Colette, assidue aux procès, qui tint une « chronique d’allure judiciaire » dans les journaux ; Cingria dans la Nrf des années 30 ; Vialatte, qui retombait sur ses pieds à l’issue de chacune de ses chroniques dans La Montagne, qu’elles traitassent de l’âge du premier homme ou des mœurs de la chèvre, par « Et c’est ainsi qu’Allah est grand » ; Duras qui se fit chroniqueuse de l’actualité parallèle à l’actualité politique, celle des traces laissées par le passage du temps, chaque mercredi de l’été 1980 dans Libération ; Bernard Frank dans le Nouvel Observateur, un cas car quel qu’ait été le sujet de sa chronique, on était à peu près sûr d’y croiser les Juifs, le maréchal Pétain, le signalement d’une bonne bouteille et l’adresse d’un restaurant ; et tant d’autres, Morand, Aymé, Calet, Perret, Nimier, Audiberti, Blondin… Bref, on mesure à cet inventaire à quel point l’art de la chronique est patiné. Ce qui a manqué à nombre d’entre eux ? La régularité. Une idée, un thème, un sujet, une inspiration, un déclic, cela ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Comme disait Jacques Perret, orfèvre en la matière :

« Être ou ne pas être est une question intéressante aussi, et même pressante quand il s’agit d’en avoir ou pas ».

Car l’air de rien, ça engage et donc ça oblige d’avoir rencart avec ses lecteurs chaque semaine au même endroit sous le réverbère. La fidélité doit être réciproque. C’est comme une conversation dans laquelle ils s’inviteraient avec le rare sentiment d’être personnellement accueillis. La chronique est le plus intime des genres journalistiques, et le plus libre quoique strictement encadré par des colonnes qui froncent les sourcils au moindre signe surnuméraire. Forme brève, elle tient de la critique d’humeur et manie volontiers l’ironie. Le chroniqueur nous raconte des histoires en s’autorisant toutes les digressions au motif que le hors sujet n’existe pas pour lui. Heureux homme que cet écrivain s’il passe à la postérité littéraire aussi par ces vignettes sur la vie comme elle va. Tout dépend de sa manière de faire l’actualité à sa main, ce que Lautréamont a ramassé en une formule lorsqu’il a défini la chronique comme « la rencontre de l’actuel et de l’inactuel sur une table de dissection ».

Eric Holder, écrivain parmi les plus attachants disparu en 2019 à l’âge de 58 ans, connait ce bonheur à titre hélas posthume avec la publication ces jours-ci de L’Anachroniqueur (282 pages, 22 euros, Le Dilettante). A la relecture, le recueil de ses haïkus briards puis médocains parus dans Le Matricule des anges de 1996 à 2012, demeure un modèle du genre. Il tenait la chronique pour une carte blanche à la dimension d’une carte de visite. Les siennes avaient ceci de japonaises qu’elles ne manquaient pas d’évoquer la saison avant de célébrer l’évanescence des choses et les sensations par elles suscitées. Magie du titre, foin de la formule qui frappe, air de ne pas y toucher, tendresse pour ses personnages, sens de l’épure, goût de la fantaisie, discrétion en toutes choses. Quelle douceur et quelle fluidité dans cette prose qui s’écoule comme l’eau dans un ruisseau de montagne ! On dirait qu’il écrit à hauteur d’homme dans un français à l’usage des musiciens. Ni futile ni éphémère, la chronique rêvée, selon lui, avait quelque chose d’un caillou posé dans la page :

« Un petit galet, plutôt, et longuement poli, comme celui qu’on pose au milieu du quotidien régional étalé sur la table, dehors ».

Pour observer les petits riens de la vie, une certaine qualité de temps est nécessaire conjuguée au goût des autres avec ce qu’il faut de légèreté poétique. La fragilité d’Eric Holder demeurait inentamée, de même que le souci de son prochain. Quand l’époque se gobergeait dans les facilités assassines de la dérision, il n’avait d’autre arme qu’un sens aigu, permanent, naturel de la délicatesse. Tout dans son attitude, son savoir-vivre, sa diction, sa voix était de cette tessiture-là. C’est dire à quel point, outre l’écrivain, un chroniqueur de cette pâte humaine nous manque.

(Photos Passou et D.R.)

Cette entrée a été publiée dans Histoire Littéraire, vie littéraire.

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1 417 Réponses pour Rencontre de l’actuel et de l’inactuel sur une table de dissection

B dit: à

Boris Eltsine qui paraît il a regretté avoir permis à Poutine d’accéder au Pouvoir.

D. dit: à

Il est extrêmement rare de n’avoir jamais eu mal à la tête de sa vie. Normalement tout le monde se prend un beau jour une porte, une poutre, ou autre chise.

Jazzi dit: à

« Il est extrêmement rare de n’avoir jamais eu mal à la tête de sa vie. »

Oui, D., mais comme tu le sais Charoulet n’a jamais eu ni grippe ni rhume.
Quant à sa sexualité, il n’a jamais eu recours à la fellation ni pratiqué la sodomie, active ou passive : uniquement la position du missionnaire.

B dit: à

Jazzi, entre le missionaire et la sodomie il existe un tas d’alternatives pour varier dans le plaisir. On est quand même pas obligé pour ne pas s’ ennuyer de se faire e…..er.

B dit: à

Missionnaire, le résultat en ce qui me concerne c’est que c’est toujours un peu la même histoire. Pas de suoi ecrire un toman érotique.

Patrice Charoulet dit: à

Qui parle d’astrologie mérite le mépris le plus complet.
Qui me tutoie en m’interrogeant sur ma sexualité mérite le mépris le plus complet.
De manière plus générale, à mon humble avis, plusieurs confrères d’ici sont de la dernière catégorie et ne peuvent dépasser toutes les bornes que parce qu’ils n’osent pas dire leur vrai nom.
S’ils osaient signer de leur vrai nom ils n’auraient pas toute honte bue.

B dit: à

Quoi, roman?

Jazzi dit: à

Ce que j’en disais, c’était juste pour compléter l’autoportrait de Charoulet, B.

closer dit: à

Pas vu Popaul pendant la première demi-heure du docu de la 5 sur Saint Malo…Les gens font un documentaire sans savoir qui sont les gens importants de l’endroit.
Incroyable…

closer dit: à

Barozzi parlait de « s’identifier à »…à un pochard, un cinglé, impossible. Cela ne m’empêche pas d’admirer des ivrognes en tant qu’écrivains, B. L’oeuvre m’intéresse plus que l’auteur.

« Hyper rationnel » n’est peut-être pas la bonne expression. Disons très raisonnable, terre à terre, conformiste…chiant même si ça peut faire plaisir à certains.

closer dit: à

Ce qui compte, c’est le plaisir de la femme, JB et B. Celui de l’homme est acquis. Alors, missionnaire ou pas missionnaire, quelle importance? C’est le résultat qui importe.

closer dit: à

En effet JB…

MC dit: à

Colette a aussi signé la Jumelle noire ou les Chroniques de l’Ouvreuse où elle s’occupait de musique, me semble-t-il

et alii dit: à

Monsieur Charoulet, vous dites que « Qui parle d’astrologie mérite le mépris le plus complet. »
mais pour fonder ce mépris, il faut connaître l’astrologie , ,et « en parler » (de façon à inspirer son rejet )

MC dit: à

Et je me demande, cher ´Pierre Assouline. Le compte-rendu judiciaire, ne serait-ce pas plutôt Gide à ses moments perdus? Bien à vous. MC

DHH dit: à

@JJJ
Tres absent e ces temps-ci de la RDL je decouvre aujourd’hui votre post à mon intention concernant 2066
J’ai lue avc une application scrupuleuse la critique vers laquelle vous m’avez orientée
Et même après cette lecture ,je n’ai pas éprouvé ce sentiment de satisfaction que vous apporte un texte explicatif qui rend lumineux un livre ou un texte difficile , dont on decouvre alors comme par miracle la richesse et la portée ,et qui finit par vous enthousiasmer par sa force , son originalité et sa richesse
Ce que j’ai eprouvé quand on m’a expliqué le Cimetiere marin ou Histoire le pemier livre de Claude Simon que l’ai lu
Non malgré le secours que vous m’avez apporté je continue a ne pas apprécier ce roman
Certes il comporte quelques pépites (il me vient a l’idée une page que j’ai aimée sur le declin des salles de cinema ) ;et on peut aussi saluer la performance de l’ auteur qui ,par une accumulation de fiches de police, transcrites presque mot pour mot ,arrive à dresser un tableau tres abouti de la misere économique materielle et morale d’une societé rongée par la corruption ls inégalités et la violence
Mais je n’ai jpu pu supporter l’absence de vrai fil directeur,ce ramassis d’ histoires qui s’accrochent les unes aux autres au hasard d’une péripétie ordinaire dans la vie d’un personnage , et tous ces faux mystères alambiqués autour de la quête d’un personnage mythique , pisté par des personnages sans consistance
En tout cas merci d’avoir essayé de m’arracher à ma cécité sur les qualités de ce roman

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