Littérature de langue française
Il y a des noms de personnages qui ne passent pas ; du début à la fin du roman, ils vous restent en travers la gorge, tant et si bien que vous ne croyez pas à ses émotions, ses sentiments, sa logique ou sa folie mêmes tant son identité vous paraît invraisemblable. D’autres au contraire semblent si singuliers qu’ils confèrent d’emblée une personnalité au personnage, s’imposent et vous emportent. C’est ainsi que je suis tombé amoureux de Béatrice Ombredanne, l’héroïne de L’Amour et les forêts (365 pages, 21,90 euros, Gallimard), l’un des romans les plus en vue de cette rentrée. Disons […]
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Ce qui compte, c’est de placer la barre à une certaine hauteur et de sauter juste un peu au-dessus. A la placer trop haut, on ne risque pas seulement de s’étaler ; on passe pour celui qui n’a pas les moyens de ses ambitions. Le cas d’Emmanuel Carrère pour son dernier livre. Voilà pourquoi (j’entends déjà les cris d’orfraie) on peut détester le Royaume et louer les livres de Christophe Donner et Frédéric Beigbeder. Leur ambition est certes plus limitée qu’un réexamen des Evangiles à la lumière de leur moi profond ; mais l’un et l’autre ont parfaitement réalisé leur projet car […]
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Il y a des livres qu’on aimerait aimer pour de multiples raisons : on suit l’auteur de longue date, sa personne a toute notre sympathie, les bonheurs de lecture qu’il nous a déjà offerts sont encore vivaces, l’annonce même de son projet nous avait déjà enthousiasmé en son temps (et quand en plus, on a écrit Vies de Job, on se sent déjà en complicité). Seulement voilà : on aimerait mais on n’y arrive pas. Difficile de se dire déçu car un écrivain ne doit jamais rien à ses lecteurs. Il n’a de comptes à rendre à personne. Il écrit ce qu’il […]
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On commettrait une erreur de jugement en ne voyant en Simon Leys qu’un grand sinologue. Ou uniquement l’expert qui a pourfendu les illusions meurtrières des maoïstes occidentaux. Ou le lanceur d’alertes des China watchers. Celui qui vient de disparaître à l’âge de 78 ans des suites d’un cancer était tout cela, bien sûr, mais c’est celui qu’il était en sus et au-delà de ces qualités de spécialiste qui nous manquera. Entendez : un intellectuel d’une remarquable tenue intellectuelle et d’une rare exigence morale. De ceux qui mettent leurs actes en accord avec leurs idées, espèce en voie de disparition. Quelque chose […]
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En m’emparant de ce gros livre-là, mû par un réflexe chronique, je me suis également saisi d’un crayon à mine. Impensable de lire sans souligner, bâtonner, annoter, voire barrer, et même m’indigner, sinon corriger – à l’exception des Pléiade, tout de même, encore que j’en ai vu y surligner sans état d’âme à grands coups de stabilo rose fluo (j’ai failli appeler la police). On nous a assez répété qu’une fois publié, le livre n’appartenait plus à son auteur et que le lecteur devait se l’approprier ; or quelle meilleure manière d’y parvenir qu’en y superposant sa propre graphie aux impressions […]
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Faut-il être gonflé pour s’emparer de L’Etranger et le détourner ! Un classique moderne par excellence, régulièrement placé en pole position des listes « mundial » des « 100 meilleurs livres du XXème siècle » et autres Jeux Olympiques littéraires, traduit en quarante langues et porté à l’écran par Luchino Visconti, figure imposée à tout lycéen de langue française, une oeuvre qui a résisté et survécu à l’avalanche d’exégèses universitaires qu’elle a suscitée… Kamel Daoud a osé et il a bien fait. Son Meursault, contre-enquête (153 pages, 19 euros, Actes sud), premier roman après deux recueils de nouvelles (écrit en français et non en arabe, faut-il […]
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Il y a comme cela des fictions qui, aussitôt refermées, l’air de rien, modifient non seulement le regard que l’on porte sur les gens, mais celui que l’on porte sur soi. On se demande : en sont-ils ? et qui me dit que je n’en suis pas moi-même ? Effet garanti même si cela ne dure pas. Demeure un trouble inquiétant. Ainsi de L’Autre (199 pages, 16 euros, Seuil), premier roman de Sylvie Le Bihan. Du vécu à coup sûr, mais sans que les relents autobiographiques aient la vanité des romans à clés. C’est d’une psychopathologie qu’il s’agit : celle du pervers narcissique. Non […]
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En toute création artistique, la réussite tient aussi à la note juste. La trouver et la tenir. Rares sont ceux qui y parviennent, discrets sont-ils le plus souvent. La preuve par deux : un livre et un film. Après l’immense succès de Réparer les vivants, Maylis de Kerangal ne pouvait se manifester que par un petit signe. Ainsi publie-t-on sans paraître. Un livret plutôt qu’un livre avant de se lancer à nouveau dans une entreprise romanesque aussi ambitieuse et puissante. La collection « Paysages écrits » lui en a donné l’occasion. Editée par Guérin à l’initiative de la Fondation Facim, elle propose à […]
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Bien sûr, je savais qu’il n’allait pas bien. Même ses livres, en particulier le dernier, Brouillard (Le Cherche-midi, 2013), le laissaient entendre. Mais je fréquentais son oeuvre depuis si longtemps que je m’attendais à recevoir encore pendant des années une de ces enveloppes contenant un autre ouvrage de Jean-Claude Pirotte et portant sa signature : une aquarelle, qui permettait de savoir, avant même d’ouvrir, de qui venait l’envoi. Donc, voilà, dans le combat entre le cancer et Jean-Claude Pirotte, qui était né en 1939, c’est le cancer qui a gagné. Salaud de cancer. Poète migrateur plutôt que voyageur, Jean-Claude Pirotte se pose là […]
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De but en blanc, tentons cette proposition : Pierre Michon est un écrivain de l’ouïe. Un écrivain de l’ouïe serait celui qui entend ou demande que les autres entendent, et dont l’écriture est inextricablement liée au son. La manière idéale de lire un tel écrivain est à voix haute, et lentement, pour que la force de ses mots frappe de plein fouet. Les poètes s’imposent bien sûr dans cette dimension sonore, obligeant leurs lecteurs à écouter leurs vers. Si Pierre Michon n’est pas techniquement parlant un poète, il l’est spirituellement et artistiquement, auteur d’une prose si rythmique et musicale qu’on pourrait sans peine l’appeler […]
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