
Luchino et Visconti
On ne saurait mieux justifier la nécessité du portrait d’un artiste en contrepoint, en complément, en prolongement mais non à la place d’une biographie, que par la lecture de précieux Luchino (traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, introduction de Giovanni Agosti, 85 pages, 15 euros, Cahiers de l’Hôtel de Gallifet) de Giovanni Testori. C’est bien de Visconti (1906-1976) qu’il s’agit mais manifestement « Luchino » suffit comme s’il n’y en eut jamais qu’un. La bibliographie consacrée au cinéaste est pourtant abondante mais justement, elle est plus cinéphilique qu’humaine. Or ce que ce petit livre à l’écriture étincelante apporte, c’est un tremblé d’émotions, un feuilleté de sensations, un bouquet de choses vécues. Si cela ne modifie pas la vue d’ensemble, chaque détail l’enrichit de perceptions invisibles insoupçonnées.
Poète, dramaturge, romancier, historien de l’art et critique littéraire, l’auteur (1923-1993) fut son ami et son compagnon de travail à partir de l’Arialda (1960), tragédie populaire de Testori mise en scène par Visconti qui déclencha de vives polémiques lancées par les milieux catholiques contre « l’obscénité » et « la perversité » dans l’exposition des amours homosexuelles. L’écriture de ce portrait fut entreprise au début des années 70 entre la sortie de Mort à Venise et les préparatifs de tournage de Ludwig. En ayant eu vent, il est probable que Visconti l’ait mal pris puisque les deux hommes se sont publiquement affrontés et brouillés à ce moment-là. Ils conclurent un gentleman’s agreement en vertu duquel le manuscrit devait être détruit. Manifestement, Max Brod a fait école et l’on ne peut que s’en féliciter.
Il serait vain d’y chercher des informations inédites et croustillantes encore que le livre n’en manque pas. Il obéit à une autre nécessité : mettre à nu la poétique de Visconti en en revenant toujours à l’homme, ses contradictions, ses névroses, ses angoisses, ses inhibitions. A plusieurs reprises, il insiste sur la nature « très lombarde » et « très milanaise », voire « lourdement et bruyamment lombarde » de son personnage sans que ce soit nécessairement péjoratif- d’autant que Testori était lui-même milanais mais d’un tout autre milieu. A croire que cette double qualité par lui mise en avant s’aggrave lorsqu’on a affaire à un aristocrate à l’orgueil blasonné dont la famille possédait de tous temps sa loge à la Scala, un jeune homme déjà tout de hauteur et de certitude princières qui avait grandi dans l’atmosphère du mélodrame et qui, avec le temps, fera spectacle de toute sa vie fut-il privé, intime dans ses relations amoureuses (Alain Delon, Franco Zefirelli, Helmut Berger…) laissant libre cours à un tempérament de Pygmalion.
Sous sa plume et dans ses réminiscences, Visconti apparait comme un homme au travail, tout le temps, n’émergeant d’un projet en finition pour se jeter aussitôt dans un autre ; un provocateur prêt à tout pour fuir le spectre de l’ennui bourgeois ; mais aussi un homme doté d’une patience et d’une endurance remarquables lorsqu’il mettait son génie au service des autres, des acteurs, de l’équipe quand bien même cela devait aboutir au mûrissement de son œuvre. Testori souligne à raison son flair inné dans la distribution des rôles sur les scènes de théâtre ou d’opéra comme sur les plateaux de cinéma. Visconti n’aimait rien tant que rapprocher des personnalités opposées tant par éducation que par nature. Ainsi pour l’Oreste de Vittorio Alfieri qu’il monta au Quirino à Rome en 1949, qu’on en juge : Ruggero Ruggeri (Egiste), Vittorio Gassman (Oreste), Rina Morelli (Electre), Paola Borboni (Clytemnestre) et Marcello Mastroianni (Pylade).
Le portrait du collectionneur en Visconti tel qu’il le brosse est celui d’un accumulateur qui jouit d’acheter et de posséder avant de se désintéresser aussitôt. Il recherche l’émotion ; une fois celle-ci dissipée lorsque l’objet désiré et acquis a trouvé sa place, il en recherche une autre aussitôt. Sa maison, qui déborde pourtant de milliers d’objets chinés çà et là, reflète une triste image de vide absolu, reflet de l’intime solitude de son propriétaire. C’est un artiste, un vrai en ce que la technique et son habileté, une fois maitrisées, ne l’intéressent pas. Seule le retient la grâce qui parfois lui fait cortège. L’auteur ne nous cèle rien des doutes du maestro dont les Français ont tendance à voir la carrière critique semée de roses alors que ce ne fut pas toujours le cas, notamment au début des années soixante lorsqu’une nouvelle avant-garde dicta le ton du jour. Testori apporte beaucoup à notre intelligence du créateur lorsqu’il repère les moments où son destin tourne sur ses gonds : à la mort de sa mère ; au moment où il s’apprête à passer sept années à se consacrer fanatiquement à sa passion des chevaux de course qu’il élevait depuis 1929 et qu’il baptisait des noms de Sanzio ou de Lafcadio (merci, Gide !) d’où son admiration pour les toiles équines de Géricault ; à la vente de son écurie en 1935 ; à son obsession quasi amoureuse pour les chiens rugissants vus comme des gardiens de sa solitude et que l’auteur, radicalement hostile à ces bêtes, tient pour la plus exacte incarnation de « l’arrogance de la Renaissance » en Visconti car ce sont de grands chiens dont la musculature, la férocité, la carrure évoquent ceux peints par Mantegna dans la chambre des Époux au Palais ducal de Mantoue.
Lorsqu’un livre venu d’ailleurs nous enchante par sa finesse, on ne sait s’il faut en l’auteur ou le traducteur dans la mesure où l’on n’a pas lu l’original. Sauf que certains traducteurs possèdent si bien leur métier, comme l’en atteste leur œuvre de passeur, qu’un style s’en dégage fut-il mis à chaque fois au service de l’auteur. Le cas de Jean-Paul Manganaro, traducteur notamment de Gadda dont il est un spécialiste, Calvino, Goldoni, Pasolini, Carmelo Bene, Pirandello, et de… la nouvelle version du Guépard de Lampedusa, jugée rigoureuse, sensible et fidèle au phrasé lyrique et baroque de l’original, ce qui nous ramène à notre héros qui fit de ce roman un chef d’œuvre sur pellicule. Il use d’une langue précise, aiguë, acérée même si parfois, quelque chose nous échappe de ce qu’il a voulu faire passer. Ains à propos de la puissance dramatique de ses mises en scène de théâtre lorsqu’il est question d’un « symphonisme torve et sussultoire ». A côté de cela, on trouve des pages lumineuses sur la nature si particulière du silence chez Visconti, condensation si particulière du drame et de la menace, qui n’annonce pas une pause mais une tension. Dans l’ensemble, ce portrait du créateur nous invite à envisager autrement ses oeuvres. Par exemple Mort à Venise comme un beau film muet…
Chez cet homme, et seul un proche comme Testori pouvait mettre cette tension à nu, tout s’articule en permanence sur deux pôles : l’aristocrate y côtoie en permanence le communiste quand bien même cette relation dialectique, le populisme et la noblesse, la langue de Dante et le parler milanais, finirait par le confondre. Je me souviens de ce que me racontait Henri Cartier-Bresson à ce sujet. Visconti et lui s’étaient connus grâce à Jean Renoir. Le cinéaste les avait recrutés pour être assistants aux côtés de Jacques Becker et de deux autres lors du tournage de Partie de campagne en 1936. Mais pour le film suivant La vie est à nous réalisé la même année, puis pour la Règle du jeu, il gardera sensiblement la même équipe technique à l’exception de Visconti renvoyé chez sa mère en son palais :
« Il nous snobait et partageait rarement nos repas, préférant rentrer à Paris pour aller au restaurant. D’ailleurs, il ne couchait pas dans les petits hôtels de campagne où nous logions. Il rentrait chaque soir dans la capitale pour dormir dans un palace. Cette attitude passait mal auprès de l’équipe » se souvenait Cartier-Bresson.
Visconti ayant mis en scène cinq opéras interprétés par Maria Callas, on guette l’analyse de leur relation. Elle ne déçoit pas même si on aimerait en lire davantage sur la transformation de la cantatrice en actrice, l’évolution de l’alliance entre la gorge et les gestes d’abord gauches puis actifs, grâce à son lien avec lui. A son propos, et à celui de Birgitt Nilsson, Testori écrit :
« Qui, travaillant avec Luchino, n’est pas en quelque sorte resté pris dans ses filets ? »
Étrangement, Luchino m’a renvoyé au scénario écrit par Visconti avec Suso Cecchi d’Amico pour son grand projet avorté adapté d’A la recherche du temps perdu. 363 pages écrites en français, 98 scènes, soit sur le papier 4 heures de film… La dernière montre Marcel au lit, cerné par ses manuscrits ; et, alors qu’il ferme les yeux pour toujours en se laissant envahir par ses souvenirs d’enfance, une voix off : »Longtemps je me suis couché de bonne heure… ». Visconti, que toute son oeuvre, sa personne et son âme destinaient à tourner ce film plutôt qu’un autre, savait que sa transposition perdrait la musicalité proustienne mais il espérait bien pénétrer dans le labyrinthe de l’auteur pour dire avec des images la tristesse, la jalousie, une attitude, un souffle d’air… Visconti-Proust « ça allait de soi » comme disait Nicole Stéphane, la productrice de ce non-film. C’était en 1971. Tout était prêt, le financement bouclé, les contrats signés, le script écrit et Sylvana Mangano en Guermantes, Alain Delon en narrateur, Helmut Berger en Morel, Marlon Brando en Charlus, Simone Signoret en Françoise, Edwige Feuillère en Verdurin et la Garbo elle-même en Reine de Naples, tout ce beau monde habillé par Piero Tosi sous les yeux d’une Albertine qui aurait été une comédienne inconnue. On peut imaginer ce qui aurait pu être mais qui n’a pas été : la magnificence du Guépard sans les défauts de Mort à Venise. Et puis au dernier moment ça ne s’est pas fait. A la place, il y a eu Ludwig. Pourquoi ? Visconti ne s’en est jamais expliqué vraiment. On invoque des raisons personnelles. Parce que c’est comme ça. Le vrai motif est dans son rapport au temps si proustien : l’idée que quelque chose vient trop tard. la nostalgie du prince Salina, la mélancolie du professeur Aschenbach sont celles d’un Bergotte bouleversé à en mourir par la Vue de Delft.
Giovanni Testori insiste sur le souci de l’authenticité la plus maniaque dont Visconti faisait preuve notamment lors du tournage du Guépard, remplissant les tiroirs des commodes de vêtements d’apparat, demandant aux aristocrates de la région de jouer leur propre rôle en participant à la danse. A la fin du film, si vous avez du mal à le quitter tant il est difficile de se déprendre de son atmosphère, de ses personnages, de son climat, de sa couleur même, plongez-vous non plus seulement dans le Luchino de Testori mais aussi dans la passionnante biographie de référence de Laurence Schifano Visconti. Les feux de la passion parue en 1989 en poche dans la collection Champs Contre-Champs de Flammarion. On y apprend beaucoup sur la genèse du film, l’inspiration proustienne pour le bal, l’influence du Verga des Malavoglia. On sait que Visconti s’est identifié au personnage principal, le prince Salina puissamment interprété par Burt Lancaster (à défaut de Brando…), auquel Lampedusa avait prêté beaucoup de lui-même. Mais il y a une réflexion de l’écrivain que le cinéaste n’aurait pu faire sienne, bien qu’ils fussent tous deux aristocrates :
Le seul pêché que nous ne nous pardonnons pas, nous autres Siciliens, c’est tout simplement l’action.
Le Visconti de Laurence Schifano est exemplaire. Finesse de l’écriture, sensibilité, empathie, originalité, érudition cinéphilique, mise en contexte… Tout y est de ce qui fait le meilleur d’une biographie. Au diapason de son héros, aristocrate d’âme et de coeur sinon de blason, alliage secret de charme et d’acuité, rare alchimie de sens de l’Histoire et d’intelligence de l’art, qu’elle fait sinuer en son siècle dans des eaux troublées entre son fleuve d’origine et celui vers lequel il n’a cessé de tendre. La réflexion d’outre-tombe de Chateaubriand placée en épigraphe dit bien cet écartèlement entre ancien et nouveau monde, le trop connu mais si attachant et l’inconnu mais si attirant.
Dans un ultime chapitre en manière d’essai, rajouté dans l’édition de poche et intitulé « La part de l’ombre », Laurence Schifano engage à attaquer la montagne Visconti plus seulement par la face Proust ou la face Thomas Mann. Ce nouveau chapitre vaut à lui seul le détour, en sus du reste. Laurence Schifano y fait le point des innombrables textes, analyses, conférences, articles, témoignages parus sur Visconti. Elle donne surtout le compte-rendu de ses visites à des cinéastes qui paient leur dette au maître, Glauber Rocha et Bernardo Bertolucci, ainsi qu’au premier cercle de ses collaborateurs (scénaristes, costumiers décorateurs…). La clé ? Il était Ludwig, dit l’un ; non, il se prenait pour le Guépard, assure l’autre. Ils s’interrogent sur son statut d’intouchable au PCI alors que le Parti ne dissimulait pas réprobation vis à vis de l’homosexualité. Dominique Païni invite opportunément à s’affranchir des clichés qui nimbent sa gloire : l’esthète décadent d’un monde englouti, le classique Visconti régulièrement opposé au baroque Fellini en une querelle qui reprendrait les arguments du différend opposant Racine à Corneille. Qui sait si en adaptant La Montagne magique comme il en avait formé le projet, il aurait mieux donné du sens au chaos… On apprend au passage que sa famille n’a pas légué ses riches archives à l’Université, au Teatro di Roma non plus qu’au Centro sperimentale du cinematografia, mais bien à la Fondazione Istituto Gramsci. Car qui s’intéresse à l’oeuvre de Visconti s’intéresse à l’histoire de l’Europe au XX ème siècle. Manière d’affirmer haut et fort qu’elle n’appartient pas aux seuls cinéphiles ou aux seuls universitaires.
Artiste et intellectuel engagé, Visconti avait de l’allure, « batailleuse et conquérante », irréductible à une analyse limitée. Qui perce à jour son allure saisit sa vraie quête de l’unité et permet de mieux comprendre sa défiance vis à vis des fausses avant-gardes et des constructions intellectuelles fumeuses. Bien sûr, on pourra gloser à loisir sur son abus détestable du zoom, mais il est plus intéressant, à la suite de Bertolucci, de voir comment il a été avec Jean Renoir un pont entre la vision XIX ème et la vision XX ème siècle du réel. La bottega viscontiana, cet atelier Visconti qui a terrorisé tant de jeunes cinéastes, c’était aussi cela. Une école du regard et de la sensibilité entre deux mondes. Il suffit de savoir qu’il voyageait toujours avec un exemplaire de Jean Santeuil dans sa valise, cet homme qui avait renoncé à porter la Recherche à l’écran tant il voyait dans cet accomplissement le reflet de sa mort annoncée. A l’origine, cette biographie était sous-titrée Les feux de la passion. En format de poche, elle est sous-titrée Une vie exposée. Tout est là. Le récit s’achève exactement comme il a débuté : par le blason des Visconti di Modrone, une guivre sinuant sur la façade d’un vieux palais milanais. Corps de serpent, ailes de chauve-souris, pattes de pourceau. Ainsi la boucle est bouclée.
(; « Jument morte étendue sur la grève », 1814, huile sur toile de Théodore Géricault, 28x43cm, collection particulière ; « Luchino Visconti », photo D.R.; » La chambre des époux », détail, Palais ducal de Mantoue, Photo D.R. « )
1 608 Réponses pour Luchino et Visconti
Avoir traité PJ Harvey d’impodique vous disqualifie lorsqu’il s’agit de parler de ce qui s’est terminé en octobre 1969.
L’argument d’impudeur que vous m’imputez est celui d’un impotent de la pensée ; absurde
Barka !
La burka est justement l’habit de votre esprit. C’est triste, mais c’est comme ça, sinon un mot absurde comme « impudique » ne vous viendrait pas à l’esprit.
Taille de l’article 1,3 milliard d’euros 🙂
Chaloux, à propos des aventures du Dr. Primrose — vous avez bien fait de répondre à votre guise (d’une façon qui me renseigne d’ailleurs suffisamment), c’était une mauvaise idée de poser une question fermée.
JJJ Vous êtes bien assez grand pour choisir tout seul ce que vous avez ou non envie de lire ; je ne peux que témoigner qu’il n’est pas nécessaire d’être catholique ou communautarien(ne) pour trouver extrêmement stimulante la lecture de After Virtue et par ailleurs, vous signaler cette livraison de la Revue internationale de philosophie
https://shs.cairn.info/revue-internationale-de-philosophie-2013-2?lang=fr
— notamment l’article de Vincent Descombes et celui d’Alasdair MacIntyre dans lequel, en répondant aux critiques qui lui ont été adressées, il est amené à évoquer un certain nombre de malentendus (à propos des positions qui lui ont été attribuées) mais aussi des différences de vues (avec, entre autres, Pierre Manent et Émile Perreau-Saussine, auteur prématurément disparu de la « biographie intellectuelle » évoquée dans l’article mis en lien — c’est-à-dire, si je compte bien, une source de 3ème main).
Une quarantaine de pages à eux deux, c’est déjà bien long, mais le texte de MacIntyre apporte un autre éclairage sur la « sinuosité » de son parcours (que vous semblez envisager uniquement comme une série peu glorieuse de palinodies, de rejets et rétractations successifs). Si votre curiosité ne va pas jusque là (ce que je comprendrais tout à fait), je chercherai à la piquer en vous proposant deux extraits du texte de MacIntyre :
« I have no difficulty in agreeing with [Bernard] Williams in endorsing “respect for freedom and social justice and a critique of oppressive and deceitful institutions”, as I have no difficulty in agreeing with much that John Stuart Mill asserts. My problem is with the practice of liberalism, even in the social democratic versions to which Williams gave his allegiance, not with its ideals. It is with the extent to which the practice of liberalism is a betrayal of its ideals. Liberal societies are commonly and characteristically ruled by elites, political, financial, and media elites. The members of those elites set the political agenda by determining what the range of alternatives is between which ordinary citizens will be allowed to choose, when they vote in elections. What is excluded is the possibility of putting that range of alternatives in question, of opening up for skeptical debate the shared assumptions of the elites.
The groups that contend for influence and power in the political societies of advanced modernity are interest groups and the political parties that institutionalize coalitions of interest groups. The necessary conditions for obtaining and preserving influence and power are first money and then education and gross inequalities in educational and financial opportunities secure the exclusion from effective political conversation of most ordinary citizens, whose citizenship is thereby in practice nullified. It is noteworthy that, despite the liberal ideals of the major political parties in such societies as the United Kingdom and the United States significant progress towards educational and social equality in the last forty years, let alone income equality, has been nonexistent. On this matter too my beliefs and attitudes were and are prior to and independent of either my Marxism or my Thomistic Aristotelianism. Indeed it is because Marxism and Thomism contribute to the best accounts that we have so far of the moral confusions and the economic deprivations and inequalities of contemporary liberal modernity that I take Aristotle, Aquinas, and Marx to be indispensable moral and political thinkers. » (p. 202-203)
« Shared trust and truthfulness are notably difficult to sustain in the political culture of liberal democratic political societies. Their increasing absence in both the United Kingdom and the United State is one more sign of the lack of a shared understanding of common goods, an absence that is unsurprising, given the division between those who are more than citizens, the members of the elites, and those who are less than citizens, the excluded whose voices go unheard. In saying this I respond not only to Castoriadis, but also to Descombes’s final question, by suggesting that their claim that, even in contemporary society, there must be some acknowledgment of a common good, rests on a confusion between the concept of a common good, as understood by Aristotle and Aquinas, and a concept of overlapping interests that masquerades as a concept of the common good in the political rhetoric of modern societies. »
(p. 219-220)
Que les autres lecteurs veuillent bien m’excuser — heureusement, nous sommes en fin de fil.
Et si on rembobinait ?
Commençons déjà par mettre cela en bon français (?)… et corrigez-moij si le translator a commis des contresens.
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Je n’ai aucune difficulté à être d’accord avec [Bernard] Williams lorsqu’il soutient « le respect de la liberté et de la justice sociale et une critique des institutions oppressives et trompeuses », tout comme je n’ai aucune difficulté à être d’accord avec la plupart des affirmations de John Stuart Mill. Mon problème concerne la pratique du libéralisme, même dans les versions socio-démocrates auxquelles Williams a prêté allégeance, et non ses idéaux. Il s’agit de la mesure dans laquelle la pratique du libéralisme est une trahison de ses idéaux. Les sociétés libérales sont généralement et typiquement dirigées par des élites, qu’elles soient politiques, financières ou médiatiques. Les membres de ces élites fixent l’agenda politique en déterminant l’éventail des alternatives entre lesquelles les citoyens ordinaires seront autorisés à choisir, lorsqu’ils votent lors des élections. Ce qui est exclu, c’est la possibilité de remettre en question cet éventail d’alternatives, d’ouvrir un débat sceptique sur les hypothèses partagées par les élites.
Les groupes qui se disputent l’influence et le pouvoir dans les sociétés politiques de la modernité avancée sont les groupes d’intérêt et les partis politiques qui institutionnalisent les coalitions de groupes d’intérêt. Les conditions nécessaires à l’obtention et à la préservation de l’influence et du pouvoir sont d’abord l’argent, puis l’éducation, et les inégalités flagrantes en matière d’éducation et d’opportunités financières garantissent l’exclusion de la conversation politique effective de la plupart des citoyens ordinaires, dont la citoyenneté est ainsi annulée dans la pratique. Il convient de noter que, malgré les idéaux libéraux des principaux partis politiques dans des sociétés telles que le Royaume-Uni et les États-Unis, il n’y a eu aucun progrès significatif vers l’égalité éducative et sociale au cours des quarante dernières années, sans parler de l’égalité des revenus. Sur ce point également, mes croyances et mes attitudes étaient et sont antérieures et indépendantes de mon marxisme ou de mon aristotélisme thomiste. En effet, c’est parce que le marxisme et le thomisme contribuent aux meilleurs comptes rendus que nous ayons jusqu’à présent des confusions morales et des privations et inégalités économiques de la modernité libérale contemporaine que je considère Aristote, d’Aquin et Marx comme des penseurs moraux et politiques indispensables (p. 202-203)
La confiance partagée et la sincérité sont particulièrement difficiles à maintenir dans la culture politique des sociétés politiques démocratiques libérales. Leur absence croissante au Royaume-Uni et aux États-Unis est un signe de plus de l’absence d’une compréhension partagée des biens communs, une absence qui n’est pas surprenante, étant donné la division entre ceux qui sont plus que des citoyens, les membres des élites, et ceux qui sont moins que des citoyens, les exclus dont les voix ne sont pas entendues. En disant cela, je réponds non seulement à Castoriadis, mais aussi à la dernière question de Descombes, en suggérant que leur affirmation selon laquelle, même dans la société contemporaine, il doit y avoir une certaine reconnaissance d’un bien commun, repose sur une confusion entre le concept de bien commun, tel qu’il est compris par Aristote et d’Aquin, et un concept de chevauchement d’intérêts qui se fait passer pour un concept de bien commun dans la rhétorique politique des sociétés modernes.
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Cela dit, ce morceau choisi pour édifier l’herdélie ne nous dit rien de la propre conception du « bien commun » de Mc Intyre, ni en quoi elle se singularise de celle de Rawls ou de Taylor.
Nous voilà donc bien avancés, x…
Je vous suis reconnaissant de bien vouloir me pardonner mes palinodies, mais enfin, comme vous le dites, je suis libre ou non de les assumer… Je vais toutefois prendre connaissance de la riposte du philosophe écossais aux malentendus induits par V Descombes. Je ne pense pas que ça changera fondamentalement ma vie un brin hermétique dans ce champ, mais enfin qui sait ? –
Merci surtout de votre très grande et généreuse politesse. Une rareté sur ce blog, comme vous le savez. Bàv,
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