de Pierre Assouline

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La République des livres
N° 5 Simone de Beauvoir cultive des patates

N° 5 Simone de Beauvoir cultive des patates

Par Jacques Drillon

Pendant la Commune de Paris, en 70 jours, il s’est créé 70 journaux.

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« L’élevage des enfants » (Simone de Beauvoir).

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Les armoiries du Mozambique :

Vous noterez la présence gracieuse et pacifique de la kalachnikov, munie de sa baïonnette, si raffinée.

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Les obsolètes : le moulin à café, calé entre les genoux.

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Les gens qui vous reçoivent dans leur bureau. Ils vous montrent un siège en face d’eux, s’installent dans le fond de leur fauteuil, mettent parfois les pieds sur la table, et vous vous asseyez ; vous commencez à parler, et brutalement vous vous apercevez que quelque chose ne va pas, ne tourne pas rond, sort de ses gonds, comme dit Shakespeare, comme si vous découvriez que votre interlocuteur est tout nu, ou que ça sent le tabac chez lui : il n’y a pas d’ordinateur sur ce bureau !

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La couverture immuable des livres de la Collection blanche, chez Gallimard. Apparemment symétrique : auteur, titre, éditeur, tout cela bien au milieu, sanglé par les trois filets qui les encadrent. Eh ! bien non, rien n’est centré : l’ensemble est décalé de plusieurs millimètres vers le nord-ouest de la couverture. Par exemple:

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Maria Perrotta, qui joue les Variations Goldberg alors qu’elle en est à son neuvième mois de grossesse. Une ambulance stationne devant la salle de concert, pour le cas où le fleuve Bach lui ferait perdre les eaux.

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Exercice de style
Des mains de menteur, qui ont le menton fuyant ; des mains d’aristocrate, qui vous regardent de haut ; des mains vertueuses, qui n’ont jamais rien pensé d’impur ; des mains bonnes travailleuses, qui ont blanchi sous le harnais du violoncelle… Toutes les mains, qui semblent muettes, tellement éloignées du visage, et qui pourtant révèlent ce qu’il cache, comme des métaphores boiteuses mais limpides.

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La forte baisse des ventes de guitares électriques. Remplacées par les choses numériques.

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– Bonjour, je voudrais une baguette, s’il vous plaît.
– Y a pas d’souci.

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(Suite)
– Bonjour, je voudrais une baguette, s’il vous plaît.
– Mais bien sûr !

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(Fin)
Autrefois :
– Bonjour, je voudrais une baguette, s’il vous plaît.
– Oui, monsieur. Soixante-quinze centimes.
– Voici. Merci.
– Cinquante et vingt, plus cinq, le compte y est. Au revoir, monsieur.
 Puis, les années passant, l’escalade :
– Au revoir, monsieur. –> Bonne journée ! –> Belle journée ! –> Très bonne journée ! –> Excellente journée ! –> Passez une bonne journée ! –> Passez une excellente journée ! –> Je vous souhaite de passer une très belle journée.
Bientôt :
– Cinquante et vingt, plus cinq, le compte y est. Fantastique journée ! –> Très, très magnifique journée ! –> Je vous souhaite, cher monsieur, une journée sublimissime. –> Mon mari, mes employés et moi-même, ainsi que toute la ville, nous vous souhaitons, très cher monsieur, la plus extraordinaire journée de toute votre vie. Mais alors quelque chose de bien, le truc mémorable ! Une journée pas piquée des vers ! Que vous vous en souveniez jusqu’à la fin de vos jours !

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Le modèle du Courtial des Péreires, l’inventeur polygraphe, génial et fou, de Mort à crédit : un certain Raoul Marquis. Il était né à Graffigny. Aubaine pour qui avait envie d’être marquis de Graffigny.

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(Suite)
Marquis était, comme le sera Courtial, l’inventeur d’une agriculture intensive par l’électricité. Cette expérience très bouvard-et-pécuchetienne donne lieu à l’épisode le plus désopilant de toute l’œuvre de Céline. La culture des pommes de terre semées dans des champs électrisés est une catastrophe. Pestilence atroce, pourriture et vermine généralisées :
« Ce fut vraiment impossible de dissimuler très longtemps une telle invasion de vermine… Le champ grouillait, même en surface… La pourriture s’étendait encore… on avait beau émonder, extirper, sarcler, toujours davantage… ça n’y faisait rien du tout… Ça a fini par se savoir dans toute la région… Les péquenots sont revenus fouiner… Ils déterraient nos pommes de terre pour se rendre mieux compte !… Ils ont fait porter au Préfet des échantillons de nos cultures !… avec un rapport des gendarmes sur nos agissements bizarres !… Et même des bourriches entières qu’ils ont expédiées, absolument farcies de larves, jusqu’à Paris, au Directeur du Muséum !… Ça devenait le grand événement !… D’après les horribles rumeurs, c’est nous qu’étions les fautifs, les originaux créateurs d’une pestilence agricole !… entièrement nouvelle… d’un inouï fléau maraîcher !…
Par l’effet des ondes intensives, par nos « inductions » maléfiques, par l’agencement infernal des mille réseaux en laiton, nous avions corrompu la terre !… provoqué le Génie des larves !… en pleine nature innocente !… Nous venions là de faire naître, à Blême-le-Petit, une race tout à fait spéciale d’asticots entièrement vicieux, effroyablement corrosifs, qui s’attaquaient à toutes les semences, à n’importe quelle plante ou racine !… aux arbres même ! aux récoltes ! aux chaumières ! À la structure des sillons ! À tous les produits laitiers !… n’épargnaient absolument rien !… Corrompant, suçant, dissolvant… Croûtant même le soc des charrues !… Résorbant, digérant la pierre, le silex, aussi bien que le haricot ! Tout sur son passage ! En surface, en profondeur !… Le cadavre ou la pomme de terre !… Tout absolument !… Et prospérant, notons-le, au cœur de l’hiver !… Se fortifiant des froids intenses !… Se propageant à foison, par lourdes myriades !… de plus en plus inassouvibles !… à travers monts ! plaines ! et vallées !… et à la vitesse électrique !… grâce aux effluves de nos machines !… Bientôt tout l’arrondissement ne serait plus autour de Blême qu’un énorme champ tout pourri !… Une tourbe abjecte !… Un vaste cloaque d’asticots !… Un séisme en larves grouilleuses !… Après ça serait le tour de Persant !… et puis celui de Saligons !… C’était ça les perspectives !… On pouvait pas encore prédire où et quand ça finirait !… Si jamais on aurait le moyen de circonscrire la catastrophe !… Il fallait d’abord qu’on attende le résultat des analyses !… Ça pouvait très bien se propager à toutes les racines de la France… Bouffer complètement la campagne !… Qu’il reste plus rien que des cailloux sur tout le territoire !… Que nos asticots rendent l’Europe absolument incultivable… Plus qu’un désert de pourriture !… Alors du coup, c’est le cas de le dire, on parlerait de notre grand fléau de Blême-le-Petit… très loin à travers les âges… comme on parle de ceux de la Bible encore aujourd’hui… »

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« Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. » Comme si la nuit n’avait qu’un œil !

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(Dernière minute)
Nous avions auteure, et puis aussi autrice, qui continuent de se crêper le chignon. Sur le site du Monde, le 16 mai, on pouvait lire : « Nous avons demandé l’aide d’Aline Daillère, juriste et auteurice de L’ordre et la force… » Bordeldedieu, ça se corse.

j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis)

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Les deuxième et troisième séries (Papiers recollés, Papiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).

Cette entrée a été publiée dans Les petits papiers de Jacques Drillon.

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commentaires

4 Réponses pour N° 5 Simone de Beauvoir cultive des patates

Laurent Worms dit: à

Beau survol du temps

et alii dit: à

pour une auteurisée,il faut descendre dans le temps

Jazzi dit: à

Peut-on imaginer Céline nous parler des Gilets jaunes ? ça serait coton !…

Janssen J-J dit: à

c koi ta problématique, djack ? c l’fun…

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