Amaury Nauroy, lanterne inspirée des rondes de nuit
D’un côté, un jeune auteur parfaitement inconnu dont c’est le tout premier livre. De l’autre, des auteurs très connus surtout là-bas, sur l’autre versant de la frontière, en Suisse, une contrée exotique pour tant de Français. Entre les deux, la littérature vécue comme une passion. De ce croisement est né l’ouvrage le plus original, le plus inattendu, le plus fin de cette rentrée, laquelle compte comme chaque année à la même époque une douzaine de bons livres mais aucun qui s’impose. On n’en voit guère qui ait la qualité de Rondes de nuit ( (288 pages, 24 euros, Le Bruit du temps), en librairie depuis un peu plus d’un mois mais si discrètement, à l’image de l’auteur et de l’éditeur.
Un titre pareil fait immédiatement penser au tableau de Rembrandt exposé au Rijksmuseum d’Amsterdam, et pour cause : un détail de La Ronde de nuit (1642) figure sur la jaquette, son nombre d’or où apparaissent une petite fille symbolisant Saskia, l’épouse du peintre, entourée des mousquetaires d’une compagnie de la milice bourgeoise de la ville et d’arquebusiers, menés par leur capitaine Frans Banning Cocq. Mais n’allez pas croire qu’il s’agirait là du travail d’un historien de l’art à cette oeuvre entièrement voué. Difficile de qualifier un tel livre car il ne relève d’aucun genre canonique : on y trouve du roman, de l’essai, du reportage, de l’enquête, de l’anecdote, du portrait, de la poésie et même du polar à l’occasion d’un fait divers criminel. On pourrait dire à l’instar de l’éditeur qu’il s’agit d’un recueil de proses mais la fragmentation et la discontinuité que cela suppose induirait le lecteur en erreur. Disons : un récit, faute de mieux.
Amaury Nauroy (Vernon, dans l’Eure,1982) a tout fait avec, pour et autour des livres : libraire, éditeur, bibliothécaire, attaché de presse, correcteur, nègre à l’occasion, et pourquoi pas visiteur de grand écrivain. Ne lui manquait plus d’en écrire un, enfin. Ca lui a pris dix ans. La durée n’est jamais un indicateur de qualité ; elle évoquerait plutôt le labeur, la difficulté ; il faut bien du talent pour faire oublier l’effort. Le cas, ici. Toutes ces années à lire et écouter afin de tisser un éloge de la littérature, de la poésie, de l’amitié littéraire d’une beauté à couper le souffle. Car son goût de la langue, sensuel, charnel, sensible, ne l’a pas pour autant confit dans le respect en dépit de sa capacité à admirer. Sa liberté est totale lorsqu’il s’en prend à « la prudence helvétique », à l’épaisse haine romande des Bernois, au goût du méchant complot anti-parisien. Rien ne bride sa fantaisie, pas même l’aura d’un maître devenu un ami. Sous sa plume, un mot en rencontre souvent un autre pour la première fois, du moins veut-on le croire tant l’osmose est magique. De l’élocution de Jacques Chessex si pathétique, décrit en « vieille tortue précautionneuse », il rapporte :
« A chaque phrase, la Suisse tumultueuse qu’il racontait me sautait au visage, comme un dieu-chat »
Le récit, dont il est le narrateur et personnage principal, déroule de bout en bout sa passion pour la fiction et la poésie de la Suisse romande depuis l’après-guerre. Il les a tous lus et relus, les Gustave Roud, Philippe Jaccottet, Jacques Chessex, Anne Perrier, Charles-Albert Cingria sans oublier bien sûr, en amont, Ramuz le patron. Plusieurs avaient leur éditeur en commun, le fameux Henry-Louis Mermod, largement abordé, ainsi que leurs amis peintres. Amaury Nauroy a rendu visite aux vivants pour évoquer les morts en leur souvenir radieux, quitte à « passer de l’autre côté de l’époque, rejoindre une scène légendaire où les poètes existent » jusqu’à tirer de leur commerce un éclairage fut-il partiel sur « la mentalité poétique de l’époque », manière de prendre le pouls de cette famille d’esprit.
Désormais éclairé, il nous éclaire sur ce milieu romand, dont une partie s’est transporté du côté de Grignan, comme s’il portait la lanterne dans le tableau. On y est avec lui, de plain pied dans le motif. On s’étonne avec lui de constater la présence de barreaux à la fenêtre qui fait face au bureau de Ramuz. Son empathie est contagieuse. Tant et si bien que, même les lecteurs qui ne savent rien de ce monde-là seront touchés et emportés par le tableau de leurs existences quand un écrivain d’une reconnaissance si fraternelle s’en fait le resusciteur. Au-delà de l’hommage parfois critique, sinon féroce dans les à-côtés de certains portraits à l’acide de quelques dynasties lausannoises, ou dans l’ironie moqueuse par laquelle sont évoquées « la jaccottisation des cercles littéraires et la bouviérisation de l’université de Lausanne », Rondes de nuit a les accents universels d’un roman d’apprentissage, au plus près et au plus profond de l’intime expérience des œuvres et des leçons de vie qu’elles prodiguent parfois à ceux qui les y cherchent.
Voilà tout ce que l’on déguste page après page dans ce récit vif et profond, composé dans une langue splendide, avec le goût du détail cher à Cingria, l’inimitable façon qu’avait Ramuz de métamorphoser le Valais en une haute vallée de l’Inde, le réenchantement des routes du Haut-Jorat par Roud, toutes choses racontées à la lumière d’un clair-obscur diffusé par la carte postale d’un tableau hollandais, posée sur le bureau de l’auteur, l’écrivain Amaury Nauroy. Pour en avoir fait son grigri, il a fini par y voir une mystérieuse et inexplicable ronde de poètes emmenée par le plus invisible des personnages de la scène, celui dont on ne voit que l’oeil, le reste étant dissimulé par l’épaule gauche du porte-enseigne, l’oeil d’un certain Rembrandt…
(« La Ronde de nuit », 1642, huile sur toile de Rembrandt, Rilkjsmuseum, Amsterdam ; » l’oeil de Rembrandt dans le tableau » détail de la Ronde de nuit »)
1 013 Réponses pour Amaury Nauroy, lanterne inspirée des rondes de nuit
oui ; il est amoureux, Jean, donc il a moins de temps, ce qui est tout à fait logique.
« Voilà le dossier Lars Van Trier, monsieur le Procureur Delaporte ! »
Eh bien, allez-y, instruisez votre dossier, Jacuzzi ! Moi, je ne trouve pas cela très convaincant.
1002; adjugé?
J’attends toujours les noms des pseudos récentes accusatrices de Polanski, monsieur le Procureur Delaporte…
« L’hommage parfois critique sinon féroce »…
psst, c’est du Jacques Chessex dans le texte cette « jacottisation des cercles littéraires », cette « bouvierisation de l’université de Lausanne » .p.178, « le voyage d’hiver »…
,Chessex, qui n’a rien à envier à des jurés de prix littéraires, dont il fut l’un des « colereux ». C’est étrange, mais si aucune amitié ne s’est véritablement créée entre Amaury Nauroy et Chessex, il me semble que c’est bien ce « cadet » qui, de son vivant, -et survivant-, lui a légué la parole des poètes disparus. Et si vous permettez, « Passou », Ramuz comme leur premier de cordée (nique au freluquet hors sol qui abuse d’un langage qu’il ne maîtrise pas plus que les scribes à son service) et pas Ramuz, le « patron »
Do You see ze difference?
The same that remains between » les plaines mamelonnantes du Haut Jorat » et une « très énergique pression des rocs sur le vide alentour ».
Dans ce livre,
« on y trouve du roman, de l’essai, du reportage, de l’enquête, de l’anecdote, du portrait, de la poésie et même du polar à l’occasion d’un fait divers criminel. »
« un fait divers criminel »
On ne peut pas ne pas revenir sur ce » fait divers ».
D’autant que l’affaire Ségalat a, en son temps défrayé la chronique, et puisque aujourd’hui encore, cette affaire n’est toujours pas pour la justice Suisse, un « cold case »…
Dans le chapitre entier consacré à l’affaire, laissons l’a-priori d’Amaury Nauroy au sujet du principal suspect, le fils du libraire, un a priori qui peut apparaitre comme « son intime conviction », avec cette petite phrase énigmatique, qui dit un fait, mais pas que: « on en est là »
sur le fait que la France qui n’extrade pas ses nationaux, a refusé à Laurent S. (désigné ainsi dans le texte) de prêter serment, ultime épreuve pour devenir avocat… Alors que c’est un brillant garçon…
laissons-donc la justice suivre son cours, pour en revenir à Roger-Jean Ségalat, libraire, que nous fait découvrir Amaury Nauroy. Avec un talent sensible, qui a nourri une réflexion.
Que sait-on de la réalité d’une personne. Dans quelles circonstances devient-il nécessaire de connaître cette réalité.
Elle se fait jour au gré d’une enquête littéraire, par exemple, comme au cours d’une enquête criminelle.
Pour avoir creusé le sujet, notamment à travers une enquête sur Henri Charrières, dit » Papillon », et ses bobards, -ou plutôt des vantardises qu’il savait faire entendre-, Roger-Jean Ségalat illustre l’idée que cerner une vie c’est un équilibre entre s’en tenir aux faits et recourir à « la plus ou moins grande mythomanie des témoins ».
A posteriori, ce qui interpelle Amaury Nauroy, comme probablement ses lecteurs, compte-tenu de l’affaire survenue par la suite: l’assassinat de son épouse, c’est cette extraordinaire analyse littéraire à laquelle il s’est livré, concernant « Crime et Châtiment » de Dostoïevski, où le criminel est décrit avec une précision qui jamais ne se retrouve dans l’instruction d’un procès. Faisant valoir que cette réalité d’une vie, même retranscrite par la Justice reste un commun accord obtenu sur » la fiction la plus logique ».
Je ne suis pas fan de Jaccottet. J’ai recherché un poème sur a montagne, qu’il m’avait semblé avoir posté un jour ici. Peut-être le seul que j’ai lu, alors.
Autant préciser que Jaccottet-sa vie-son oeuvre n’est pas nécessairement une motivation pour lire ce livre » Rondes de nuit », même s’il en a été la rencontre capitale qui a fait émerger un vrai bonheur de lecture.
D’autant que ceux qui ne prisent pas un certain hermétisme pour faire genre, auront peut-être souri, comme moi, à cette évocation du Poète de Grignan, qui se préoccupe plus du tout-venant de la vie quotidienne au village, dans ce qu’elle a de plus trivial, que de la périphérie historique, ah le château, ses occupants célèbres…
Me donnant plus l’impression de conserver un quant-à-soi bourgeois retiré de la vie parisienne, mais veillant à ce qu’on le sache, et s’attirant ce pourquoi il se préserve: des lecteurs fanatiques, surtout des lectrices d’ailleurs, au milieu de mafieux et de hippies, meilleurs agents touristiques de Grignan. Quel tableau !
Et ceux qui ne prisent vraiment pas l’hermétisme du non-dit, genre sein un zeit du fameux filosofe allemand, ces rencontres du Poète de Grignan font un peu penser cercle des poètes du Thor de Char ( c’est très vache, mais là fallait pas louper ça)
il manque un mot
lire:
Et pour ceux qui ne prisent vraiment pas l’hermétisme du non-dit, genre sein un zeit du fameux filosofe allemand, ces rencontres du Poète de Grignan font un peu penser cercle des poètes du Thor de Char ( c’est très vache, mais là fallait pas louper ça)
au cercle non ? le mot qui manque « au » ?
comme au cercle des poètes disparis.
Disparis ?! Que nenni.
correction, suite.
de même que pour ces poètes du Thor, le titre de référence est: Sein und Zeit.
j’ai oublié, a special mention for » Isabelle », quelle bonne femme !
Si le début m’a semblé trop long, la lecture de Ronde de nuit, m’a passionné,l’auteur décrit une époque qui a nourri mon enfance…j’ai baigné dans ce climat et ce monde culturel lausannois et vaudois. On était juste à la sortie de la guerre,l’école avait un rôle important dans la santé des enfants, tout semblait possible, de grandes amitiés et solidarités entre artistes existaient, mon père, le violoniste chef fondateur de l’OCL, Victor Desarzens en compagnie de Marcel Poncet peintre verrier et autres artistes comme René Morax, Hugues Cuénod, Edith et Gilles avaient organisés un gala à la Maison du Peuple en faveur des familles françaises, Henri-Louis Mermod amis de ces artistes, avait largement aidé pour que ce gala existe. Je vous propose un lien pour mieux découvrir cet événement. http://www.notrehistoire.ch/medias/43644
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