de Pierre Assouline

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La République des livres
Albert Speer, contre-fiction

Albert Speer, contre-fiction

De moins en moins de récits de soi, de plus en en plus de questions sociétales ou morales, une baisse notable du nombre de romans publiés. La rentrée littéraire de l’automne 2024 confirme cette tendance amorcée depuis quelques années déjà. Quant à la présence de l’Histoire dans les romans, elle brille par sa discrétion. Raison de plus pour remarquer la parution du quatrième roman de Jean-Noël Orengo « Vous êtes l’amour malheureux du Führer » » (20,90 euros, Grasset). Ce n’est certes pas la première fois qu’un écrivain s’empare de l’Histoire pour la mettre en scène avec les moyens de la littérature (on peut le feuilleter ici). Les précédents ne manquent pas. On peut continuer à les ranger dans la catégorie fiction, il n’empêche que les faits qui y sont rassemblés ne mentent pas. Enfin, pas toujours. Cette nouvelle tentative se situe dans la veine du HHhH (2010) de Laurent Binet, sur l’assassinat de Heydrich à Prague en 1942, mais sans l’intrusion du récit de soi au sein de l’enquête ; le parti pris formel d’Orengo rappelle également L’Ordre du jour (prix Goncourt 2017) mais sans les libertés contestables prises par Eric Vuillard avec les données établies par l’historiographie.

Albert Speer (1905-1981), architecte-maitre d’œuvre des grandes cérémonies du IIIème Reich, ministre de l’Armement et de la Production de guerre (1942-1945), était le favori du Führer, tant et si bien qu’il passa pour son dauphin et même un peu plus – d’où le (mauvais) titre du roman inspiré de la réflexion d’un officier SS, même si tout y est des aléas d’un couple : lune de miel, crise, réconciliations, retours en grâce. Malgré cela, au procès de Nuremberg, il ne fut condamné qu’à vingt ans de prison alors que son premier adjoint fut pendu. Non seulement il s’en est bien sorti mais pendant un certain temps il a réussi à imposer sa vision de son rôle dans le nazisme.

Même s’il y eut des voix dissonantes, les historiens ont longtemps « décalqué » ses souvenirs. Puis les spécialistes du nazisme ont établi que cet égocentrique préoccupé de se fabriquer une figure morale mentait. On ne peut plus désormais (re)lire ses mémoires autrement que comme l’autofiction d’Albert Speer. Reste à savoir pourquoi pendant tant d’années ses vérités inventées ont pu agir sur tant d’esprits jusqu’à lui permettre de sauver sa peau puis d’installer sa légende ; pourquoi tant de biographies sont faites de paraphrases de ses mémoires jusqu’à le présenter comme « le bon nazi » ; et comment celui qui fut « la tête de gondole d’Hitler » est devenu « la star des médias et des historiens ». Car même s’il y eut des voix dissonantes dans la bataille des récits, longtemps on a considéré comme une source les souvenirs de Speer Au cœur du troisième Reich (1969), dont le titre de l’édition originale allemande était Erinnerungen (Réminiscences). Le livre, qui avait été rédigé sur vingt mille feuilles de papier hygiénique lors de sa détention dans la forteresse de Spandau dont il fut libéré en 1966, connut un succès phénoménal. Les témoins des réunions qu’il rapportait étaient morts. Des rescapés du IIIème Reich dénoncèrent l’ingratitude et la trahison de l’ancien favori du Führer.

Afin de fabuler sur sa fable, Jean-Noël Orengo nomme moins souvent Hitler et Speer qu’il ne les surnomme : le guide et l’architecte. Avant-guerre, le premier se voulait le commanditaire et mécène du second, comme si Jules II avait retrouvé son Michel-Ange. Ecrit au présent sans souci de la chronologie sur le mode d’une conversation avec le lecteur, l’auteur nous fait part de ses étonnements, de ses doutes ; il interprète tant les écrits que les silences de son antihéros. Déconstruction de la reconstruction, passé recomposé après coup puis décomposé, culte du détail qui authentifie l’ensemble, liberté de ton… : une façon décalée de raconter le passé qui vaut qu’on s’y arrête lorsqu’elle est portée par une langue et une écriture. De quoi réactiver le débat à jamais inachevé sur l’apport de la littérature lorsqu’elle s’empare de l’Histoire pour la mettre en scène.

Dans le dernier tiers du roman apparait Gitta Sereny (Vienne 1921- Cambridge 2012), jeune historienne tombée dans les rets de cet homme séduisant, charismatique et manipulateur. Ils se sont écrit à partir de 1977, puis se sont rencontrés. Toute à sa fascination du Mal absolu, elle passa trois semaines avec lui, moins pour l’interroger que pour dialoguer avec cet antisémite mondain non pas hostile aux juifs mais indifférent à leur sort. Et creuser « la » question : que savait-il de la solution finale à l’œuvre ? Sa réponse demeura invariable : il ne la découvrit qu’en 1945 au procès de Nuremberg. Sauf que progressivement, des archives inédites le contredirent. De quoi l’embarrasser sans l’émouvoir car sa capacité de dédoublement lui était une cuirasse. Le romancier nous entraine à observer ce que ce processus, qui va en augmentant avec l’âge, a de passionnant. Car jamais Speer ne dévia de sa formule : « coupable collectivement, innocent individuellement »

Aux yeux du romancier, Albert Speer, son combat avec la vérité (1995) de Gita Sereny est ce que l’on a écrit de meilleur sur Speer car c’est l’histoire de deux personnages : elle, lui et leur relation. Après le guide et l’architecte, la star et l’historienne. La réussite du roman de Jean-Noël Orengo est telle qu’en le lisant en miroir avec les propres livres d’Albert Speer et de Gita Sereny dont il est en quelque sorte le troisième volet, s’impose in fine le titre qu’il aurait mérité tant il inaugure un genre avec une grande pénétration : « Albert Speer, contre-fiction ».

(« Albert Speer en compagnie d’un ami » photos D.R.)

Cette entrée a été publiée dans Histoire, Littérature de langue française.

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commentaires

1 240 Réponses pour Albert Speer, contre-fiction

Marie Sasseur dit: à

censé ?

Chaloux dit: à

« Et quand il est amoureux , les collines resplendissant… »

Ma pauvre Assasseure, tes raisonnements sont vraiment ceux d’une demeurée qu’aucun homme n’a jamais songé à approcher. Il est évident que tu ignores absolument tout du sujet. Mais la lecture, pauvre pomme véreuse, surtout celle des navets que tu sélectionnes avec soin, ne peut pas tenir lieu de tout. Il eût fallu un peu plus de travaux pratiques. Trop tard? Ah…

Chaloux dit: à

Assasseurue: « Est-ce sensé faire de lui un homme ? »

C’était quoi? Un choucas?

De mal en pis… Ferme-la un peu, tu t’enfonces.

Marie Sasseur dit: à

Je ne vais pas tenir le crachoir à un multi récidiviste de la délinquance en ligne; même si pendant ce temps, des pauvres femmes vulnérables, auront, ailleurs et dans la réalité, gagné quelques minutes de dignité…

Marie Sasseur dit: à

Peut-être même auront-elle gagné une semaine, avant d’être expulsées.

Chaloux dit: à

Tu as raison Assasseure, tiens t’en là. Sinon, pauvre minable, il va falloir creuser avec une pelle.

closer dit: à

Je viens d’entendre que Barnier ne buvait que de l’eau…Personne n’est parfait.
Enfin, ça va plaire au dieppois.

Marie Sasseur dit: à

Je viens de lire cette analyse politique de la situation.

« C’est la parole évangélique : les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers. « 

Phil dit: à

« Il faut choisir d’aimer les femmes, ou de les connaître; il n’y a pas de milieu »
Chamfort

Marie Sasseur dit: à

Call for Duras,

Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter.

D. dit: à

Si ti veux, Closer, on va boire un coup tous les deux à la santé de Barnier.

D. dit: à

Excellent, Phil.
On peut aisément transposer aux hommes.

D. dit: à

Closer, mes poules sont très rangées. Elles ne sortent pas seules, ne reçoivent pas. Aucun danger.

Paul Edel dit: à

Dans son dernier ouvrage « Comment écrire », Pierre Assouline multiplie les conseils et techniques( et les citations des meilleurs auteurs )pour ne pas échouer dans son entreprise littéraire. Parfait. Et Je tombe ce matin sur une lettre de Céline (je signale que les ayant-droit et Gallimard viennent d’ accorder une option à Joann Sfar pour qu’il construise une scénario et filme « le voyage au bout de la nuit ») . Donc je tombe ce matin sur une lettre de Céline du 19 août 1948,lettre à Charles Deshayes.Il donne ce conseil : »Et puis gardez toute votre violence dans votre texte, elle est de très bon ton. Ne vous polissez pas. » Quel excellent conseil: »Ne vous polissez pas. « Il est parfaitement suivi par quelques uns ici, de la RDL

Jazzi dit: à

« Ne vous polissez pas. »

Le chinois, Paul !

A ma question, le dernier livre de Passou est-il une anthologie ?, un erdélien désirant garder l’anonymat me répond en privé :

« Une anthologie ? Non bien qu’on trouve beaucoup de citations mais aussi des souvenirs de rencontres.
C’est un ouvrage étrange écrit par un auteur multiple. Le chroniqueur, le prof d’atelier d’écriture à Science-Po, le lecteur, le diariste.
Le livre est structuré en chapitres méthodologiques : le plan – le genre – qui parle ? – du style – les personnages – les dialogues – décrire….

Mais quand on les ouvre, chaque chapitre est une rencontre qui invite plus à l’introspection : « Est-ce bien le moment pour moi d’écrire ? » Et là il nous parle du kairos, ce petit Dieu ailé qu’il faut attraper quand il passe… du doute qui l’a habité quand il écrivait, du doute qui habitait des écrivains qu’il connait bien.
Souvent on est arraché à ce monologue pensif par l’abondance des documents qui sont offerts : photos (portraits, intérieurs, objets…), manuscrits, couvertures de livres, dessins (portraits), dessins d’époque (caricatures…), dessins d’auteurs, calligrammes…
C’est un livre qui se lit comme une confidence ou comme une conversation…
De plus, il est beau. Tout est plaisir : le papier choisi, les couleurs du texte et des illustrations, un riche camaïeux d’ocres, la mise en page ludique avec le choix de grossir une pensée, une question.
Parfois le prof ressort comme un ludion ! Pierre Assouline a dû utiliser des conseils donnés à ses élèves, mais il s’échappe très vite de cette voix pour reprendre une méditation solitaire offerte à ces écrivains qu’il a lus, parfois rencontrés, parfois écoutés plus qu’à d’éventuels lecteurs. Il est ailleurs, dans ses souvenirs…. On entend presque sa voix, ce débit paisible, ses pauses, ses silences, ses rires aussi car le livre est léger tout en étant profond. On sent qu’il s’est fait plaisir à l’écrire et que de recherches, plusieurs années sans doute.
Un cadeau que, débonnaire, il offre sans contrepartie. »

Marie Sasseur dit: à

@Ne vous polissez pas

And what about Houellebecq, il écrit comment ?
Bien, très bien, super bien ?

racontpatavi dit: à

reprendre une méditation solitaire

Bien sûr, Jazzi. il s’agit pour P. Assouline de circonscrire son propre plaisir de la littérature dans un « réel » communicable caché sous des cnseils.
Ce que vous dites du fait de l’ entendre parler, eh bien, figurez-vous que l’ autre jour ( je crois que c’était lundi) alors que je me rendais en voiture à mon supermarché, je tombe sur un bref entretien de ce même passou sur France Info, bref, mais bien incitateur pour le lire.
La couleur des caractères du texte, je l’aurai plutôt vue dans un gris élégant et soutenu comme je me l’entendis dire par un ami, grand typographe hélas, trop tôt disparu.
Bonne journée!

racontpatavi dit: à

conseils!

Paul Edel dit: à

Jazzi mon petit tu as lu trop vite ce que je dis d un film qui doit adapter Le voyage au bout de la nuit.je souhaite bien du courage au malheureux qui a proposé ça à Gallimard..

Jazzi dit: à

Mission impossible, Paul.
Même des cinéastes de l’envergure d’un Visconti ou d’un Losey ne s’y sont pas essayés…

Marie Sasseur dit: à

« un erdélien désirant garder l’anonymat me répond en privé: »

L’anonymat sans doute, mais le caractère privé du message n’était pas du tout la suite escomptée connaissant la sûreté légendaire de cette « boîte postale », l’envoyeur était certain de voir son message publié, rooo, à quelle pruderie de jeune fille ce Mr plus de chez Bahlsen en est-il réduit pour adresser un ( bel) hommage au chef d’atelier.
C’est un remake de Cyrano ?

rose dit: à

Marie Sasseur dit: à
Call for Duras,

Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter.

Voilà, c’est de ma mère.
Au scrabble, après avoir écrit
JEAN
Elle a écrit
HOMME.

rose dit: à

Elle me donne un courage fou.

rose dit: à

Mais modéré.

Marie Sasseur dit: à

Bof, Duras supportera bien ça, elle a déjà tellement été « intertextualisée « , combien de points au Scrabble pour ce mot ?

Non moi, je suis toute à mon étonnement devant mes fulgurances…

B dit: à

Je viens d’entendre que Barnier ne buvait que de l’eau

Nous devons au célèbre Boris Eltsine son successeur, entre autres choses inhérentes à ce pays où les hommes abusent de la vodka. Cela m’étonnerait tout de même que Michel Barnier crache sur un bon vin, forcément sa demeure doit comporter une bonne cave.

B dit: à

MS, 7 lettres, trop long votre élément de vocabulaire.

B dit: à

A propos de Duras, il m’et arrivé de me dire que je pensais un peu dans son style, dépouillé, mais ça n’a pas duré. Je frôle actuellement le silence radio total, l’absence absolue, les mots n’irriguent plus mes hémisphères, il doit s’agir d’un blocage, d’un assèchement du à une viduité, une vie vide si vous préférez et je ne sais pas comment remédier à cette absence d’allant et donc comme une chaîne permet le mouvement d’un vélo classique , les mots ne viennent pas plus que le mouvement d’un vélo qui serait privé de sa chaîne. Une vie remplie de mots provient d’une vie bien remplie! C’est évident, allez, courrez dire ça aux manoeuvres, aux ouvriers, aux oubliés qui n’ont pas assez de mots pour dénoncer le sort qui est le leur, bougez vous, bande de vides!

Marie Sasseur dit: à

Travailler fatigue, mais ne rien faire et balader son ennui insultant, ça repose pas non plus. Sortez ! c’est la période où les associations font appel à des bénévoles.

MC dit: à

Rose, le « Qui sait si l’âme des bêtes va en bas? » est une citation de l’ Ecclésiaste qui surgit pour la première fois textuellement dans le William Shakespeare du Père Hugo. « Un professeur de Khâgne qui se prend pour Sartre «  Vous l’amuseriez beaucoup, Chaloux. Ledit Professeur de Khâgne , ex Normalien, le fut à H 4 , pas n’importe quelle maison , pour ULM, puis à Hypochartes pour les Chartistes. Il a laissé un merveilleux souvenir à ses élèves.Vous, vos grogneries diverses et variées ne vous ont ni embelli ni mené loin.

B dit: à

ennui insultant

Je n’insultais pas, lisez de l’ironie si vous voulez, ne prenez pas votre cas pour une généralité. A la prochaine occasion, j’imagine aisément que Chaloux sera dispensé de sa charge d’huissier douteux. Le corps a ses raisons que la raison méprise.

Jazzi dit: à

« Non moi, je suis toute à mon étonnement devant mes fulgurances… »

Vous êtes bien la seule à mouiller, MS !
A ce stade, c’est de l’incontinence…

Marie Sasseur dit: à

Non, je ne lis aucune ironie dans les posts d’une qui traîne son ennui insultant.
Qu’elle se bouge, les occasions de se rendre utile ne manquent pas

B dit: à

Surement, je vous donne raison,vous accorde le dernier mot car je sais que vous y tenez, n’en parlons plus. La retraite donne à réfléchir ainsi qu’à remonter en arrière la bobine d’un film tout public. Cela n’apporte rien, regrets, constat divers et c’est déjà l’hiver. Je comptais sur septembre mais hélas cette année pour le sport, nager, canoe, il faudra attendre un peu. Peut-être un forfait pour skier, ou se perdre dans la forêt pour y trouver des cèpes. Passez le bonjour à l’huissier quand il passera pour le besoin.

Marie Sasseur dit: à

« Non moi, je suis toute à mon étonnement devant mes fulgurances… » oui, et des fois ça me stupéfie. Ça doit être un truc d’abduction…ou d’induction ou de déduction, je sais pas. Je n’ai pourtant jamais eu plus d’une année d’avance…

Le prostitué du blogapassou a fait une bonne action.

J’avoue que la police qui se polisse, je trouve ça chou, comme tout.

Et puis quoi, Roxane peut apprécier de savoir d’où vient cette belle déclaration.
Y de ces tue l’amour , vraiment… ces gens là manquent de panache et je n’ai plus de mépris à dépenser.

Alors que, hein, beaucoup de respect, au finish!

https://youtu.be/3T1c7GkzRQQ?feature=shared

B dit: à

Les gens de parole

2400 AVT JC

“Ne parle pas. C’est par la parole qu’on devient indigne de tout.”

closer dit: à

Il pourrait au moins boire du vin de Savoie!

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