
Pouchkine, c’est la Russie
La Maison Pouchkine à Pétersbourg, qui est bien davantage qu’un musée à sa gloire, a été inaugurée en 1905. On y trouve ses manuscrits, sa bibliothèque, ses objets, des gravures et tableaux et de quoi organiser des rencontres culturelles et des colloques qui dépasse sa seule personne car Pouchkine, c’est la Russie, ou du moins la littérature russe, tout simplement. Son œuvre recèle des expressions ou des morceaux de phrases qui sont devenus des mots de passe entre les Russes. Ainsi « la nuit du 3 » (Eugène Onéguine) est-elle un schibboleth, un signe d’appartenance ou de reconnaissance, il n’y a pas à expliquer. Pouchkine relève du fonds et le socle communs des Russes jusqu’à en être devenu le lieu commun et le synonyme de tout, le seul capable de mettre d’accord occidentalistes et slavophiles tout en conservant un écho universel, l’incarnation de la liberté secrète, il se situe à sa juste place à l’origine de la littérature russe moderne- et du métier d’écrivain au sens moderne de l’expression puisqu’il disait écrire pour lui et publier pour gagner sa vie. Toutes choses qui sourdent de chaque page du Dictionnaire amoureux de Pouchkine (580 pages, 28 euros, Plon), une fête de l’esprit.
Son auteur André Markowicz a traduit l’ensemble de son théâtre, nombre de ses poèmes lyriques ainsi que les principaux poètes de sa génération, la première de l’histoire de la littérature russe à se regarder comme telle, constituée d’artistes qui avaient entretenu une conversation permanente, rassemblés dans un essai qui fit grande impression sous le titre Le Soleil d’Alexandre. Il compagnonne intimement avec Pouchkine depuis qu’il est âgé d’une vingtaine d’années ; alors qu’il venait juste d’obtenir sa licence, les maitres d’œuvre de la grande Histoire de la littérature russe en plusieurs volumes publiée par Fayard dans les années 90 lui commandèrent le chapitre qui lui était consacré. L’ode « Napoléon », l’exilé du genre humain comme il l’appelle, mort en martyr selon lui, lui est venu sous la plume au lendemain de sa mort. Markowicz l’a traduite à 17 ans. Depuis, cent fois il l’a remise sur le métier encore et encore. Et il se dit prêt à recommencer jusqu’à la consommation des siècles :
C’est peu dire qu’André Markowicz ne doute pas du génie de son héros. Jamais avare de superlatifs, il élève « Le Cavalier de bronze », hymne à la beauté de Pétersbourg et à ses nuits blanches, au rang de « plus grand poème jamais écrit en russe » ; et les 7000 vers d’Eugène Onéguine, « indiscutable et indiscuté, le plus grand livre jamais écrit en langue russe ». Mais outre son tempérament parfois porté à l’hyperbole, comment ne pas lui donner raison. Non seulement il connait comme peu d’autres la littérature et la poésie russes de l’intérieur de la langue, et pour cause (« Traduire, c’est vraiment lire »), mais cette vision panoramique lui donne les moyens de la comparaison. Markowicz ne doute pas mais, outre qu’il n’est pas inconditionnel de la grandeur de la totalité de l’œuvre, lorsqu’ il est confronté à un obstacle, il l’avoue : non, il ne parvient toujours pas à traduire son grand poème sur la négation de Dieu « Le démon » (et soudain il nous revient en mémoire que Jacques Chirac prétendait avoir traduit toute l’oeuvre de Pouchkine dans sa jeunesse grâce aux leçons d’un vieil excentrique !) ; non, il s’avère incapable de définir le fameux « esprit russe » ; non, il ne lui pardonne pas d’avoir « honteusement » chanté la répression de la révolte polonaise de 1830-1831 ; non, il n’a pas pu traduire certains fragments inédits car inachevés ; non, il l’avoue, il est incapable de traduire « ça », la présence de Pouchkine qui s’impose au visiteur de la Maison Pouchkine à Pétersbourg, envahi par des remontées d’enfance et les émotions qui lui font cortège car « ça » n’a pas de nom c’est indestructible. Ces aveux d’impuissance sont l’une des multiples facettes de la qualité de ce livre passionnant qui joint des touches très personnelles, le ressenti du lecteur et du traducteur, à une érudition sans faille.
« La Russie de Poutine est monstrueuse en ceci qu’elle allie l’indifférence à la culture naturelle au capitalisme et à la dictature mafieuse. Je ne suis pas sûr que cette dictature, même si, un jour ou l’autre, elle finit par s’effondrer, mette en grand danger ce « ça » qui fait ma Russie »
Depuis des années, le Kremlin et ses associés mafieux organisent le vol systématique de manuscrits de Gogol, Lermontov et surtout Pouchkine dans les réserves des grandes bibliothèques occidentales dont la BnF à Paris et surtout celle de Varsovie. Le protocole est toujours le même : un petit réseau de voleurs géorgiens se présente avec de fausses cartes de chercheurs, passent plusieurs jours à « étudier » les documents et remplacent l’original par un fac similé si bien fabriqué qu’il trompe les conservateurs. 170 oeuvres ont ainsi été subtilisées dans les collections. Ce que c’est de demeurer l’incarnation éternelle de la Russie…
Il y a des entrées bienvenues sur le bilinguisme russe/français, une manière de diglossie en fait, qui régnait dans l’aristocratie russe jusqu’à 1914, le français n’étant pas seulement la langue de la conversation mais celle de la réflexion sinon de l’écriture, le russe étant par eux considérés comme la langue vulgaire des journaux. Au lycée, ses camarades avaient surnommé Pouchkine « le Français ». Une place est faite naturellement à Boldino, un village de la province de Nijni Novgorod qui appartenait à sa famille ; une épidémie de choléra l’y confina une première fois pendant trois mois, puis à nouveau un peu plus tard, confinement des plus stimulants et des plus féconds puisque nombre de ses chefs d’œuvre furent composés, complétés ou achevés dans ce splendide et misérable isolement absolu.
André Markowicz appartient à la catégorie des traducteurs que je qualifierais d’empathiques. Il ne lui suffit pas d’être porté par l’admiration, encore lui faut-il n’éprouver aucune répulsion. S’il a bien été l’audacieux et si novateur traducteur de Dostoïevski, il s’est contenté, si j’ose dire, de rendre en français ses 31 œuvres de fiction en 45 volumes mais s’est bien gardé de toucher à ses lettres et à ses articles (y compris son admirable discours prononcé lors de l’inauguration d’un monument à Pouchkine) à cause de son nationalisme et de son mysticisme ; certes, et il n’en disconvient pas, ceux-ci ont également irrigué ses romans mais leur structure les mettait à distance (en situation, dans la bouche des personnages etc).
On dit parfois à propos des grands poètes suicidés que leur mort volontaire éclaire rétroactivement leur vie à mort ou à raison. Pouchkine, c’est son duel avec Georges d’Anthès. Même ceux qui n’ont jamais rien lu de lui savent au moins cela. Blessé, agonisant, Pouchkine fut transporté dans sa bibliothèque aux trois mille volumes. Mais on ne sait à qui il s’adressait, aux hommes ou aux livres, lorsqu’il murmura :
« Adieu, les amis ».
Issu d’une illustre famille aristocratique ruinée, il fréquentait les grands bals depuis toujours, chantait l’empire russe… En permanence hanté par la folie, ce joueur addictif mourut endetté jusqu’au cou à cause de passion pour les cartes (il avait même joué et perdu ses manuscrits à deux reprises)… André Chénier était le poète français dont il se sentait le plus proche… Il était obsédé par les pieds des femmes (il est même question de petons du côté de chez Onéguine ce qui indignait Soljénitsyne qui y voyait l’origine de la perte du sacré dans les démocraties !). Mais comment rendre nojki, diminutif de nogui, autrement que par « petits pieds » dans les strophes 30 et 34 du premier chapitre ? Il y a donc « petons », mais c’est risqué de ramener la Valentine de Maurice Chevalier dans la grande poésie russe du XIX ème ce qui ferait désordre ; la consultation du Dictionnaire de l’Académie (1802) libéra d’un cas de conscience…
Markowicz aura passé sa vie d’adulte en compagnie de Pouchkine et ce n’est pas fini. De son propre aveu, il y a encore beaucoup à découvrir du côté des variantes, de la ponctuation et même du papier sur lequel il écrivait. Ce Dictionnaire n’a pas de dédicataire. Mais le linguiste Efim Etkind (1918-1999), grand savant, professeur, passeur et traducteur, aurait pu l’être. Il fut le maître admiré et l’ami cher de Markowicz jusqu’à ce qu’ils se fâchent à jamais. Il n’empêche… :
« C’est lui qui m’a fait. Si vous lisez ce Dictionnaire amoureux de Pouchkine, c’est qu’il y a eu Etkind ».
Après un aussi bel élan de gratitude, on a hâte de retrouver son exemplaire d’Eugène Onéguine dans la traduction de devinez qui avant d’attaquer le massif Pouchkine par la face nord, celle du splendide témoignage sur le quotidien de l’aristocratie russe entre 1819 et 1825 (promenades, fêtes, bals et ballets) ou par la face sud et se laisser emporter vers l’ivresse des sommets dans une quête infinie de sa légendaire légèreté.
« Je n’estime pas cher tous ces droits souverainsQui font tourner la tête à mes contemporains.Je ne murmure pas si les dieux me retirentLe pouvoir d’amender le budget de l’EmpireOu d’empêcher les rois de lever des armées.Et je ne pleure pas qu’on ne puisse imprimerDans une presse libre un tombereau d’orduresSans tomber sous le coup d’une acerbe censure.Cela, c’est, voyez-vous, « des mots, des mots, des mots. »Il me faut d’autres droits, plus secrets et plus hauts.Une autre liberté, plus haute, me transporte :Dépendre du monarque ou du peuple, qu’importe ?C’est dépendre toujours. Chacun son dû.——————————————N’avoirPour maître que soi seul. Être en repos. DevoirNe contenter que soi ; pour quelque honneur infâme,Ne rien devoir courber, le cou, les rêves, l’âme.Selon sa fantaisie, vagabonder, errer,Contempler la nature en sa splendeur sacréeEt frissonner de joie, plein de larmes sereines,Face aux créations de la pensée humaines.O vrai bonheur ! droits vrais !…. »
(« Pouchkine récitant à un ami poète devant Derjavine », huile sur toile d’Ilia Répine, 1911, Maison Pouchkine ; « Portrait d’Alexandre Pouchkine. huile sur toile, 1827, Maison Pouchkine; « Le dernier tir d’Alexandre Pouchkine » huile sur toile d’Adrian Markovitch Volkov, Maison Pouchkine )
403 Réponses pour Pouchkine, c’est la Russie
H Atlan Il y rencontre Liliane Cohen qu’il épouse en 1952 et dont il aura deux enfants. Après son divorce d’Henri Atlan, Liliane Atlan garde son nom.
il y a ine page wiki sur Liliane Atlan.
Liliane Atlan, née Cohen, naît le 14 janvier 1932 à Montpellier[2] dans une famille juive. Son père, Élie Cohen, est originaire de Salonique, où il est né en 1907, ayant immigré comme enfant avec ses parents en France. Sa mère, Marguerite Cohen, est née à Marseille en 1905. Liliane Cohen a quatre sœurs.
ELLE MEURT EN ISRAEL
« y compris son admirable discours prononcé lors de l’inauguration d’un monument à Pouchkine »
le discours de Dostoïevski ? admirable ? trop drôle…
qui a lu ce discours ? d’habitude c’est moi qui parle de bouquins que j’ai pas lus.
en 1880 Dostoïevski est un slavophile, chose qu’il n’était pas 30 ans plus tôt, du coup il ne parle pas de Pouchkine pour mettre d’accord entre eux les occidentalistes et les slavophiles (comme il est dit dans l’article à passou) mais en définissant l’occidentalisme russe à l’envers : Dostoïevski définit l’occidentalisme comme une partie de l’universalisme russe et sa capacité de fraterniser tous les êtres de la planète, et Pouchkine incarne cet aspect pour l’occident comme part de son universalisme propre à la pensée russe (faut bien comprendre la démarche du zigoto).
en fait Dostoïevski fait un peu ce que fait par exemple la France par exemple avec les Lumières ou avec sa littérature : ce côté universaliste de la France genre l’exception culturelle française.
après si on regarde l’Histoire et ses conséquences aujourd’hui on voit par exemple par rapport à la colonisation en Afrique ou ailleurs l’universalisme de France et la Russie occupent 2 positions opposées : un du côté des colonisateurs et l’autre du côté des libérateurs.
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