N° 99 Charlemagne et la Pall Mall sans filtre
Les contorsions intellectuelles qu’il faut faire pour trouver un début de commencement d’intérêt à la Lettre de saint Paul aux Éphésiens.
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Le « genre », « genrer », « genré »
Le genre masculin, le genre féminin, le genre humain.
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La place Stanislas, plus facile à trouver dans Nancy que la place Stanislas Leszczynski. Le prénom seul épargne au promeneur « l’aspect de fortifications de consonnes par lesquelles la langue slave protège ses voyelles, sans doute afin de ne pas les perdre, vu leur petit nombre » (Balzac).
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Pendant des siècles, Paris sans trottoirs. Les premiers : rue de l’Odéon, 1817.
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Cet homme qui n’a jamais fumé ni plus ni moins que deux Pall Mall chaque soir, toute sa vie, sans déroger jamais à cette habitude. Pall Mall longues, sans filtre. Sa manière bien à lui d’inhaler la fumée, moitié par la bouche, moitié par le nez, en deux petites colonnes grises et disciplinées qui lui entraient dans les narines.
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La tournure orale « pour pas que », irremplaçable. « Je l’ai bien couvert pour pas qu’il prenne froid ». « J’ lui ai donné du sou pour pas qu’il aille taper ses copains. » Le cadenas du « pas » semble posé plus tôt, en amont des possibilités, comme une porte d’immeuble verrouillée, bloquant l’accès aux portes d’appartements. Précaution première, précédant toute éventualité.
Pour avoir l’air correct, on ajoute parfois la deuxième négation « ne » : « Je l’ai bien couvert pour ne pas qu’il prenne froid. » Très moche. À l’inverse, le français parlé supprime volontiers le « pour » de la complétive. « J’ l’ai bien couvert, pas qu’il prenne froid. » Assez élégant, somme toute, dans sa concision presque algébrique.
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Sous les nazis, les juifs interdits de jouer Beethoven.
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Cet homme qui n’a rien de mieux à faire que rester assis, mais accomplit cette tâche aussi soigneusement qu’il le peut.
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Les femmes qui s’imaginent savoir ce qui excite les hommes.
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Musique
Le début d’une mesure, qui est presque toujours la suite ou la fin de la précédente. Ceux qui retardent le premier temps sont des salauds : dès qu’ils voient que ça circule, ils mettent des murs au milieu. Des Trump, des Honecker.
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Le premier café du matin, après une longue nuit de privation.
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Une maladie grave, qui ne vous prémunit en aucune façon contre une carie ou un bon vieux coryza.
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La bouche tombante des chevaux, qui fait croire qu’ils sont toujours en train de pleurer.
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Le début de la cuisse, près du genou, où l’on prend appui avec le manche de la pelle, pour soulever la lourde pelletée.
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Le capitulaire de Charlemagne qui ordonnait à chacun d’adopter un pauvre, en quelque sorte, de le nourrir et de le vêtir, en sorte d’abolir la mendicité et le vagabondage. Il était défendu au « gueux » d’aller mendier ailleurs, sous peine d’être contraint de travailler.
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(Le commentaire du pion)
On contraint à, on est contraint de. On se contraint à, ou de.
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(Dernière minute)
C’est incroyable, inespéré, merveilleux : Une soixantaine de députés ont déposé un projet de loi visant à interdire l’emploi de l’écriture inclusive dans l’administration. De droite et centristes, les députés. La gauche préfère la servitude volontaire, comme à son habitude.
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(Suite)
Une grosse trentaine de linguistes ont publié ici une tribune dans laquelle, avec méthode, ils réfutent tous les arguments en faveur de l’écriture inclusive, démontrent sa bêtise, et énumèrent toutes ses tares.
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(Suite)
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Emmanuel Macron, qui vient de relancer un plan, intitulé « 1 jeune 1 solution ». Pour lui, un jeune est un problème.
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Nicolas Sarkozy est allé à TF1 pour se plaindre de ne pas être traité en justiciable comme les autres. Il a entièrement raison, cet homme : tous les justiciables qui ont à se plaindre de la justice ne vont pas sur TF1 pour le faire.
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(Pour information)
Il a été question récemment, ici même, de la reprise d’Atys, vingt-cinq ans après la création du spectacle à l’Opéra-Comique. Un documentaire d’Isabelle Delamare sur Jean-Marie Villégier, metteur en scène de ces deux Atys, mais aussi et surtout de classiques et préclassiques français, est mis en ligne ici par l’Opéra-Comique. Un gros tiers de ce film est consacré à l’alexandrin, et à la manière de s’en servir au lieu de le subir.
j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis à 7h 30)
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La troisième série de petits Papiers (Papiers découpés), parus sur Bibliobs.com, fera l’objet d’une publication en volume et n’est plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014), la deuxième (Papiers recollés) sous le titre Le cul rose d’Awa (Du Lérot 2020, disponible sur commande en librairie ou chez l’éditeur.
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