de Pierre Assouline

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Shakespeare à l’oeuvre derrière « Succession »

Shakespeare à l’oeuvre derrière « Succession »

La qualité des insultes proférées en permanence par le personnage de Roman Roy dans Succession est si inventive dans le registre ordurier (« Il va envoyer un million d’araignées venimeuses dans ta bite » ou encore « Je vais broyer tes putains d’os pour faire mon pain » outre les innombrables fuck you !, commodités du langage qui font office de charnière entre les phrases…), elle retient tant l’attention qu’elle fait oublier une autre dimension de la série à grand succès de HBO : son inspiration littéraire. De quoi surprendre le téléspectateur qui conserve encore dans le creux de l’oreille les dialogues qui émaillent depuis quatre saisons cette implacable lutte d’influences au sein de la famille Roy pour la prise de contrôle de l’empire médiatique édifié par le patriarche miné par la maladie. Une tragédie au sein de laquelle chacun des personnages vit la sienne dans la pure tradition des mythes grecs et romains.

Rarement une série-évènement aura été si truffé d’allusions à Shakespeare, pour les ressorts de ses tragédies comme pour le comique de ses comédies. Tant et si bien que leur décryptage est devenu un sport national en Grande-Bretagne. Logan Roy est un vrai méchant, dur, amoral, sans affect, quelqu’un qui a un peu assombri le ciel en fermant le cœur des hommes. Déjà, directement inspiré du magnat des medias Rupert Murdoch, il est rebaptisé Roy, racine de royal… Brian Cox, qui l’interprète, est d’ailleurs un acteur shakespearien, ancien membre des prestigieuses troupes du Royal National Theatre et de la Royal Shakespeare Company, qui consacra même un livre à raconter de l’intérieur (dans son livre The Lear Diaries) ce que cela représente que de se mettre des milliers de fois soir après soir dans la peau du roi Lear ou de Richard II.

De son propre aveu, il a interprété son personnage comme il l’avait fait au théâtre de Titus Andronnicus, de Jules César et du roi Lear. Jesse Armstrong, le concepteur de Succession, un grand lecteur assurément, ne cache pas qu’il y a emprunté l’esprit sinon la lettre de ses embrouilles familiales et la complexité de ses querelles dynastiques avec leur lot d’intrigues, de complots, de scandales, d’ambitions contrariées. Aux yeux des innombrables experts que comptent l’Angleterre de 2023, le clin d’œil le plus appuyé de toute la série demeure celui où Logan Roy juge son fils indigne et inapte de lui succéder, analogue à l’acte 3, scène 2 de Henri IV où le roi en fait autant avec son héritier. Et puis quoi, les premiers mots chus de la bouche du patriarche dès le premier épisode de la saison 1 ne forment-ils pas la plus shakespearienne des questions : « Where Am I ? » (Où suis-je ? »). Le téléspectateur, lui, sait tout de suite où il est dès les premières secondes de Succession : chez Shakespeare !

Rupert Murdoch, ainsi que dans une moindre mesure Conrad Black et Robert Maxwell, ont été la principale source d’inspiration de l’auteur de la série et de son équipe de scénaristes pour son personnage principal. Quand on demande au magnat de l’empire médiatique Waystar Royco qu’est-ce qu’il a prévu pour sa succession, sa réponse fuse invariablement : « Ne pas mourir ». Or ce genre d’humour, c’est typiquement Murdoch. Et lorsque Roy Logan lance à la cantonade « Ma citation préférée de Shakespeare, c’est : « Prends le putain de fric ! », c’est encore du Murdoch. Ce n’est pas qu’une question de luttes de pouvoir mais bien de langage, de lexique et de syntaxe. « Attachez vos ceintures, putains de têtes de nœud ! », c’est du Falstaff remasterisé.

Lors des fêtes données au sein de l’entreprise, l’atmosphère paranoïaque qui s’y développe parmi ceux qui y en sont et ceux qui n’en sont pas doit au théâtre d’Ibsen et à celui de Tchekhov. L’agitation intérieure de Kendall, le fils ainé, doit beaucoup au Dostoïevski de Crime et châtiment. La trahison étant le centre de gravité de la série, l’auteur a largement puisé dans les mythologies grecque et romaine, pour les prénoms de ses personnages et pour le reste (Œdipe etc), sans oublier l’usage que Shakespeare, encore et toujours, en fit (Coriolan). Les références littéraires, parfois directes, sont si récurrentes que Roy Logan ne peut s’empêcher de lancer à Franck qui l’assomme avec ses analogies :

« Prends-toi donc une carte dans une bibliothèque et va te faire foutre ! ».

La quatrième et dernière saison de Succession, série on ne peut plus addictive produite par HBO et diffusée au départ sur OCS, se trouve depuis peu sur Prime video. Remarquablement écrite, réalisée et interprétée, ses personnages rivalisent dans le cynisme, l’abjection, la fourberie. Elle triomphe dans de nombreux pays. Et si vous vous demandez pourquoi des millions de gens se laissent captiver par le spectacle tragicomique de tant de bassesse, prenez donc une carte dans une bibliothèque et… !

Cette entrée a été publiée dans cinéma.

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commentaires

845 Réponses pour Shakespeare à l’oeuvre derrière « Succession »

Marie Sasseur dit: à

Et comme c’était évident, pour moi en tout cas, quand j’ai entendu cet « appel à Benoîte », Benoite au secours, on apprend que la famille du petit Émile, 2 ans et demi, disparu depuis plusieurs jours, est bien de la mouvance catho intégriste. C’est à dire pas très catholiques.

Marie Sasseur dit: à

Qui lit Péguy ?
Tous ceux qui vont de la Beauce à Notre Dame, à genoux.

Jazzi dit: à

A l’analyse très argumentée de Pierre Brochand, qui mérite débat et avec laquelle on peut être en désaccord, condamnations sans appel de nos brillants esprits de gauche (deux prof) qui ne veulent pas voir et encore moins contre argumenter !

« Bloom n’aime pas le jargon pseudo médical type ‘pronostic vital engagé’, Baroz.’ Je ne lirai pas cet article, issu de la presse dite communautaire qui ne m’intéresse pas. »

« Ce développement de Pierre Brochand est entièrement basé sur la peur de l’autre particulièrement de l’étranger. »

MC dit: à

oh non je ne vous confonds pas. J’adhère simplement à ce qui a été dit par vos deux autres betes noires sur ce blog de Peguy et de Barres. Mais sans doute ne les avez-vous pas lues… MC

Marie Sasseur dit: à

Le scabreux oublie tout ce qu’il poste sur ce blog, ment ehontement.

Pourquoi ?

On savait certains milieux des gratte-papiers de l’akademie parisiano- parisienne, tout ce qui à trait à des disciplines hors cadre d’évaluation et non scientifiques reconnus comme des conservatoires de haine, de rivalités immondes, de trolls aguerris en bande organisée,
on le découvre ici, avec le scabreux qui se prend des claques les unes après les autres,et sans trop se forcer, comme un repaire de menteurs, d’imposteurs et d’incompetents.

Pas mon monde.

Tchüss.

Bloom dit: à

Que ce monsieur fasse concis précis sexy, le cps qu’on pratique dans la diplomatie.
Perso j’ai une vie trépidante et n’ai de temps que pour les grands écrivains d’hier et d’aujourd’hui, hors les lectures professionnelles

Jazzi dit: à

« j’ai une vie trépidante et n’ai de temps que pour les grands écrivains d’hier et d’aujourd’hui »

Oui, il vaut mieux (re)lire Céline, Bloom !

closer dit: à

divergent veut dire divergent.
non convergent peut vouloir dire divergent ou parallèle.

Jazzi dit: à

Oui, closer, Brochand enfonce le clou.
Dans le cas de voies divergentes, celles-ci peuvent encore se rencontrer.
Ce qui n’est plus le cas lorsque celles-ci deviennent non-convergentes.
C’est pourtant clair !
Mais le plus original dans son argumentaire c’est le concept de « Société des Individus »…

rose dit: à

renato dit: à
Odeur de sainteté. L’hygiène corporelle (surtout intime) étant tenu par les bigots un prélude à la luxure, on imagine sans peine l’odeur.

J’imagine difficilement, surtout dans les trucs là, où untel a officié, nonobstant toute pudeur.

rose dit: à

Il y aurait un lien entre les cathos intégristes et le fait que le petit ait disparu ???

Marie Sasseur dit: à

A part dans un cerveau malade, je ne vous pas qui peut établir ce lien de causalité.

L’appel à Benoîte, en revanche, était pour moi en tout cas, sans mystère, sur le milieu d’où il provient.

Jazzi dit: à

Un fleuriste de 72 ans sort de sa maison dans un village du Nord de la France pour dire à des adolescents de faire moins de bruit.
Il est lynché à mort.
Il semble que l’on soit passé là d’une situation divergente à une situation non convergente ?

closer dit: à

Qui en parle de ce malheureux fleuriste JB?

Marie Sasseur dit: à

Ces pages qui disparaissent, un coup de l’IA…

D. dit: à

Milan Kundera est mort mais à 94 ans c’est bien normal de mourir.

MC dit: à

On pourrait rapprocher le Laus de Digne, mais ce n’est pas fait. Nécessairement complot intégriste. Laissez passer Marie Sasseur. On ne pourra bientôt plus prier Ste Anne! Dites-le donc aux marins, pour qu’on rigole un peu!
Doit-on s’attendre à un « Pour saluer Milan Kundera? », Pierre Assouline?
Bien à vous.
MC

Marie Sasseur dit: à

Kundera est décédé.
94 ans, le bel âge, pour partir.

Marie Sasseur dit: à

Bientôt un buffet froid , alors.

Marie Sasseur dit: à

C’est dommage, j’avais plein de trucs à redire sur la traduction automatique.
Une autre fois.

Condoléances,

A bientôt

Jazzi dit: à

Mais qui donc a assassiné les traducteurs, qui ne voulaient pas mourir ?

Paul Edel dit: à

Tiens, deux disparitions: celle de Kundera et le texte sur l’I.A

MC dit: à

Bonne question, d’autant que le métier est parfois très mal payé, Jazzi. MC

MC dit: à

Oui Paul Edel, surprenant, non ? D’autant que Pierre Assouline est dans son role en défendant les Legouis, les Parisot, les Vialatte , les Robert, bref tout ce qui sait un peu traduire en ce bas monde, et ouvrir le français aux autres. MC

Jazzi dit: à

Kundera, qui ne les aimait pas beaucoup, a emmené les traducteurs dans la tombe !
Fais gaffe, Paul, il n’aimait pas non plus les critiques littéraires et a voulu que sa pléiade soit vierge de notes…

D. dit: à

Reconnaissez que Milan est un bien drôle de prénom.

D. dit: à

Ça me fait toujours penser à l’escalope milanaise, ce prénom

Paul Edel dit: à

Jazzi ,Kundera et Vera nous étions proches et Le Monde m a demandé un témoignage il y a 3 heures.article envoyé

Chantal dit: à

Un escamottage curieux en effet, du billet sur l’IA et les traducteurs, et place sans doute à Kundera ?

J’ai vu un spectacle intéressant l’autre soir de Valérie Cordy avec chat gpt
comme acteur interactif de sa nouvelle création « état du monde ».

Jazzi dit: à

Super, Paul, tu es encore très réactif !
Je lirai ton hommage avec intérêt et je sens que l’on va en causer ici…

Bloom dit: à

3 Kundera au Waterstones de Bath: 2 traduits du tchèque, 1 du français.
Pour l’heure, le plus bel hommage à Kundera est le récent livre que Florence Noiville lui a consacré et dont il fut question chez Finkie il y a peu. PCS: précis concis sexy

closer dit: à

Etrange disparition de la galerie de personnages hideux que Passou nous avait infligée sous prétexte d’un article sur les traducteurs.

Bizarre, bizarre…

Jazzi dit: à

« PCS: précis concis sexy »

Tu imagines Gaston Gallimard dire ça à Marcel Proust, Bloom ?
Tu parles comme un patron de presse à scandale se souciant uniquement de profit !

Bloom dit: à

Remballz tes sarcasmes Baroz et reviens une fois toute La Recherche et Ulysses lus. Vive les digested reads. Et les digested reads digested. Modèle : Kafka et Coetzee. Ah!

Bloom dit: à

Remballe

et alii dit: à

permettez moi de dire qu’il peut être approprié à propos de KUNDERA d’évoquer le philosophe tchèque
Jan Patočka philosophe de l’art et de la culture, puisqu’ils ont vécu la même « histoire »,
et de rappeler que la bibliothèque de KUNDERA a quitté PARIS
3La bibliothèque abrite des dessins de l’écrivain, des articles de journaux sur son travail, mais aussi, l’original du XVIe siècle d’un essai de Montaigne signé par l’auteur et recouvert de peau de veau. L’établissement, ouvert depuis le 1er avril, organisera des conférences et des débats
Vera Kunderova, épouse de l’écrivain, a raconté à la radio tchèque que l’idée d’ouvrir une bibliothèque lui était venue dans un rêve, il y a cinq ans : l’écrivain américain Philip Roth lui aurait soufflé cette idée pendant son sommeil. »
https://www.livreshebdo.fr/article/la-bibliotheque-de-milan-kundera-quitte-paris-pour-brno
(il se trouve que Prague et BRNOsont, du fait de ma bio, 2villes chères à mon coeur

et alii dit: à

et suite à une précédente conversation,
L’agent littéraire américain Andrew Wylie a décidé de rejoindre la coalition contre Amazon, entraînant avec lui ses clients dont les célèbres Milan Kundera, Philip Roth ainsi qu’Orhan Pamuk, l’écrivain turc prix Nobel de littérature 2006. Au total, 300 auteurs représentés par l’agence Wylie ont signé la lettre ouverte du groupe Authors United et soutiennent Hachette dans sa lutte contre la société de e-commerce de Jeff Bezos à propos du prix des livres numériques.

Bloom dit: à

The scene is chang’d I am no more
Deaths the last Act Now all is o’er

Pierre tombale de Mr James Quin, chœur de l’abbaye de Bath

rose dit: à

Brno
Chère à votre cœur ; toutefois imprononçable.

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