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La ténébreuse affaire de Félicien Marceau

La ténébreuse affaire de Félicien Marceau

Fallait-il être pervers, comme il s’en trouve parmi les membres de l’illustre compagnie, pour encourager l’essayiste Alain Finkielkraut à se présenter au fauteuil de l’écrivain et dramaturge Félicien Marceau (1913-2012) à l’Académie française. Ceux-là doivent déjà savourer le passage le plus délicat de son éloge à venir du prédécesseur, où il aura à évoquer le seul point noir de sa biographie : l’Occupation. S’il nourrit encore des doutes, un petit tour sur la Toile l’aura déjà affranchi quant à l’opinion qu’en ont certains de nos contemporains : « collabo », « fasciste », « nazi » etc Le nouveau titulaire du 21 ème fauteuil n’aura pas la tache facile : il lui faudra naviguer entre les souvenirs impressionnistes de l’auteur des Années courtes (Gallimard, 1968, repris en Folio) et les jugements sans nuances d’adversaires qui n’ont pas désarmé. Ce qui promet d’être acrobatique. Alain Finkielkraut, élu dès le premier tour mais également gratifié de huit croix noires, aura à se débrouiller avec ce passé : « J’espère seulement que les académiciens me laisseront toute latitude et que je ne serai pas confiné au panégyrique” commente-t-il. Il ne tient qu’à lui.08-548840

Lorsqu’il s’appelait encore Louis Carette, le jeune belge frayait avec les milieux pacifistes et munichois aux côtés d’Henri de Man au journal L’Avant-Garde, et avec les milieux chrétiens dans la mouvance d’Esprit et d’Emmanuel Mounier. Entré à la radiodiffusion belge au titre de représentant du parti catholique pour y tenir entre autres la chronique dramatique, il en démissionna le 15 mai 1942, à l’en croire, pour de nobles causes : horreur face à la « démence » antisémite de l’occupant, refus d’adhérer à l’ordre des journalistes etc Durant quelques temps, il se consacra alors à une petite maison de (ré)édition, se plongeant avidement dans Dostoïevski et Balzac ; de la lecture d’Une ténébreuse affaire, il tira la leçon, aussitôt appliquée, que dans la mesure où ce ne sont pas des juges mais des adversaires qui siègent dans un procès politique, il est préférable de s’exiler. Ce qu’il fit à la libération de son pays, en s’installant en France.

Le procès de la radio se tint à Bruxelles en 1946. On lui reprocha cinq émissions (quatre de l’été 1940, une de l’été 1941) sur les quelque trois cents qu’il avait signées pendant la guerre. Des interviews de prisonniers de guerre, des reportages sur des ouvriers partant travailler en Allemagne. Le dossier contenait également deux articles et un roman publié en feuilleton dans la presse. Rien de litigieux selon lui. Plutôt une affaire absurde qui avait « un fâcheux air de querelle de village ». Elle lui valut tout de même d’être condamné par contumace à 15 ans de travaux forcés, la dégradation militaire, la déchéance de la nationalité ainsi que des amendes. Dans les attendus du jugement, qu’il a tenu à publier intégralement en annexe de ses souvenirs, le Conseil de guerre lui reprochait sa « trahison » pour des articles jugés hostiles au corps des officiers belges, et son « esprit de lucre » de par son travail à la radio. Il n’eut que six mois pour faire opposition ; or, demander le recours en grâce au Roi eut été reconnaître une valeur au jugement, ce à quoi il se refusait.

Le mémorialiste évoque bien son premier roman Le Pêché de complication (1942) mais sans préciser qu’il était publié par les éditions de la Toison d’or, maison fondée avant-guerre par des neutralistes belges commandités par un trust allemand proche de Ribbentrop, le ministre des affaires étrangères. Il reconnaît bien avoir travaillé pour la radio à Bruxelles mais ne précise pas qu’à Radio Bruxelles, créée par l’administration militaire allemande après le sabordage de l’INR (Institut national de radiodiffusion), il ne s’occupait pas que de théâtre mais dirigeait aussi le service Actualité…

contributor_1649_195x320Ayant adopté le pseudonyme de Félicien Marceau, il fut naturalisé français en 1959. S’ensuivit une carrière à succès au théâtre à Paris (L’œuf, La bonne soupe, Le Babour), et en librairie où cet écrivain stylé proche des Hussards, fin traducteur de Pirandello et de Goldoni, fut couronné du prix Renaudot pour Les Elans du cœur (1955), et du prix Goncourt pour Creezy (1969) avant d’être accueilli en 1975 à l’Académie française. Ce qui n’alla pas toujours sans remous : son élection sous la Coupole provoqua la démission du poète et ancien résistant Pierre Emmanuel en signe de protestation ; auparavant en 1971, il avait dû renoncer à un couvert à l’Académie Goncourt alors qu’on le donnait comme élu ; il est vrai que l’ancien réprouvé de la Libération aurait eu à y siéger aux cotés de Françoise Mallet-Joris, fille d’Albert Lilar, ministre belge de la Justice en 1946…

En quelques lignes en liminaire des Années courtes, il souligne :

« Tout ici est vrai. Ou si quelque chose ne l’est pas, c’est erreur de mémoire ».

Et plus loin, au moment d’aborder les années de guerre, il écrit :

« On pourrait croire qu’en passant du roman à un récit où tout est vrai, on quitte l’incertain pour le solide. C’est le contraire. Rien n’est moins sûr que la mémoire ».

Ayant eu autrefois une longue conversation avec lui sur ses relations d’estime réciproque, sinon d’amitié, avec Hergé, je lui avais demandé in fine s’il comptait un jour retourner en Belgique. Il m’avait répondu : « Pas avant qu’on m’y ait présenté des excuses officielles », non sans ajouter dans un sourire : « Autant dire : jamais… »

(« Une ténébreuse affaire » photo Jean-Pierre Bertin-Maghit ; « Félicien Marceau » photos Thérèse Le Prat et Roger Parry)

Cette entrée a été publiée dans Histoire Littéraire.

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commentaires

1 212 Réponses pour La ténébreuse affaire de Félicien Marceau

D dit: à

Comme tout le monde, j’a vu a la TV la cérémonie du D Day

Abdel je n’ai pas suivi ces cérémonies qui rendent hommage aux disparus et à ceux qui sont restés, au courage des militaires, devoir de mémoire, la bibliothèque parentale était chargée en croix gammées et agit toujours en vaccin. C’est une occasion de rappeler aux jeunes les éléments de notre histoire récente et de ses dérives monstrueuses.
http://www.persee.fr/articleAsPDF/bmsap_0301-8644_1880_num_3_1_3285/article_bmsap_0301-8644_1880_num_3_1_3285.pdf

Daaphnée dit: à

Sarkozy avait été président les trois personnages cités par Daaphnée se seraient retrouvés de la même façon.

L’Histoire donne ses rendez-vous, certains les ratent ..

( il est vrai que Sarkozy est allé y promener ses talonnettes, mais bon ..)

secrétariat de ueda dit: à

le D.Day

ça m’en touche une sans faire bouger l’autre

citron dit: à

8h33 il est vrai qu’il est plus facile sur un blog que sur un terrain de tennis de passer d’un côté et de l’autre du filet et au besoin de figurer quelques éléments du public. En tout cas prêchi prêcha est une mine qui ne demande qu’à exploser à ciel ouvert.

késkeldi dit: à

SMDR ou citron pressé? ça fait pas tout Béré de changer de pseudo

Rôôô dit: à

des fois béré veut dire qu’chose on sait pas koi épicétou

Sant'Angelo Giovanni dit: à


…@,…D,…T.V.,…D.Day,…croix svastika,…du genre fond de voûte de panier d’osier!,…à l’envers pour l’endroit!,…
…système articulé,…trop symétrique!,…
…rien à voir avec la  » vie « ,…qui est plus proche du ying & yang !,…
…autre !,…élément d’esprit d’un conformisme déterministe d’in-secte décoratif,…

…en somme un symbole de merde !,…etc!,…

kicking dit: à

qui a réuni autour de la table

alors ça c’est pas de l’Histoire mais sa réécriture…

abdelkader dit: à

Un article bizarroïde de Michel Rocard dans le Guardian d’hier…
http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/jun/06/french-message-britain-get-out-european-union
il déplore le fait que les anglais aient une idée différente de l’Europe et semble blâmer les anglais pour la débâcle du projet européen…mais pas le fait que cette Europe qu’il veut est si éloignée des préoccupations quotidiennes de l’européen lambda (ce que je ne suis pas, suis plutôt Dieu et Mon Droit) il cite même Churchill en passant sous silence le fait que ce dernier (comme la plupart des british qui ont voté pour rejoindre le Marché Commun (tiens, c’est passé ou le Marché Commun ?) et non pas pour se faire chier par un bureaucrate anonyme et des sangliers paneuropéens avec leur groin fermement dans le râtelier communautaire, avait une vision plutôt commerciale du concept et sa citation ne fait qu’affaiblir son argumentation…Churchill mentionnait même l’URSS (qui pour les non-comprenants, était communiste a l’époque alors que Sir Winston ne pouvait pas encadrer (remember le Rideau de Fer ? ben c’était lui)
« We must build a kind of United States of Europe … Great Britain, the British Commonwealth of Nations, mighty America – and, I trust, Soviet Russia … must be the friends and sponsors of the new Europe and must champion its right to live. »

Oui d’accord…on vous appellera…

abdelkader dit: à

Daaphnée dit: 7 juin 2014 à 8 h 58 min
Bonjour Daaphnée…effectivement, notre bonne reine Liz a bon pied bon œil…sinon, j’ai vu aussi Fabius a la TV hier soir et il m’a l’air de faire du lobbying pour l’exception bancaire française…pourquoi pas, mais tant qu’on veut commercer a la bourse de NY ou traiter en dollars, il faut respecter la Golden Rule : he who has the gold makes the rules (une autre platitude, je sais, que notre Grand Inquisiteur de la Pensée Originale et PUre n’appréciera pas trop, mais bon)…

Bertrand Renard dit: à

Syntaxe : la préposition « à » se répète !
>> Elle lui valut tout de même d’être condamné par contumace à quinze ans de travaux forcés, À la dégradation militaire, À la déchéance de la nationalité ainsi qu’À des amendes.

MAURICE EINHORN dit: à

Félicien Marceau n’est finalement que l’héritier d’une longue tradition antisémite dans la littérature et la bande dessinée belges: Michel de Ghelderode, Jean Ray, Georges Simenon, Maurice Maeterlinck (prix Nobel) Jules Destrée, Edmond Picard (le pire de tous), Hergé, Victor Hubinon, Morris, Jijé, etc.

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