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Ce que Michael Haneke a fait de l’éthique du mal

Ce que Michael Haneke a fait de l’éthique du mal

Le mal, le mal, le mal… Avec ou sans majuscule, il n’y a pas à en sortir, on n’arrête pas de tourner autour de cet infracassable noyau de nuit qui résiste à toutes les analyses. Tous les arts s’en sont emparés et continuent d’en creuser l’énigme. Au cinéma, Michael Haneke (Munich, 1942) en a fait l’objet de sa quête depuis ses débuts, avec ses moyens, sa vision : montrer ce que c’est que de faire le mal, montrer le mal qui survit à ceux qui le font, jusqu’à provoquer chez le spectateur une jouissance de l’insupportable.

Sarah Chiche, psychanalyste et écrivain, s’y est attaqué dans un essai sur son cinéma, au titre aussi poétique que mystérieux Ethique du Mikado (229 pages, 19 euros, Puf). En soixante et onze fragments, la moindre des choses quand on pense à l’importance du fragment comme « morceau de doute », l’inachevé, l’ouverture aux choix du spectateur dans le cinéma de Haneke. Autant d’explosions de pensées et de fusées à partir d’un thème, d’un nom, d’un titre, d’un mot, couronnés par un entretien qu’elle a mené en 2013 avec le réalisateur. Elle s’emploie à démonter les mécanismes de sa machinerie, les rouages de son univers fantasmatique, la logique interne de ses films, leurs références revendiquées ou inconscientes, leurs soubassements et tout ce qui y est à l’œuvre.

Ce faisant, elle élargit notre réflexion sur les limites de la puissance d’illusion du cinéma ; ce qui l’a toujours retenu de montrer les rapports sexuels dans ses films, non par puritanisme mais par souci de ne pas trahir l’illusion propre au cinéma. La démonstration est convaincante, mais il est préférable d’avoir vu tout ou partie des films en question pour apprécier – et d’éprouver également une certaine empathie, voire de l’admiration, pour ce cinéaste hors pair, parfois déroutant, souvent fascinant.amour_de_michael_haneke

Un artiste si autrichien dans sa haine du monde qui l’avait vu naître, protestant élevé dans un environnement catholique, s’inscrivant ainsi dans une longue tradition dite de « la mélancolie autrichienne » qui va de Georg Trakl à Elfriede Jelinek en passant par Karl Kraus, Joseph Roth, Ingeborg Bachmann, Thomas Bernhard, Peter Handke, famille d’esprit qui ne fut jamais une école, et qui se caractérise par un humour grinçant, un goût de la parodie, de la satire, de la dérision tous azimuts qui n’épargne aucune des institutions politiques et morales de leur pays. Il n’est que de se souvenir de la charge d’une violence inouïe lancée par La Pianiste, adaptée d’un roman de Jelinek, contre le culte viennois, quasi sacré, de la musique.

On connaît mal Haneke, en France aussi alors qu’il est le plus francophile des cinéastes, depuis sa fugue à Paris lorsqu’il était lycéen jusqu’à son choix de tourner plusieurs films en français. Cet essai nous fait découvrir un créateur agnostique qui n’en place pas moins L’Adoration de l’Agneau mystique, polyptique de Gand des frères Van Eyck, comme son tableau de chevet ; un grand lecteur qui dit beaucoup devoir à l’influence du philosophe Adorno et au Docteur Faustus de Thomas Mann ; un obsédé de la patine sur les costumes ; un ennemi farouche de la psychanalyse ; un cinéaste qui pousse ses acteurs à bout non pour perversité, comme Pialat, mais pour leur faire atteindre la note vraie, telle Emmanuelle Riva nourrie à la becquée par son mari dans Amour. Alors « l’acteur joue si bien qu’il ne joue plus » écrit Sarah Chiche, accédant à son tour, par la plume, à la note juste.

funnyPeut-être d’autres, plus cinéphiles le savaient, mais j’avoue ignorer que le Ruban blanc, le film qui fait comprendre comment l’autorité et l’obéissance sont inscrits dans « l’Adn » des Allemands et des Autrichiens via l’éducation, scolaire et familiale, avait été tourné en couleurs mais projeté en noir et blanc afin de créer une distanciation et de se rapprocher plus encore des portraits du photographe August Sander qui lui paraissaient être un idéal esthétique à atteindre.

Certaines séquences de ses films, et parfois même certains de ses films, ont la réputation d’être insupportables (Funny Games, Benny’s Video) ou oppressant par leur intense noirceur (Le Temps du loup) ou l’acuité dans la manière d’exposer l’incommunicabilité (Caché). Ce n’est pas tant la faute des personnages, des gens qui se sentent coupables alors qu’ils ne le sont pas, ou d’autres qui sont coupables mais ne se considèrent pas tels ; pas non plus la faute à la capacité de certains de faire endosser leur culpabilité par d’autres, ou encore à la question de la culpabilité qui hante ses films ; c’est la faute à des situations intolérables.

Encore que la violence n’est pas toujours celle qu’on croit dans ses films où l’on humilie, on abaisse, on avilit, on se mutile, on torture, on tue beaucoup (et encore, nous n’avons pas vu ses dix films pour la télévision, inédits en France pour des histoires de droits). Souvent un détail suffit. Il contient à lui seul le mal dans ce qu’il a de plus inadmissible, par exemple, dans la chronique de la désagrégation d’une cellule familiale ou dans l’incapacité d’exprimer toute souffrance psychologique. Ce qui a horrifié certains spectateurs du Septième continent, au point de s’enfuir de la salle au festival de Cannes, ce n’est pas la mort d’un enfant ni l’agonie des poissons rouges, c’est, après la destruction de tous leurs objets du quotidien par une famille, un plan fixe de deux minutes pendant lequel des mains enfoncent des billets de banque dans la cuvette des cabinets puis tirent la chasse :la-pianiste-michael-haneke-isabelle-huppert-benoit-magimel-analyse-vidéo-film-mk2-diffusion-620x310

« C’est aussi inadmissible que, au Moyen-Âge, cracher sur un crucifix » se souvient Michael Haneke.

Sarah Chiche estime qu’il y a une éthique dans la contre-éthique de Haneke, et que ses films peuvent aider à nous rendre meilleurs :

« La confrontation à l’horreur peut aussi donner envie de se comporter de façon plus noble » écrit-elle.

L’intéressé en doute mais n’en dit pas davantage.  Ce n’est pas à lui de le faire. Quant à l’explication du titre, il faut se reporter à quelques fragments semés au hasard :

« Nous ne perdons pas au Mikado parce que notre adversaire est meilleur que nous. Nous perdons de notre propre fait, parce que, à tout moment, si nous tremblons, si nous nous hâtons trop, si nous sommes maladroits, chaque petite baguette peut faire bouger l’autre »

Pas de place pour le hasard dans ce jeu-là (le jeu est partout dans les films de Haneke : backgammon, Mikado, quizz…). Tout pour l’adresse, l’habileté, la chance aussi, qui est peut-être l’autre nom du hasard quand on ne sait pas le nommer. Quant à la signification de l’épître dédicatoire « A Georges et Anne », on aura compris, grâce à cet essai aussi perspicace dans ses analyses qu’érudit dans ses analogies, qu’il s’agit des prénoms que portent les parents dans presque tous les films de Michael Haneke. Quelle plus belle dédicace que ce salut aux personnages !

 (« Michael Haneke » photo D.R. ; photos de plateau de « Amour », Funny Games » et « La pianiste »)

Cette entrée a été publiée dans cinéma.

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commentaires

619 Réponses pour Ce que Michael Haneke a fait de l’éthique du mal

puck dit: à

U. ! vous êtes où ? revenez ici deux secondes que nous discutions enfin sérieusement de ces questions !

puck dit: à

« la vie dans les bois dit: 16 juin 2015 à 19 h 41 min
« c’est juste une histoire pour ceux qui ont grandi là, au quartier des Borels »
C’est plus belle la vie, sur france 3, quoi. Avec un nouveau casting. »

exact ! c’est effectivement un nouvel épisode de plus belle la vie, mais sans les parisiens.

un épisode inédit, une nouvelle saison de « plus belle la vie » plus exactement, plus belle la vie dans un monde véritablement humain, avec un casting d’individus nés à terme in vitro, filmé sur les hauteurs du Panier mais sans les cars de touristes qui débarquent avec leur appareil photo pour prendre en photo la notre dame de la garde.

un nouvel épisode de « plus belle la vie », merci, pour vous remercier, en annexe, je vous recopie le premier paragraphe de l’article de Monsieur Assouline :
Le mal, le mal, le mal… Avec ou sans majuscule, il n’y a pas à en sortir, on n’arrête pas de tourner autour de cet infracassable noyau de nuit qui résiste à toutes les analyses. Tous les arts s’en sont emparés et continuent d’en creuser l’énigme. Au cinéma, Michael Haneke (Munich, 1942) en a fait l’objet de sa quête depuis ses débuts, avec ses moyens, sa vision : montrer ce que c’est que de faire le mal, montrer le mal qui survit à ceux qui le font, jusqu’à provoquer chez le spectateur une jouissance de l’insupportable.

ça c’est pas plus belle la vie c’est moins belle la vie, mais si vous préférez ça à la limite c’est votre problème.

la vie dans les bois dit: à

« quand j’ai lu leurs réponses, j’ai pleuré comme un gamin, c’est juste une histoire pour ceux qui ont grandi là, au quartier des Borels, une histoire pour tous mes frères des Borels, eux ils savent. »

Evidemment , tu leur as envoyé une post card du col de la Gineste, rêvant de les voir tous aux Baumettes, non ?

puck dit: à

ML, vous connaissez la néoténie chez l’homme ?

la vie dans les bois dit: à

Tu vois puck, je t’ai mis une douille. Et une belle.

Chaloux dit: à

Ce qui se passe en Grèce me semble à la fois historiquement et symboliquement grave. Je votais à gauche et j’ai honte de la gauche. je suis européen et j’ai honte de l’Europe.

la vie dans les bois dit: à

Toi qui connais bien Marseille, Javert, sais-tu ce qu’il y a d’inscrit sur la façade des Baumettes ?

puck dit: à

non, la Gineste c’est la Gineste, comme la Viste c’est la Viste, les Aygalades c’est aussi les les Aygalades, même la Gavote c’est la Gavottet tout comme Verduron c’est Verduron et Septèmes les Septemèes, mais les Borels c’est différent ! les Borels c’était les Borels !
et aux Baumettes, croyez-moi sur parole il n’y avait pas plus de types des Borels en taule que de tye de la Viste, ou de la Gineste.

mais nous reparlerons de la Viste une autre fois, ne nous éloignons pas du sujet proposé par Monsieur Assouline dans son article : la néoténie !

la vie dans les bois dit: à

Puck, il faudra bien que tu te mettes à la marche à pied …
Si tu veux devenir un vrai péripatéticien.

puck dit: à

Rose (tu es de la Rose), parce que tu crois peut-être que c’est quelqu’un comme toi qui va me mettre une douille ?

vas-y rêve ça fait du bien de rêver.

et pourquoi tu m’appelles Javert ?
parce que je m’étais permis de démontrer que Quignard se mettait le doigt dans l’oeil quand il dit que Soli Deo Gloria ça ne veut pas dire « pour personne » comme il pense bêtement mais « par personne ».

pour toi un Javert c’est quelqu’un qui ose dire que ton Quignard n’y connait rien à ces histoires et qu’il se met le doigt dans l’oeil dès qu’il essaie d’en parler, parce que Quignard c’est ton Dieu, et c’est toi qui veut me mettre une douille alors que tu n’es même pas capable de voir les choses en face ?

tu sais quoi ?
fait comme D. va te faire une soupe de poissons.

la vie dans les bois dit: à

« tu sais quoi ? »

J’ai déjà épuisé tout ce que j’avais ramené comme soupe de poisson et sardines, de ma dernière échappée à Carnac. Et grands environs de la côte sauvage.

puck dit: à

allez, vas-y Rose, dis moi c’est quoi ton problème ?
tu ne supportes pas l’idée d’être un ammifère néoténique ?
mais j’y peux rien ma fille, c’est pas moi qui l’ai fait, c’est la nature qui l’a voulu ainsi.

si tu cherchez des boucs hémisphères va t’adresser ailleurs ma grande, nous sommes tous des maffères néoténiques, j’y peux rien, Freud l’a dit, Lacan l’a dit, ils l’ont tous dit, mais c’est comme avec Quignard quand il se plante sur SDG: il y a des choses qu’il ne faut pas dire, pour ne pas brusquer les petites consciences qui veulent rester dans la tranquillité, le petit nid douillé de tes enfumages, tu es un mammifère néoténique Rose ! c’est comme ça ! et ne cherche pas de responsable à ça parce que personne n’y peut rien !

la vie dans les bois dit: à

« Tu sais quoi ».

Tu devrais aller faire un tour à Belle-Île, l’hôtel sur les remparts Vauban. Et puis- si tu sais les éléments déchainés- te risquer à la pointe. Saluer au passage, Sarah B. bien sûr.

Cela te détendrait.

puck dit: à

Rose, ça m’a fait plaisir de revenir sur le blog de Monsieur Assouline mais là j’ai pas trop le temps parce que j’ai une flopées de biologistes obtus et de philosophes à la noix à convaincre du fait que l’embryon humain pourra passer le cap des neufs mois dans une sphère utérine, faire naître un humain à terme n’est pas une chose très importante, j’en conviens, mais bon on s’occupe comme on peut, mais après je reviendrai sur ce blog Rose, et là, crois ma fille, tes douilles je te les ferai bouffer par les trous de nez !

la vie dans les bois dit: à

Puck, pour cela, il faudrait déjà que tu aies ton permis de chasse. Ce que nous verrons au prochain épisode de plus belle la vie.
Bonsoir.

la vie dans les bois dit: à

Je ne comprends pas ces réticences du robot.
Tu sauras le fin mot de la suite plus tard, Puck.

Widergänger dit: à

Va te faire f.ou.tre avec ta néoténie, con.na.rd ! Ferais mieux de te mobiliser pour contrer la réforme de Belcassetout qui est en train de détruire l’école de la République tandis que Hollande inaugure à Marseille une école musulm.ane sous l’égide du Qatar ! Voilà où est ce pays de mer.dre !

Widergänger dit: à

Pour une fois, je suis entièrement de l’avis de Chaloux !

fréquence 49.3,74 dit: à

Vous connaissez Belle-Île, la plage du Donan, la grimpette à vélo pour le village le plus proche, les fjords qui n’en sont pas, cet homme qui vous regarde comme une apparition, le faisceau balaie la nuit et vous donne les étoiles, le vieux marin remaille son filet tandis qu’une baigneuse suit une orque gonflable, un essai noir et blanc qui vous aura déçue, le sentier creuse fougères et mûriers ombré par de grands pins, il vous pose loin de vous dans un éclair d’août.

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