de Pierre Assouline

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La République des livres
Marcel Gauchet serait trop réactionnaire pour parler des rebelles

Marcel Gauchet serait trop réactionnaire pour parler des rebelles

Qu’est-ce qu’un rebelle ? Mais aussi : qu’est-ce qu’un intellectuel rebelle ? Ce n’est pas tout : quel intellectuel aura été assez rebelle selon des critères qui restent à définir pour s’exprimer sur la rébellion sans qu’on lui envoie à la figure le rituel : mais d’où tu parles, toi ? Bref, ça va chauffer à la 17ème édition des « Rendez-vous de l’Histoire », présidée par Michelle Perrot. Elle se tiendra du 17 au 19 octobre comme chaque année à Blois. Une réunion où se presse depuis des années un public nombreux pour y écouter débattre les meilleurs historiens, toutes générations et toutes écoles confondues.

Le philosophe Geoffroy de Lagasnerie et le sociologue et écrivain Edouard Louis ne viennent pas seulement d’annuler leur participation : ils ont également lancé rien moins qu’un appel au boycott de la manifestation. Le motif ? La conférence inaugurale. Ils jugent que le conférencier choisi par les organisateurs, le philosophe, historien, universitaire, essayiste Marcel Gauchet, est mal placé pour prendre la parole sur un tel sujet. Mais ils le font en des termes d’une rare violence (ne font-ils pas part de leur « dégoût » à l’annonce de la présence de « ce militant de la réaction » ?) et d’une absence de nuances qui annoncent une rentrée crispée dans le domaine des idées. Jugez-en :

 « Contre quoi Gauchet s’est-il rebellé dans sa vie si ce n’est contre les grèves de 1995, contre les mouvements sociaux, contre le PaCS, contre le mariage pour tous, contre l’homoparenté, contre les mouvements féministes, contre Bourdieu,  Foucault et la « pensée 68 », contre les revendications démocratiques ? Il a publié dans Le Débat tout ce que le France compte d’idéologues réactionnaires. Il a organisé des campagnes haineuses contre tous les grands noms de la pensée critique, etc.. Marcel Gauchet est  un rebelle contre les rebellions et les révoltes. »

Fermez le ban ! (mais lisez ici l’intégralité de leur appel). Contacté par le petit reporter de « La République des livres », l’intéressé est tombé des nues avant de partir d’un grand éclat de rire et de tourner en dérision ceux qui veulent l’ostraciser de la grande réunion des historiens. C’est peu dire qu’il se plaît à l’ouvrir face à ceux qui veulent qu’il la ferme. Réaction :

« C’est l’éternelle pignolerie parisienne ! On croit donc comprendre que : 1. Les initiateurs de cette pétition incarnent les rebelles, 2. Seuls les rebelles ont le droit de parler des rebelles dans l’Histoire 3. Tous les rebelles seraient donc d’extrême-gauche, tant pis pour De Gaulle et les autres. 4. A propos, que savent-ils donc de moi qui les empêcherait de penser que je n’en suis pas ? On est vraiment dans la bêtise rétrograde d’une extrême-gauche en délire ! »phramette4

Il est vrai que s’il fallait en être, ou en avoir été, pour avoir le droit d’en parler, Raymond Aron n’aurait jamais eu le droit de parler du communisme, lui qui avait été l’un des rares en France à avoir lu et étudié le Capital de Marx dans son intégralité en allemand. Pour ne citer qu’un exemple. Autant la remarque (« Nous sommes quelques uns à ne pas supporter que l’on parle de la misère autrement qu’en connaissance de cause ») était pertinente sous la plume de Camus car il s’agissait de ressenti, de vécu et non d’analyse; autant elle ne l’est plus dès qu’il s’agit de réflexion historique ou philosophique. On s’en doute, Marcel Gauchet teintera son intervention d’une note humoristique, même si son titre (« Qui sont les acteurs de l’Histoire ? ») n’y incline pas trop. Il tient que ces personnages n’ont pas été forcément du côté des rebelles. Son objectif est de faire réfléchir les historiens sur le rôle qu’ils exercent réellement dans la société. Ebauche de réponse en avant-première : « Ils fabriquent des représentations. Le rebelle en est une de Spartacus à… Geoffroy de Lagasnerie ! »

Rendez-vous à Blois le 17 octobre. On réglera les comptes. On s’expliquera sur la définition du rebelle à partir de réponses que ne manquera pas de fournir le numéro spécial de la revue L’Histoire qui paraîtra à cette occasion. On débattra, d’autant que le rédacteur en chef de la revue Le Débat ne manque pas d’amis. On saura alors peut-être qui et quelles instances seraient habilitées à délivrer des certificats de rebellitude. On parlera aussi, espérons-le, de (in)tolérance, de disputatio, de débats d’idées car cette manière publique de réclamer une exclusion rappelle de mauvais souvenirs et laisse mal augurer de l’air du temps à venir dans le monde intellectuel. Juste avant sa conférence inaugurale, Marcel Gauchet participera à une table ronde sur « Les rebellocrates », avec le fondateur du site Mediapart Edwy Plenel et Aymeric Caron…

(Illustrations de Mirko Ilic et Philippe Ramette)

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