N° 10 La clef au comble du bonheur
Houellebecq se marie. Le maire lui tend son livret de famille. Houellebecq se retourne et le transmet à Samuelson, son agent littéraire.
*
Clef / clé. Quelle histoire ! personne n’est d’accord. Voici ce que dit le TLF (Littré admet les deux graphies et ne les discute pas) : « Buben, 1935, § 5 et 198, explique que c’est d’un pluriel clés qu’on a tiré une nouvelle graphie du singulier clé, admise aujourd’hui au même titre que clef, et que c’est grâce à la variante orthographique clé que la prononciation par [e] fermé persiste dans le mot. La plupart des dictionnaires admet clef ou clé. Mais pour Bescherelle, 1845, tout le monde écrit en fait clé alors que pour le Dictionnaire général cette même forme est vieillie. En ce qui concerne l’Académie française, les éditions de 1694-1798 donnent uniquement clef (pluriel clefs); les éditions de 1835-1932 enregistrent clef comme vedette tout en signalant que « plusieurs l’écrivent clé ». L’ancienne forme clé semble connaître une nouvelle faveur. »
Alain Rey (Dictionnaire historique) confirme l’hypothèse du détour par le pluriel, avancée par Buben : clavis latin a donné clef, qui au pluriel faisait clez, cle (abandonnant au passage l’f étymologique), et donc, au singulier, clé.
*
(Suite)
« Que l’argent est la clef de tous les grands ressorts » (Molière). La clef d’un ressort ?
*
(Clef, fin)
Beckett faisant démarrer sa 2 CV avec un trombone : « J’ai perdu la clef. »
*
Cocteau, qui eut l’idée du triple anneau de Cartier.
*
Avis aux radins
Le prix d’un piano droit Steinway K132 « Crown jewel », en bois amélioré : 53.520 €. Un grand queue de concert : 160.800 €.
Quand on est radin, on ne compte pas.
*
Les obsolètes : les têtières, plus ou moins au crochet, qu’on plaquait sur le haut des dossiers de fauteuils.
*
Les importateurs de haricots verts du Kenya. Toujours en liberté.
*
La manière diverse dont Balzac appelle Mme Hanska :
Madame
Mon cher et pur Amour
Ma chère âme
Chère ange aimé
Mon amour chérie
Mon Éva chérie
Ma chère épouse d’Amour
Cara contessina
Chère comtesse
Chère
Madame et amie
Ma Line chérie
Mon Evelette chérie
Lplp (= Loup-loup)
Âme de ma vie
Linette
Mon chérie lplp
Ma minette
Mon bien aimé lplp
Mon petit lplp
Mon petit Evelin
Mon bon lplp adoré
Mon Ève chérie
Ma mignonne Èv.
Lplp d’amour
*
Bergman accro aux yaourts. Et aux biscuits « Marie », et plus tard aux biscuits « Brago », dont il faisait une consommation affolante. Son régime habituel, son vice : yaourt + biscuit Marie.
Les histoires qui circulent à propos de ceux qui ont osé lui prendre un biscuit, de ceux qui n’ont jamais osé, de ceux qui en ont pris un et l’ont reposé, par peur des représailles. Lui avait peur qu’on ne les ait touchés : ne prenait jamais le premier du paquet, toujours celui du dessous.
*
(Bergman, suite)
Complètement épuisé (quatre productions en même temps : théâtre, radio, télévision, cinéma, six « premières » la même année), il est hospitalisé. Il en profite pour écrire le scénario des Fraises sauvages.
*
Ravel, qui devait enregistrer son Bolero (14 janvier 1930). Incapable de tenir le tempo, il cède la baguette à Albert Wolff. (Scrupule qui n’effleurera pas Toscanini, Koussevitzky, Mengelberg et tant d’autres, lesquels ne cessent d’accélérer tout du long.)
Ravel renonça de la même manière à créer son Concerto en sol. Pendant des semaines, il travailla les études de Chopin et de Liszt pour améliorer sa technique. En vain : il n’y arrivait pas. Contrit, furieux, épuisé, il laissa la place à Marguerite Long, ravélienne patentée, qu’il appelait, d’après Arthur Rubinstein, « la salope ».
*
Un cendrier qui disparaît un jeudi, jour de la femme de ménage ; qui réapparaît le jeudi suivant, à sa place, recollé.
*
Les enfants qui font la course avec l’ascenseur.
*
Giono, dans Le hussard sur le toit. Angelo est tenu en joue par un fusil de chasse : « Il était au comble du bonheur. » Il est cerné par des villageois : « Ces paysans voyaient bien qu’en réalité il était au comble du bonheur. » Tout à fait à la fin, quand il devine l’Italie derrière les montagnes : « Il était au comble du bonheur. »
j.drillon@orange.fr
(Tous les vendredis)
Si vous n’avez pas reçu le lien sur lequel cliquer pour accéder à ces Petits papiers, c’est que vous n’êtes pas abonné. Vous pouvez le faire en écrivant à j.drillon@orange.fr, en mentionnant « m’abonner » dans le champ « sujet » ou « objet » du message.
Les deuxième et troisième séries (Papiers recollés, Papiers découpés) feront l’objet d’une publication en volume et ne sont plus en ligne. La première (Papiers décollés) a été publiée sous le titre Les fausses dents de Berlusconi (Grasset, 2014).
3 Réponses pour N° 10 La clef au comble du bonheur
Ah, Balzac et Mme Hanska, quelle aventure romanesque ! Ils avaient inventé l’amour virtuel bien avant la lettre ! Il semble bien que le meilleur de leur histoire soit dans la correspondance. Balzac tombera malade très vite après leur mariage (sauf erreur de ma part).
Toujours riche et passionnant, intelligent et… drôle Merci!
Clef/clé, quelle histoire.
Rarement un mot n’a une telle polysémie, merci d’en avoir évoqué la richesse sémantique.
Angelo, au temps du cholera, avait le charme des italiens quand il savent qu’ils auront l’amour et du vin.
Pourquoi Taos Amrouche au temps de l’adultère, regardant la ligne de montagnes, ressemble à Pauline.
« Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre. » B. Werber
3
commentaires